Vaniteux Henri II!

Après deux années de restauration acharnée, le donjon du château de Douvres, en Angleterre, s’offre au public exactement comme il dut être voici huit siècles : meublé, animé, coloré, fastueux, faraud…

C’est un cube presque parfait (30 mètres de côté, 26 de hauteur), posé comme un gros Lego de pierre et de chaux sur les falaises blanches du Kent. Grège et massif, le donjon de Douvres en met plein la vue, depuis plus de huit cents ans, à tous ceux qui abordent l’Angleterre par la Manche. Par beau temps (ce qui est rare), sa carrure se profile déjà, dit-on, à mi-chemin du Channel… Chaque voyageur pense alors qu’à l’instar de toutes les tours médiévales, le mastodonte n’est pas là par hasard : la forteresse, c’est sûr, dut servir d’emblée de rempart contre des armées d’assaillants. Et pourtant… Quand Henri II ordonne sa construction (en 1180), celui qui règne de l’Ecosse aux Pyrénées ne connaît pas vraiment d’ennemis redoutables. Il gouverne lui-même la Normandie (tout comme l’Anjou et l’Aquitaine), et noue d’excellents rapports avec Philippe d’Alsace, comte de Flandre, son voisin  » d’en face « . Rien, en vérité, ne le menace. Alors, quel besoin d’investir des sommes pharaoniques dans cet impressionnant pâté carré ? C’est qu’Henri II, homme de goût, d’humour, énergique, cultivé, diplomate, a un problème de  » relations publiques « . Dû essentiellement à son ancien chancelier Thomas Becket, dont il a sans doute commandité l’assassinat, en 1170 : en trois années seulement, l’archevêque martyrisé est devenu l’objet d’un culte qui draine à Canterbury des milliers de pèlerins, dont les princes les plus puissants d’Europe. Becket, en somme, vole la vedette à Henri II… Sans compter que ce dernier n’a rien de très tape-à-l’£il, dans le coin, pour recevoir correctement ses hôtes de marque… Très mortifié, en 1179, par la visite ratée (en raison du manque de logements adéquats) de Louis VII (qui fut aussi l' » ex  » de son épouse Aliénor d’Aquitaine, ce qui dut rajouter à la honte), Henri II décide de prendre le taureau par les cornes. En moins de sept ans, il fera bâtir à Douvres un bâtiment qui, désormais,  » en jettera « …

Avec ses murs de 6,5 mètres d’épaisseur, ses quatre vastes chambres et leurs nombreuses annexes, ses deux chapelles, ses cuisines, son puits, ses sanitaires et son système d’égouts sophistiqué, le donjon de Douvres peut désormais asseoir le prestige du roi comme de ses héritiers successifs. Resté, au fil des siècles, la pièce maîtresse d’un château qui n’a cessé de s’agrandir (et qui attire, chaque année, quelque 300 000 visiteurs), il n’offrait toutefois plus qu’une  » coquille vide « .  » Certes, on y lisait toujours la puissance et l’ambition de son bâtisseur, mais il fallait pas mal d’imagination pour se représenter comment on y vivait alors « , constate Edward Impey, directeur de projet à l’English Heritage, l’organisme gouvernemental en charge du patrimoine au Royaume-Uni. Après deux années de recherche et de travaux, la rénovation du donjon (coût : près de 3 millions d’euros) permet dorénavant au public de se plonger littéralement dans le faste d’une cour angevine de la fin du xiie siècle.

partout des bruitages et des odeurs

Quelque 140 artisans (menuisiers, ébénistes, forgerons, licières, brodeuses…), rodés aux techniques et à l’esthétique de l’époque, ont ainsi reproduit 1 300 objets (parmi lesquels des trônes, portes, lits, écritoires, coffres, barriques, instruments de musique, jeux d’échecs, verres, couverts, vêtements, coussins, tentures…) destinés à meubler les différentes pièces du donjon. Principale difficulté ? La rareté des références. Il subsiste très peu de mobilier datant du début du bas Moyen Age. Il a donc fallu s’inspirer de manuscrits, d’enluminures et de peintures murales, éparpillées un peu partout en Europe. Le résultat est impressionnant : si la grandeur des Tudor semble assez familière aux sujets de Sa Majesté, la découverte de la société dirigeante du xiie siècle devrait les propulser sur une autre planète. Sur trois étages, l’habillage des pièces est riche et… ludique : la décoration d’intérieur fait appel à des pigments aux teintes proprement ahurissantes (beurre frais, bleu azur, jade, safran, rouge nacarat…), plus proches des jouets d’enfants que de la grisaille médiévale. L’ensemble dégage toutefois un petit air dérangeant de  » trop neuf « , que les concepteurs du projet justifient néanmoins :  » Propre et net. On peut penser que les locaux étaient préparés ainsi pour l’arrivée des invités et de leur suite. Ce dut être le cas lors de la réception donnée en l’honneur du comte de Flandre, en 1186.  » Pour adoucir ce sentiment d’étrangeté, des acteurs en costume déambulent dans le donjon – on croise ainsi Henri II, son fils Jean, son bouffon Roland le Péteur, une blanchisseuse… -, tandis que des hologrammes projettent, face aux visiteurs, le fantôme d’autres personnages grandeur nature (des nobles, accoudés à un balcon de la salle du trône, échangent d’intéressants ragots en anglais, puis en français). Partout, des bruitages et des odeurs (de cuisson ou de brasserie dans les caves, notamment) tendent à reproduire l’atmosphère d’un immeuble en pleine activité. Dans les salles principales, de vrais feux ouverts crépitent. Ils sont toutefois d’inévitables anachronismes, puisque c’est Edouard IV qui a fait creuser ces cheminées dans la pierre, vers 1470 (il a aussi élargi quelques fenêtres, en passant). Au xiie siècle, les chambres, plus sombres, étaient chauffées par des brasiers allumés en plein milieu des pièces – bonjour la suie et la fumée…

Le château de Douvres est ouvert tous les jours jusqu’au 1er novembre. Renseignements au +44 1304 211067 ou sur www.english-heritage.org.uk

valérie colin

on y croise henri II, son fils jean, son bouffon roland le péteur…

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