Une sexologue belge réinvente le couple

Pour réveiller le désir, pratiquez l’intelligence érotique. C’est ce que prône la Belge Esther Perel, gourou du sexe à New York, et auteure d’un livre qui a connu un succès planétaire.

De nos jours, les couples stables sont censés faire l’amour et aimer ça. Dans la réalité, nombre d’entre eux, stressés par la vie de tous les jours, mènent une vie dénuée de tout érotisme et du moindre piquant. Pourtant, dans leurs fantasmes, ils se consument de désir. Ils vivent leur vie sexuelle par procuration. Au programme : cybersexe et films X pour les plus hard, rêveries enflammées pour les romantiques. Erotiquement, ils sont comme la Belle au bois dormant. D’où vient ce paradoxe ?  » Nous partageons tous un besoin fondamental de sécurité qui nous pousse à privilégier les relations stables, répond la sexologue Esther Perel. Mais nous avons tout autant besoin d’aventure et d’excitation. Nous attendons de nos relations à long terme qu’elles soient à la fois romantiques et épanouissantes sur les plans affectif et sexuel. « 

Esther Perel a grandi en Belgique, étudié en Israël et terminé sa formation aux Etats-Unis. Ses parents ont survécu aux camps de concentration nazis. Ils sont sortis de cette expérience avec l’énorme envie de profiter au maximum de chaque jour. Un goût de la vie inscrit dans les gènes de cette quinquagénaire belge installée à New York et qui a connu un succès mondial avec son livre L’Intelligence érotique (Robert Laffont, 2007). Sa conviction profonde, renforcée par vingt ans de pratique, est qu’en cherchant la sécurité à tout prix, beaucoup de couples confondent amour et fusion.  » Or, pour maintenir l’élan vers l’autre, il faut avoir une distance à franchir, dit-elle. L’érotisme a besoin de séparation. Ce que j’appelle un espace érotique, on le trouve chez des couples qui vivent. Pas chez ceux qui survivent. Pour communier avec l’être aimé, nous devons être capables de tolérer ce vide et sa part d’incertitude.  » Autre paradoxe : la sexualité conjugale subit des pressions pour être égalitaire et sans risque. Des caractéristiques qui suscitent immanquablement l’ennui.  » Il me semble possible d’avoir une sexualité plus excitante, plus ludique, voire frivole, en se libérant un peu de notre tendance à faire de la démocratie en chambre « , remarque Esther Perel. Aujourd’hui, les couples investissent davantage dans l’amour qu’autrefois. Or les divorces n’ont jamais été aussi nombreux. Dès lors, la thérapeute pose la question :  » Les structures maritales classiques s’accordent-elles encore avec le traditionnel « jusqu’à ce que la mort nous sépare », quand la durée de vie est deux fois plus longue qu’il y a un siècle ?  » Il est temps d’envisager une autre approche.

Espace érotique

Sexualité et intimité affective ne parlent pas le même langage.  » J’aimerais redonner au corps sa place légitime dans les discussions sur le couple et l’érotisme, continue la thérapeute. Le corps porte en lui des vérités émotionnelles que les mots laissent souvent de côté.  » Au cabinet de celle que l’on considère comme le gourou du sexe de New York, même si elle s’en défend, défilent des couples de toutes sortes.  » Je vois des gens qui éprouvent une telle amitié l’un pour l’autre qu’ils ne peuvent supporter d’être amants. Des amants qui s’accrochent d’une façon si obstinée à l’idée que le sexe doit être spontané qu’ils ne le pratiquent jamais. Des couples qui considèrent que la séduction demande tant d’efforts qu’ils ne devraient plus avoir à s’en soucier dès qu’ils sont en couple. D’autres pour qui l’intimité signifie tout savoir l’un de l’autre et qui, ayant abandonné toute idée de distance, se demandent où le mystère a pu fuir. Des femmes qui préfèrent être considérées comme ayant une faible libido par leur partenaire plutôt que de devoir lui expliquer que les préliminaires sont bien davantage qu’un prélude à l’amour. D’autres encore qui cherchent si désespérément à repousser l’engourdissement de leur couple qu’ils sont prêts à tout risquer pour vivre avec quelqu’un d’autre des moments de plaisirs clandestins. Des couples dont la vie sexuelle est ranimée par une aventure extraconjugale. D’autres pour qui cette même aventure achève ce qui tenait encore lieu d’union. Des hommes âgés qui se jettent sur le Viagra et dont les femmes, accommodées de cette passivité, se retrouvent mal à l’aise devant ce défi. Des hommes qui regardent des pornos sur Internet, non parce qu’ils trouvent leur femme peu attirante, mais dénuée d’enthousiasme.  » Autant de personnes en manque, non pas nécessairement de sexe, mais bien de vitalité érotique, ce sentiment d’intimité et de jeu permis par le sexe.  » Dans un couple érotique, il y a une énergie, de l’admiration pour l’autre et un encouragement. L’espace érotique donne à chacun la possibilité de s’épanouir. Cela peut être partir en voyage sans l’autre, assouvir une passion non partagée. Aujourd’hui, chaque couple délimite ses propres limites. « 

