Vaut-il mieux acheter ou louer?

Avec la crise, les opportunités sur le marché du logement ne manquent pas. Encore faut-il être sûr de recevoir les conseils utiles et d’avoir les reins suffisamment solides pour profiter pleinement des aubaines. Dans le cas contraire, mieux vaut se faire une raison en attendant des jours meilleurs et plus sûrs.

Vicky et Xavier (1), la trentaine bien entamée, deux enfants en fin de primaire, travaillent tous les deux dans la même société de services en périphérie bruxelloise. Travaillaient : la crise s’installant, le carnet de commandes de leur entreprise fond depuis quelques mois et les licenciements redoutés sont annoncés. Reste la villa, achetée au prix fort en Brabant wallon voici deux ans, que les indemnités du couple ne permettront pas de rembourser sur les 23 ans restants. Il décide donc de sacrifier ce toit au plus mauvais moment : le marché n’est guère porteur et la concurrence est rude. Les durées des transactions s’allongent et les acquéreurs potentiels profitent, à juste titre, du changement de donne pour faire baisser les prix.

Alain (1) n’est guère mieux loti. Il avait, il y a trois ans, racheté en ville ce qu’il croyait être un bon placement pour un immeuble de rapport. Il a emprunté le maximum pour y faire trois appartements de standing ; en a loué deux, à 1 400 euros par mois. Le dernier est resté vide, faute d’amateurs à ce prix, jugé excessif par les candidats potentiellement solvables. Aujourd’hui, un de ses locataires a des difficultés de paiement : tout le personnel de son entreprise s’est retrouvé en 4/5 temps, avec salaire à l’avenant ; quant au second, il exige qu’Alain revoie le loyer à la baisse, sinon il ira voir ailleurs, son bail arrivant à terme en septembre prochain…

Nuancer au cas par cas

 » L’équation est somme toute assez simple : sans être voyante, si votre avenir professionnel et personnel (couple, famille) n’est pas au beau fixe, mieux vaut éviter de prendre des engagements à long terme. Un peu à l’instar d’une entreprise par temps de crise, mieux vaut ne pas se mettre la corde au cou et rester, au contraire, relativement flexible au cas où la conjoncture se durcirait : en un mot, il est plus sage de louer vos murs que de vous saigner aux quatre veines pour les acheter sans être sûr du lendemain. En revanche, si tous les feux sont à l’orange – le vert n’existe plus guère, sauf pour les naïfs et les très bien nantis -, que peu de risques peuvent venir ternir votre horizon à moyen terme et que la banque est prête à vous suivre sans vous imposer des garanties démesurées, financer votre propre toit plutôt que continuer à rembourser à pure perte celui du propriétaire qui vous héberge tombe sous le sens.  » Le notaire du Brabant wallon qui répond ainsi, très caricaturalement, à la question qui fonde ce dossier mentionne directement qu’il faut nuancer au cas par cas. En fonction du lieu, du type de bien, du profil de l’acheteur, de la conjoncture économique et du marché.

Et là, on peut dire que la crise actuelle a passablement compliqué les choses : depuis quelques mois, les variables ont un impact accru sur le marché résidentiel. Il s’agit donc d’avoir mesuré plutôt deux fois qu’une tous les risques avant de passer à l’acte pour ne pas le regretter très rapidement. La situation vécue depuis deux ans par des centaines de milliers de couples aux Etats-Unis est exemplaire à ce propos.

Quand la localisation augmente le risque

Ce risque est évidemment directement proportionnel au prix du toit que l’on convoite. Bruxelles et sa grande périphérie offrent donc des handicaps largement supérieurs à des zones moins spéculatives, comme le Hainaut ou la province de Liège.  » A Bruxelles, il importe même de différencier les marchés selon les communes, résume Arnaud Leporcher, courtier chez Expertissimmo. Dans le nord-ouest de la capitale, on trouve actuellement beaucoup de biens à vendre, mais rien à louer. Les prix sont raisonnables, tant à la vente, ralentie pour le moment et à la baisse, que pour les loyers. Dans le sud-est, par contre, le marché de la vente se porte bien, surtout sur les deux Woluwe, le haut de Schaerbeek ou celui d’Etterbeek. Pas besoin de vous expliquer que l’Europe y est pour quelque chose : 7 ventes sur 10, au bas mot, sont le fait d’eurocrates. C’est le cas pour les trois dernières que je viens de boucler.  » Pour cet agent comme pour David Chicard, chasseur immobilier chez Property Hunter (lire en page 31), la présence dans la capitale des organismes internationaux et de leurs lobbys est une aubaine pour Bruxelles.

Pour le notaire Vincent Misonne, dont l’étude se trouve à Charleroi, le fonds de commerce et les enjeux sont tout autres. Pour lui, ce qui fait l’intérêt de sa région, c’est qu’elle reste abordable à toutes les bourses. Prêts tremplin, prêts sociaux et droits d’enregistrement au plancher font que quasi tout le monde peut planifier l’acquisition d’un petit logement mitoyen en relativement bon état autour de 100 000 euros. Et on trouve encore.

La question  » louer ou acheter ?  » est donc posée en termes tout différents sur son terrain carolo que dans la capitale, le Brabant wallon ou à la côte, par exemple.  » Un rapide calcul comparatif entre les biens à la vente et à la location permet de se rendre compte que, si l’on n’est pas trop exigeant, l’accès à la propriété est un placement sans risques démesurés « , ose le notaire. Qui nuance d’emblée : dans la périphérie de Charleroi comme ailleurs, les biens plus cossus, les villas avec jardin, ont plus de mal à trouver acquéreur.

Quel bien pour quel prix ?

