Valls côté Intérieur

Des Roms à l’affaire Dieudonné, l’homme fort du gouvernement français n’en finit pas d’occuper le terrain. Laissant peu de place à l’improvisation et aux sentiments. Un livre décortique les ressorts de son ascension. Extraits.

Je suis ministre de l’Intérieur, j’aime les hold-up. Et alors ? A la primaire du Parti socialiste français, en 2011, Manuel Valls obtient 5,63 % des voix. Aujourd’hui, il est le plus populaire du gouvernement. Dans une enquête fouillée sur les ressorts politiques et psychologiques de l’homme comme sur son action au ministère de l’Intérieur, David Revault d’Allonnes et Laurent Borredon, journalistes au Monde, racontent une ascension à la fois spectaculaire et contestée. François Hollande confie aux auteurs :  » Ce ne sont ni son score à la primaire ni son ralliement qui justifiaient sa nomination dans ce ministère. C’est son attitude pendant la campagne et sa connaissance des questions de sécurité publique comme son expérience de maire d’Evry. Pas seulement sa fidélité, mais son efficacité.  » Alors, la gauche française peut tousser –  » Sa vie est un calcul. Ses amis sont des calculs. La façon dont il sourit est un calcul « , dit un  » camarade  » cité dans le livre -, lui avance. Jusqu’où ?

[EXTRAITS] Une perpétuelle guérilla politique

Celui qui se vit comme le  » ministre de l’actualité  » n’en finit plus d’arpenter les théâtres de faits divers. Certes, coûts et bénéfices politiques sont là encore chaque fois soigneusement soupesés. Mais un impératif l’emporte.  » Mieux vaut surréagir inutilement plutôt que de passer à côté de quelque chose « , glisse Sébastien Gros (son chef de cabinet). Il ne pouvait évidemment manquer de se rendre à Lourdes, le 19 juin 2013, après les inondations meurtrières causées par la crue du gave de Pau. Il y reviendra même le lendemain en compagnie de François Hollande. Le 12 juillet, après maintes réflexions, il quitte le Gard, où il doit prononcer un discours politique important le lendemain, pour arriver en fin de soirée à Brétigny-sur-Orge, où un train Intercités a déraillé, faisant sept morts. Peu importe si le président Hollande, Jean-Marc Ayrault et le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, sont déjà passés. Le ministre arrive, fait une rapide déclaration devant les caméras, refuse de répondre à la presse écrite et repart, direction le Gard, où il atterrit dans la nuit… Manuel Valls, assurément, est partout. Une stratégie de harcèlement médiatique pour une perpétuelle guérilla politique.

Ses propres troupes, parfois, s’avouent dépassées. Son conseiller politique, Yves Colmou :  » Sur l’opportunité d’aller sur telle ou telle matinale, je serais parfois plus économe. Pas lui. Nous avons peur nous-mêmes en voyant le nombre de déplacements.  » Sa plume et son responsable de la communication, Harold Hauzy :  » Il y a chez Valls un appétit, un investissement quasiment physique qui est assez impressionnant. C’est un Gargantua de l’action.  » Sébastien Gros :  » Il se plaint quand il ne bouge pas. Quand il a un week-end tranquille, ce qui est rarissime, il me dit : « Viens, on fait un déplacement ! » Il en veut toujours plus. Une heure à ne rien faire, pour lui, est une heure perdue.  »