Imprévisibilité + insécurité = excitation

Pour Esther Perel, amour et désir ne s’excluent pas l’un l’autre. Nous avons tous besoin de nouveauté et de changement. Avez-vous déjà vu un enfant s’éloigner en courant pour explorer ce qui l’entoure, avant de revenir à la hâte vérifier que ses parents sont toujours là ? Une fois son besoin d’exploration satisfait, il aspire à revenir à un univers sécurisant pour y reprendre des forces. Un exercice qu’il continuera à pratiquer sa vie durant, tout particulièrement dans les jeux du désir. Les relations entre adultes reflètent cette dynamique.  » Pour les couples modernes, le défi consiste à réconcilier le besoin de sécurité et de prévisibilité avec celui d’excitation et de frisson que donnent l’imprévisibilité et le mystère.  » Pour quelques élus, c’est à peine un défi de devenir parents et de rester des amants passionnés. Mais pour beaucoup d’autres, c’est une autre paire de manches. Au début d’une nouvelle relation, nous ressentons une incroyable alchimie avec l’autre. Comme nous souhaiterions conserver cet état merveilleux ! En même temps, nous faisons tout pour conserver cet amour naissant. Nous nous attachons. Nous commençons à nous engager, et nous cédons un peu de notre liberté.  » Or l’excitation est liée à une certaine dose d’insécurité, rappelle Esther Perel. En voulant contrôler les dangers de la passion, nous la faisons disparaître. Le désir est en conflit total avec les habitudes et la répétition.  » Bonjour, l’ennui.  » Dans les relations stables, la tendance est très forte de privilégier le prévisible à l’imprévisible. Pourtant, c’est dans l’imprévisibilité que l’érotisme se développe. Sans cette part d’incertitude, il n’y a ni attente, ni désir, ni frisson. « 

L’excitation naît de l’incertitude, de notre empressement à vouloir étreindre l’inconnu plutôt qu’à nous en protéger. Comment réintroduire cette délicieuse incertitude dans le couple ? Comment créer ce délicat déséquilibre ? En sachant que la permanence dans une relation n’existe pas. Rien n’est jamais acquis. Seul l’éphémère est la constante.  » Lorsque nous aimons, nous sommes forcément confrontés au risque de la perte, que ce soit à travers la critique, le rejet, la séparation ou la mort, rappelle Esther Perel. Pour renouer avec l’incertitude, il suffit parfois d’abandonner l’illusion de la certitude. Nous pouvons alors, grâce à ce subtil changement de perception, reconnaître à nouveau le mystère de notre partenaire. Pour maintenir le désir sur le long terme, il faut être capable d’intégrer une part d’inconnu dans un espace familier.  » Mais l’amour est par nature instable. L’érotisme représente un risque. Alors, on reste dans des territoires connus : fâcheries sans intérêt, train-train quotidien, routine sexuelle.  » Pour nous sentir davantage en sécurité, nous consolidons, renforçons les frontières, fermons les écoutilles et rendons les choses prévisibles. Nous parvenons peut-être à un paisible arrangement conjugal, mais nous installons à coup sûr l’ennui. La relation se dévitalise.  » Les couples se demandent alors : où est passé le plaisir ? Où sont passés l’excitation, les frissons ? Où est l’étincelle ?

Le feu a besoin d’air

Pour certains thérapeutes conjugaux, si les deux partenaires sont attentionnés, confiants et honnêtes l’un envers l’autre, alors, leur vie érotique doit être intense. Une relation stable fouetterait le désir ? Bien sûr que non. Le train-train ne se nomme pas désir. Pour Esther Perel, un accroissement de l’intimité affective va souvent de pair avec un fléchissement du désir et de l’intensité sexuelle. Elle a entendu tant de couples lui dire :  » Notre relation est satisfaisante, mais nous ne faisons plus l’amour.  »  » En réalité, l’amour est parfois un obstacle au désir, dit-elle. La sexualité a sa propre existence, un peu à la manière d’une histoire parallèle.  » Et quand l’intimité vire à la fusion, cet excès de proximité entrave carrément le désir.  » Quand il n’y a plus de pont à franchir, d’incursion à entreprendre dans l’univers de l’autre, il ne reste plus rien à transcender.  » La séparation est la condition sine qua non à la formation du lien. Seule la distance est érotique. Voilà le paradoxe essentiel entre sexe et intimité. Autre paradoxe : le rapprochement érotique et affectif génère une proximité qui peut devenir écrasante. La fusion des corps peut être vue comme une forme d’anéantissement. Elle peut même rendre claustrophobe lorsqu’elle est perçue comme intrusive. Le nid protecteur des débuts devient alors prison.  » L’intense fusion émotionnelle et physique n’est possible qu’avec quelqu’un que nous ne connaissons pas encore. Dès que la liberté et la spontanéité, nécessaires à l’expression du désir, sont hypothéquées, certains se sentent pris au piège de l’intimité. L’intensité de la passion sexuelle fait naître alors la peur de l’engloutissement. Ce qui explique l’envie de certains de fuir après l’orgasme. « 