A Ostende, par exemple, ville côtière la plus peuplée et au tissu résidentiel particulier puisqu’on y recense le taux le moins élevé de secondes résidences (environ 20 %, alors que les voisines tournent bien souvent au-delà des 50 %), on relativise globalement les effets de la crise.  » Nous avons très bien travaillé en avril et en mai, un peu moins en juin. Sur le marché de la revente, les gens discutent beaucoup les prix, mais si les deux parties sont raisonnables, les ventes se font « , entame Jan Eeckhout, du groupe éponyme.  » Raisonnable  » est un mot qui résonne souvent quand on sonde les professionnels de l’immobilier côtier. Notamment pour ces personnes plus âgées et à haut pouvoir d’achat que les mésaventures de la Bourse ont échaudées et qui, par effet boomerang, retournent vers la brique.  » C’est pour cela que le marché des appartements situés entre 200 000 et 300 000 euros est encore porteur pour le moment « , note Jan Eeckhout.

Du côté de Bel Air Immobilia, autre agent de la place, on abonde dans le même sens :  » Les ventes se portent très correctement, mais les biens de plus de 300 000 euros ne trouvent pas d’amateurs. Surtout en deuxième ligne.  »  » A contrario, je constate que les jeunes clients, public cible pour les biens inférieurs à 200 000 euros, ont du mal à dégoter des financements. Au-dessus de 300 000 euros, c’est également plus compliqué, sans parler des villas à plus de 500 000 euros « , poursuit Jan Eeckhout.

D’après Filip Dermul, agent immobilier et analyste du marché côtier, la relative diminution actuelle des transactions d’achats profiterait, tout simplement, au marché de la location classique et saisonnière. Dans une perspective de vases communicants.  » Ce n’est pas un mal en soi, puisque cela renforce le marché des investissements immobiliers locaux « , précise-t-il.

Même son de cloche dans la capitale :  » Régulièrement, des particuliers viennent à l’agence et nous demandent à investir de 200 000 à 250 000 euros dans un appartement deux chambres, au plus vite. Ou 300 000 à 500 000 dans une maison. Ce sont souvent des déçus de la Bourse qui se replient sur le marché immobilier pour limiter la casse « , note Arnaud Leporcher.

Lorsqu’on lui demande ce que l’on peut encore trouver sous la barre des 300 000 euros à Bruxelles, l’agent nuance :  » Je viens juste de vendre, à Woluwe-Saint-Lambert, un petit immeuble neuf rez +3 sans charges de 87 m2 pour la modique somme de 255 000 euros. Comme quoi, on peut encore faire de très bonnes opérations sur un marché très couru. A Bruxelles, on retrouve pour l’instant des biens autour de 250 000 euros. A Schaerbeek, dans un quartier pas trop difficile, j’ai une petite maison à rénover, avec cour, à vendre pour 195 000 euros. « 

Acheteurs, prudence : secteur sous pression !

Par contre, dans certains quartiers très prisés de communes huppées, des promoteurs-  » commercialisateurs  » semblent parfois avoir trop misé sur un marché très porteur, aujourd’hui à l’arrêt ou en perte de vitesse. Pas étonnant dès lors que certains, n’ayant plus vendu un seul appartement depuis des mois et, ne voyant pas le vent tourner, en soient réduits à céder tout ou partie de leur portefeuille. A l’instar d’Upptown, par exemple, une société fondée par Oliver Michel et un autre actionnaire, qui commercialisait des biens de standing sur plusieurs communes bruxelloises ; notamment à Uccle ou Ixelles, à des prix pas à la portée de toutes les bourses (3 500 à 6 000 euros le m2).  » En janvier dernier, cela faisait déjà six mois qu’on ne vendait plus rien ou presque aux prix de 2008, explique Olivier Michel. Nous avions près de 45 millions de lignes de crédit sur des projets. Mais les banques ne font pas de cadeaux pour l’instant. Nous avons donc dû dissoudre notre holding, licencier une trentaine de personnes et avons recréé chacun une société de dimension et de financement plus contrôlables, avec 3 ou 4 projets chacun. Mais je peux rassurer tout le monde : aucun chantier n’a été arrêté et nous n’avons laissé aucun client au bord du chemin. Tous ceux qui avaient signé ont été livrés. Depuis lors, la vente sur plan a d’ailleurs disparu du marché. Et côté prix, nous avons dû revoir à la baisse, de l’ordre de 20 %. « 

Aujourd’hui, le patron de Mooore commercialise notamment deux projets de standing. Le premier, avenue Dolez à Uccle, offre 34 appartements, tous vendus sauf un et livrés en septembre.  » Pour le deuxième, au 304 avenue Louise, même à 2 800 euros le m2, avec des finitions exceptionnelles, on peine à trouver preneur pour l’instant « , avoue Olivier Michel, qui porte sur le marché du neuf un avis intéressant :  » On ne vend plus rien… mais il n’y a pratiquement plus rien à acheter sur le marché. Etrange, non ?  » Et de pointer du doigt, comme tant d’autres professionnels du secteur, les banques, chaînon indispensable et manquant, qui ne jouerait plus son rôle pour l’instant et tuerait le marché. Autre point préoccupant pour les particuliers à la recherche d’un bien : à l’Institut des agents immobiliers (IPI), où l’on recense, contrôle et encadre quelque 9 000 courtiers agréés, on déclare avoir toujours dans ses plaquettes la société Upptown, pourtant disparue du paysage depuis janvier dernier…

(1) Prénom d’emprunt

Dossier réalisé par Philippe Coulée, Anne-Catherine De Bast et Stephan Debusschere

On peut encore faire de très bonnes opérations sur un marché très couru

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