Et Manuel Valls n’est pas homme à souffrir le moindre retard. Ce vendredi 12 juillet 2013, le ministre de l’Intérieur se tortille sur son siège dans le TGV qui doit l’emporter vers Nîmes. Le programme, comme il se doit, est chargé : une visite de zone de sécurité prioritaire et d’une future base de Canadair, une remise de la Légion d’honneur à un vieil ami politique et, le lendemain, un grand discours dans un mas camarguais. Mais le train reste inexorablement accroché au quai de la gare de Lyon.  » C’est insupportable « , fulmine Valls, particulièrement crispé. Quand une voix annonce que son train aura une heure de retard, le ministre de l’Intérieur bondit sur son portable et se fend d’un long SMS… au patron de la SNCF en personne, Guillaume Pepy. En substance :  » Je suis attendu à Nîmes pour plusieurs rendez-vous très importants et le TGV a une heure de retard ! Pourquoi est-ce qu’on ne change pas de train ?  » Le ton se veut humoristique. Mais, sous les smileys, le coup de pression est net. Guillaume Pepy répondra d’ailleurs illico pour expliquer, gêné aux entournures, que  » changer de train  » prendrait bien plus de temps. Preuve de l’importance de l’incident, le directeur de cabinet du président de la SNCF appellera même dans le quart d’heure l’équipe du ministre pour montrer que l’affaire est prise très au sérieux…

Manuel Valls ne rechigne pas à se faire redouter. Ce qui explique qu’au sein de son équipe l’ordre règne.  » Ils sont tous pétés de trouille, explique un conseiller ministériel. Manuel a un côté un peu fascistoïde. C’est un vrai mâle dominant, qui a une certaine brutalité. Les mecs obéissent. Couché, pas bouger.  » D’où, autour de lui, une forme d’esprit commando que l’on ne retrouve dans aucune autre équipe ministérielle du gouvernement Ayrault.  » Ce n’est pas un garçon qui laisse les choses au hasard, dit son allié Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des Lois. Rien n’est anecdotique pour lui. Il ne fait pas confiance aux gens. Il contrôle tout.  »

Il y a néanmoins un secteur dans lequel les expérimentations de Manuel Valls sont beaucoup plus hasardeuses : les invraisemblables fautes de goût vestimentaires auxquelles il a, de fort longue date, habitué ses collaborateurs.  » Manuel n’a aucun goût vestimentaire, se désole l’un d’eux. Il n’a pas de stratégie. Pendant des années, on s’est battus avec lui pour ses cravates, ses chemises…  » Peine perdue. Son équipe déposera même discrètement sur son bureau de la mairie d’Evry, un jour, une  » compil’ des meilleurs articles  » recensant les pires looks jamais arborés par le patron. Un de ses proches tient ainsi à évoquer  » quelques moments clés de honte : un ensemble hallucinant de mocheté cravate mauve et chemise mauve ; un 20 Heures avec chemise grise en satin brillant et cravate façon maquereau, grise comme un poisson ; et surtout une photo parue dans Le Point avec chemise jaune et cravate jaune pétard en satin… La honte de sa vie ! « . A l’orée de la primaire, ses collaborateurs, à bout, s’en sont ouverts à lui :  » Manuel, ça ne va plus !  » Mais le candidat avait alors évacué, orientant son staff vers sa compagne :  » Allez vous expliquer avec Anne !  » Délicat… Le sujet, au sein du staff, demeurera tabou. Et il aura fallu attendre la première sortie du ministre de l’Intérieur à Marseille, imperméable blanc tout juste acheté sur un costume crème, façon Borsalino, vite immortalisé par Les Guignols de l’info, pour que Manuel Valls en revienne à de plus sobres dispositions. […]

Hollande et lui, des amis de deux ans

Ces amarres ténues avec François Hollande, Manuel Valls les avait rompues après le référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005 qui avait vu le parti se déchirer.  » Il ne me faisait plus confiance « , admet Valls, qui constate que Hollande était alors devenu  » très distant « . Au point de n’être pas venu à son mariage, auquel le député et maire d’Evry avait pourtant convié tout ce que le PS compte de caciques. François Hollande n’avait pas apprécié que Manuel Valls, quelques jours plus tôt, le compare à Raymond Domenech, le calamiteux sélectionneur des Bleus lors du Mondial de foot en Afrique du Sud. […]