Le désir sexuel obéit à ses propres lois. Il a besoin d’esprit de rébellion. Alors qu’une relation affective harmonieuse suppose la raison, la compréhension, la compassion et la camaraderie, le sexe ne mange pas de ce pain-là. Il suscite davantage obsessions irrationnelles et désir égoïste. Dans l’ombre du désir se tapissent l’agressivité, le pouvoir, la volonté de faire de l’autre un objet. Ces composantes de la passion ne nourrissent pas l’intimité. Le désir a besoin de mystère. L’intimité croît avec la répétition et l’habitude, l’érotisme s’engourdit à leur contact. Il s’épanouit dans le nouveau, l’inattendu.  » En s’installant dans le confort de l’amour, les couples cessent trop souvent d’attiser la flamme du désir. Ils oublient que le feu a besoin d’air.  » L’intelligence érotique, au contraire, consiste à être capable de rétablir la distance et la rendre vivante.

Mettez du X à la maison

Quand, étouffée sous l’affection, l’étincelle de la passion n’est plus au rendez-vous, il est temps de prendre de la distance. Comment ?  » En sortant du confort de l’intimité et en acceptant de ressentir davantage de solitude, répond Esther Perel. En ayant chacun ses centres d’intérêt, on reste intéressé et intéressant pour l’autre en tant qu’objet du désir. Avec un regard qui dit : « Je ne t’appartiens pas ».  » L’espace érotique se crée hors de la gestion du quotidien.  » On flirte bien avec d’autres par e-mail, SMS. Pourquoi pas le faire aussi avec son partenaire de vie ? Se créer une adresse perso, rien que pour deux. Interdiction de parler du quotidien et des enfants. Mais avec des échanges d’amants dans un espace imaginaire. C’est important de devenir imaginatif. On recommence à se séduire. La séduction, cela se cultive. « 

Pour pimenter la relation et garder vivant le désir, certains couples invitent l’interdit à la maison. Ils y introduisent du X.  » Je ne veux pas qu’il me soit infidèle, dit Carole, mais savoir que c’est possible maintient mon désir pour lui.  » Ces couples partagent leurs fantasmes, lisent de la littérature érotique ou évoquent ensemble leurs souvenirs les plus hot. OK, le livreur de pizza est sexy, mais la femme du voisin ne déplairait pas à Marc.  » A leur façon, ces personnes admettent que leur partenaire a sa propre sexualité, emplie de fantasmes dans lesquels elles-mêmes n’entrent pas toujours. Lorsque la liberté de chacun est reconnue dans la relation, on est moins tenté d’aller la chercher ailleurs. Reconnaître l’attrait d’une troisième personne ajoute du piment à la relation. Cette présence nous rappelle que notre partenaire ne nous appartient pas. Ce n’est pas pour autant que l’on passe à l’acte. « 

Et Esther Perel de rappeler que la spontanéité est un mythe, même au début d’une histoire. Quelle tenue, quels sujets de conversation, quel restaurant, quelle musique ? Cette planification, cette mise en scène minutieuse et pleine d’imagination, joue un rôle dans la montée de l’excitation et participe au dénouement.  » Il ne s’agit pas de programmer le sexe, mais de créer un espace dédié à l’érotisme. Et cela prend du temps.  » Le piment de la séduction n’est pas réservé à ceux qui se fréquentent. Même si c’est plus facile.  » Ce n’est pas parce qu’on vit ensemble qu’on est forcément disponible pour l’autre et dans de bonnes dispositions. Chacun peut avoir besoin de plus d’attention. Espérer, attendre, languir sont des éléments fondamentaux du désir. Le jeu constitue un élément primordial de la relation. « 

Bien davantage que le sexe, le rituel érotique est essentiel.

JACQUELINE REMITS

l’amour est parfois un obstacle au désir

le jeu est un élément primordial de la relation

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