Vente de bébé mode d’emploi

Des Néerlandais achètent un nouveau-né à une Belge via Internet. Ils réussissent même à déclarer l’enfant à leur nom. Impossible ? Au contraire, un échange de carte de mutuelle et un mensonge ont suffi.

Gideon et Tamara Stegeman, tous deux âgés de 26 ans, se connaissent depuis qu’ils sont enfants. Ils étaient voisins et amis, dans le petit village de Sibculo, dans le nord des Pays-Bas. En 2007, ils se marient. Malheureusement, Tamara ne parvient pas à être enceinte. Or le couple veut absolument un enfant. Ils cherchent alors une mère porteuse sur Internet, mais ils se font escroquer à deux reprises. Au mois de mars, sur le forum holebi.net, ils repèrent l’annonce d’une Gantoise de 22 ans :  » Je suis enceinte de cinq mois et je voudrais me défaire de mon bébé à la naissance. Je suis en grande difficulté et ne peux garder le bébé. C’est pourquoi je voudrais rendre quelqu’un heureux… « 

L’affaire est vite conclue. Un simple échange d’e-mails pour fixer le prix : de 5 000 à 10 000 euros. Gideon et Tamara suivent la grossesse de près. Le 3 juillet dernier, le jour de la naissance, la jeune mère est admise aux urgences à la clinique Jan Palfijn, au c£ur de Gand. Entre deux contractions, elle parvient à articuler un mensonge bien ficelé, affirmant qu’elle est venue des Pays-Bas voir des amis gantois. Elle tend une carte d’assurance- santé au nom de Tamara Stegeman. C’est ainsi que le petit Jayden, qui naît une heure et demie plus tard, est enregistré, dans l’attestation fournie par la maternité, sous le nom des époux hollandais. Grâce à ce papier, Gideon Stegeman n’aura plus qu’à se rendre à la commune de Gand pour y déclarer  » son  » enfant. Le tour est joué.

Le site Web regorge d’annonces de mères porteuses

Le lendemain de la naissance, la mère biologique signe une décharge et quitte la clinique, avec Jayden. La rencontre a lieu sur le parking même de l’hôpital. Gideon et Tamara emmènent le bébé et repartent pour Sibculo, sans être inquiétés. Ils affirment à leurs proches et connaissances qu’ils ont adopté un enfant. Quatre mois plus tard, un journaliste néerlandais de l’émission Netwerk, sur la chaîne Nederland 2, contacte la direction de la clinique Palfijn. Il avait suivi les échanges entre les Stegeman et la Gantoise sur holebi.net – le site regorge d’annonces de mères porteuses – et préparait une émission sur le sujet. La clinique prévient la justice. Une enquête est ouverte.

Le parquet de Gand poursuit le couple néerlandais pour  » supposition d’enfant « , car celui-ci a déclaré un bébé qui n’était pas le sien. Pour ce qui concerne la transaction, la législation belge reste lacunaire. Si aberrant que cela puisse paraître, aucune loi ne réprime pénalement la vente d’un enfant. Il existe bien sûr des textes sur la traite d’êtres humains, mais une organisation criminelle doit être impliquée pour que l’on puisse appliquer lesdits textes. Reste alors l’article 35 de la convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la Belgique et les Pays-Bas : un enfant, dit la convention, ne peut être vendu. Mais il s’agit, ici, d’un texte général. Le Code civil, lui, établit que le corps humain ne peut faire l’objet d’un contrat. Le Code pénal sanctionne également l’abandon d’enfant. Pas sûr, cependant, que cela suffise pour permettre à la justice gantoise d’incriminer la mère biologique.

Et à l’avenir ? Suite à la mise aux enchères d’un bébé par une mère porteuse en 2005, une proposition de loi, déposée par sénateur Philippe Mahoux (PS) visant à interdire la  » commercialisation  » des mères porteuses, est en discussion au Parlement. Le texte pourrait être étendu à la vente de bébés comme de simples objets.

Selon Marinka Draye, gérante d’un site qui met en contact des mères porteuses et des parents en quête d’enfant, le cas des Stegeman n’est pas isolé. L’arnaque consistant à échanger les cartes SIS entre la mère  » acheteuse  » et la mère porteuse lors de l’accouchement serait bien rodée… A vérifier. Nombre de maternités exigent déjà la carte d’identité des patientes en plus de leur carte SIS : il faudrait généraliser cette précaution.Dans le cas de la mère biologique de Jayden, la clinique ne l’a pas fait. Elle se défend d’avoir la compétence de contrôler l’identité des entrants. Pis, peut-être : les Stegeman affirment, aujourd’hui, qu’un gynécologue et un médecin traitant de la clinique Jan Palfijn étaient au courant que le bébé allait être donné. Complicité ?  » Totalement faux « , s’insurge le président du conseil d’administration de l’établissement qui s’apprête à déposer plainte pour diffamation. La justice gantoise n’est pas au bout de ses peines.

Thierry Denoël

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