Le président lui-même en témoigne :  » Avant la campagne présidentielle, Valls ne faisait pas partie de mes proches, d’un point de vue politique ou amical, ce n’est qu’à cette occasion que nous nous sommes mieux connus et appréciés.  » […] De fait, entre les couples Hollande-Trierweiler et Valls- Gravoin, le courant passe. Tous quatre sortent régulièrement pour dîner ensemble. Et certaines invitations constituent presque une marque de distinction, qui autorisent le premier flic de France à se prévaloir de l’intimité du chef de l’Etat. Le 12 août 2012, Manuel Valls et son épouse, de passage sur la Côte d’Azur, sont invités au fort de Brégançon, lieu de villégiature présidentielle où François Hollande et Valérie Trierweiler passent quelques jours, pour y fêter le cinquante-neuvième anniversaire du président. Il est, avec son homologue des Transports Frédéric Cuvillier, quasi inconnu mais hollandais historique du PS, le seul membre du gouvernement présent. Ils y croisent également Jean-Pierre Jouyet, camarade de promotion à l’ENA et vieux complice de François Hollande. C’est un signe : le ministre de l’Intérieur fait bel et bien partie du premier cercle. Au soir du 31 décembre 2012, il est encore invité à l’Elysée, là encore comme Jean-Pierre Jouyet, avec lequel il entretient des relations amicales, pour réveillonner avec le président, qui présentera ce soir-là ses premiers voeux à la nation.

Le patron de l’Intérieur, de fait, prend toujours plus d’assurance. Et à mesure que Manuel Valls, par son activité politique de tous les instants, gagne du terrain et étend sa surface politique, François Hollande se montre chaque jour un peu plus vigilant quant à ses avancées. Beaucoup, jaloux sans doute, ne manquent pas de le souligner.  » Son influence s’est atténuée, confirme une ministre importante. Le président consulte maintenant de façon plus diver-sifiée et prend plus de recul. Il a une analyse un peu moins traumatisée de la popularité de Manuel, qui a été pendant un moment un facteur d’intimidation.  » Diagnostic d’un des vieux compagnons de Hollande :  » Il a été le chouchou du président en début de quinquennat, il l’est un peu moins. Ça doit quand même l’agacer. Hollande déteste qu’on l’enferme dans une relation qui le rendrait dépendant. Pendant la campagne ou la période de l’installation, ça allait. Mais quand il a pris ses aises, Hollande a compris que l’autre l’enfermait dans cette relation. Et il a essayé d’en sortir.  » Un haut dirigeant socialiste confirme :  » C’est bien d’être dans les premiers-ministrables. Ça l’est nettement moins d’être trop vite présidentiable, surtout quand il y a un président en face. Il a donné l’impression d’avoir une stratégie pour s’imposer au président. C’était une erreur.  » Le ministre, une fois, l’a d’ailleurs confié à ses proches :  » Le regard de Hollande sur moi a changé…  »

 » Nous sommes étouffés par l’exercice du pouvoir  »

(En juin 2013, aux Etats-Unis, devant un think tank proche des démocrates, Manuel Valls parle sans langue de bois.)  » La question, c’est : quelle coalition créons-nous ? Lors de l’élection, François Hollande a réussi à fédérer les jeunes, les personnes issues de l’immigration, un peu les ouvriers, les femmes. Mais, en quelques mois, tout cela s’est évaporé. Vous me dites qu’Obama est tombé dans les sondages, mais Hollande serait content d’être à ce niveau !  » Subrepticement, il en vient à un débriefing critique d’une catastrophique première année de gouvernement socialiste et de son impréparation.  » Il y a une réflexion que nous, socialistes français, n’avons pas eue par rapport à l’exercice du pouvoir. Les difficultés de Clinton, puis d’Obama rappellent les nôtres. Succéder à des personnalités comme Bush ou Sarkozy permet de dire qu’il va y avoir un changement, sans se préoccuper de le définir. Mais quel est ce changement ? Il faut réinventer cette réflexion. Aujourd’hui, nous sommes étouffés par l’exercice du pouvoir.  » Le président appréciera…

Valls, à l’intérieur, par David Revault d’Allonnes et Laurent Borredon. Robert Laffont, 288 p.

E. M.

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