Noah Vanden Abeele a " toujours eu une relation compliquée avec le monde du classique. " © DR

Une simple intuition

C’est ce 7 février que s’ouvrent les Piano Days à Flagey, à Bruxelles. Avec, notamment, Noah Vanden Abeele, nouveau talent d’une vague de musiciens  » néoclassiques « , dont le corset académique n’a pas réussi à étouffer les envies d’improvisation.

 » Le monde du classique évolue. Il n’a pas le choix, sous peine de se retrouver complètement isolé. Mais croyez-moi, il reste encore beaucoup de travail…  » Assis dans un café bruxellois, Noah Vanden Abeele affiche un grand sourire rêveur. Aucune amertume dans ses propos : le pianiste a toujours tracé sa route sans trop se soucier de ce qui pouvait se passer autour de lui. Son premier album, Universe, sorti en 2018, a fait son petit bout de chemin – sur les plateformes de streaming, il a même trouvé un public aux Etats-Unis. Pour le situer, on glissera facilement sa musique à côté des paysages mélodiques sensibles d’un Yann Tiersen ou d’un Ludovico Einaudi – quand on le lui suggère, il tique mais ne réfute pas complètement. Cocher donc la case néoclassique –  » même si je ne vois pas trop ce que cela veut dire exactement « . Cela ne l’a de toute façon pas empêché l’été dernier de jouer, par exemple, sur la scène d’un festival comme le… Gent Jazz.

Je ne suis pas un jazzman, ce n’est pas en moi.

Prochainement, c’est celle de Flagey qui l’accueillera, dans le cadre de ses Piano Days (1). Avec cette année, une édition taille XXL, à l’occasion des 250 ans de la naissance de Beethoven. Pour autant, le festival ne se limitera pas à la musique classique. Plus populaire que jamais, le piano servira de fil rouge entre différents genres, prétexte à une balade entre toutes les nuances du clavier. Ce qui correspond finalement bien à l’idée que Noah Vanden Abeele se fait de l’instrument : libre avant tout…

De Bach à Chaplin

Son truc, c’est en effet l’improvisation. C’est par là que tout a commencé, de la manière la plus naturelle qui soit : à 4 ans, en tapotant sur les touches du piano droit hibernant dans un coin du salon de ses grands-parents.  » Personne n’y touchait. Je me souviens qu’il y avait même deux chandeliers posés dessus. Pour moi, c’était comme un grand jouet. Je devais faire attention, évidemment. Mais, doucement, je cherchais, je créais mes mélodies. Au bout d’un moment, ils ont décidé de me le donner.  »

Né à Renaix, en 1982, Noah Vanden Abeele a grandi à Ellezelles, pas loin de la frontière linguistique – son français est d’ailleurs resté des plus fluides. C’est là que, vers 8 ans, il va suivre ses premiers cours de piano. Ils se révéleront particulièrement traumatisants…  » Il faut dire que mon professeur était terrible. Je me rappelle qu’il accrochait des crayons pointus sur le bord du clavier, pour que je ne pose pas mes poignets trop bas. J’ai tenu pendant deux ans, et puis j’ai supplié mes parents de pouvoir arrêter.  » Pas grave. Il retrouvera l’académie et le conservatoire un peu plus tard. En attendant, l’épisode n’a pas réussi à le dégoûter de l’instrument. Il continue à explorer de son côté.  » Pendant des semaines, j’improvisais sur deux accords. Je finissais par tomber sur quelque chose, mais quand je voulais m’y remettre, le lendemain, j’avais souvent oublié le plus gros. Cela n’était pas grave. Cela me permettait de trouver autre chose, d’amener de nouvelles variations. Aujourd’hui, je donne des cours d’improvisation à l’académie. Je répète toujours qu’il vaut mieux commencer très petit, ne pas se lancer directement dans des choses trop complexes.  »

A l’adolescence, ses parents divorcent. Le terrain familial devient alors explosif, voire carrément chaotique. Il n’en dira pas plus.  » Je n’ai pas spécialement envie de développer. Mais je suis tombé très bas. Dans ces moments-là, je me suis accroché à la musique.  » Il se souvient bien du moment, à 17 ans, où il a décidé de consacrer sa vie au piano, du vertige et de l’angoisse que cela lui a procuré, mais aussi du soulagement qu’il en a tiré : son choix était fait, il pouvait avancer sereinement. Il faut parfois se rendre à l’évidence… A l’académie, à Renaix, son prof de piano l’encourage d’ailleurs à entrer au conservatoire.  » J’aimais improviser, mais je sentais que j’avais besoin de technique supplémentaire. Je me suis retrouvé dans un endroit où la plupart des autres étudiants avaient des parents musiciens ou avaient cumulé des stages d’été pendant des années, en plus de leur formation en académie. Moi, pas du tout. Mais j’ai bossé, je me suis plongé entièrement dans mon instrument, au point de perdre complètement de vue mes amis.  »

(1) Universe, Noah Vanden Abeele, distr. Munich Records. En concert le 15 février, aux Piano Days, à Flagey, à Bruxelles.
(1) Universe, Noah Vanden Abeele, distr. Munich Records. En concert le 15 février, aux Piano Days, à Flagey, à Bruxelles.

Noah Vanden Abeele étudie donc au Conservatoire royal de Bruxelles, passe ensuite un an à l’Académie de musique de Cracovie, avant de s’initier au jazz au côté de Nathalie Loriers.  » J’en écoute pas mal, Coltrane, Herbie Hancock, etc., et j’admire des artistes comme Brad Mehldau. Mais je ne suis pas un jazzman, ce n’est pas en moi.  » Sa curiosité naturelle l’amène également à jouer pour des compagnies de danse (Parts, entre autres). En outre, dès 2012, il devient l’un des pianistes attitrés de la Cinematek, dont il accompagne en direct les films muets. Aujourd’hui encore, il continue de jouer plusieurs fois par mois.  » La première fois, c’était dans le cadre d’un cycle sur les séries B. Je n’avais rien compris du tout au film ! (rires). Mais ce n’était pas important. D’ailleurs, aujourd’hui encore, je n’ai pas vu 80 à 90 % des longs métrages avant de les accompagner. En fait, l’image est la partition à partir de laquelle je me mets à développer ma propre petite musique.  »

Le classique est évidemment toujours là, de Bach à Chopin –  » l’important étant de varier, vous ne mangez jamais tous les jours la même chose non plus « . Mais ce n’est pas son seul horizon, loin de là. Parce qu’encore trop corseté ?  » J’ai toujours eu une relation compliquée avec le monde du classique. Au conservatoire, j’ai essayé de m’adapter. Mais, ce qui me plait, c’est de créer, inventer. Or, ce n’est pas du tout ce que l’on vous apprend. Ma copine, qui a fait les beaux-arts, n’a jamais compris ça non plus. C’est comme si on nous demandait de passer notre temps à repeindre les mêmes tableaux des vieux maîtres !  » Ajoutez à cela un complexe de supériorité dont le milieu ne s’est jamais vraiment départi…  » Sortir mon CD, par exemple, m’a demandé un certain courage. Parce que je savais bien quelle allait être la réaction de mes collègues…  »

De toute façon, Noah Vanden Abeele est le premier à l’admettre : tout instrumental et  » cinématographique  » soit-il, Universe n’est pas un disque de musique classique. Et cela n’est même peut-être pas très important au final. Pour le suivant, le pianiste se voit d’ailleurs bien partir encore ailleurs, vers des boucles plus électroniques.  » Le plus important étant de rester authentique… « 

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