Une responsabilité « morale » ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Fin de parcours agitée pour la commission Lumumba. Experts et députés ont peiné à accorder leurs violons, tandis que le rôle du roi Baudouin dans la mort du leader congolais suscite une polémique

Les experts de la commission Lumumba sont formels: les autorités belges n’ont pas planifié la mort de Patrice Lumumba. On ne peut donc, estiment-ils, parler de « complot » contre le Premier ministre du Congo indépendant. Aux parlementaires de la commission à « déterminer si les instances politiques belges de l’époque portent néanmoins une responsabilité morale dans l’assassinat. » Ces conclusions figurent dans leur rapport de synthèse, dont le contenu a déjà filtré hors de l’enceinte de la commission.

Dans un premier temps, indiquent les quatre experts, l’élimination de Lumumba était « souhaitée » par Bruxelles, mais non préméditée. Puis, en octobre 1960, l' »éventualité » se transforme en « option explicite ». Enfin, la disparition du gêneur devient une « nécessité politique ». Les experts passent curieusement sous silence, dans ces lignes, les manoeuvres clandestines menées en septembre 1960 à partir de Brazzaville, plaque tournante des opérations visant à liquider la figure de proue du nationalisme congolais: opération « Barracuda », projets d’empoisonnement, d’enlèvement, entrée en scène d’un tueur à gages appelé Georges (lire Le Vif/L’Express du 3 août 2001).

Tandis que les experts finalisaient ce rapport d’une vingtaine de pages, les commissaires ont planché, à huis clos, sur leur propre rapport, au départ d’un « texte martyr » proposé par le président de la commission Lumumba, le député VLD Geert Versnick. Cette note a provoqué, dit-on de bonne source, de vives réactions au sein de la commission. Certains membres la trouvaient trop imprécise. « Elle a fait l’objet de nombreux amendements, reconnaît la commissaire Ecolo Marie-Thérèse Coenen. Elle devait à la fois intégrer les avis des experts et le fruit de nos discussions au sein de la commission. Toutefois, comme historienne, je suis choquée de constater que des voix ont critiqué ces jours-ci notre travail sur la base d’une note provisoire. »

Les silences du souverain

Dans ce document, Versnick n’évoque pas le rôle présumé de certains milieux belges dans les projets d’assassinat et dans le transfert de Lumumba au Katanga. Des télex codés et autres documents d’archives dépouillés par les experts ne montrent-ils pas que les instances politiques du pays ont probablement joué un rôle dans cette affaire ? Rien, estime le président de la commission parlementaire, n’atteste que le gouvernement de Gaston Eyskens aurait donné l’ordre d’éliminer l’indésirable.

Versnick s’étend surtout sur le contexte politique de ces événements dramatiques: la guerre froide et la décolonisation. Pour la plupart des Belges, Lumumba est alors le principal responsable du désastre congolais. Au lendemain des fêtes de l’indépendance, la Force publique crée la panique, les militaires belges interviennent et le Katanga brise l’unité du pays. C’est la rupture entre Bruxelles et Léopoldville. Les autorités belges cherchent à déstabiliser le régime congolais, qui veut précipiter l’africanisation des cadres. Des fonds secrets permettent de subsidier des opposants, de financer des campagnes de propagande et d’acheter des armes. Objectif: « Mettre Lumumba hors d’état de nuire ».

Le roi Baudouin, informé du projet de neutralisation complète de l’ex-Premier ministre, ne s’est pas montré hostile à cette idée. Et il n’a rien fait pour sauver Lumumba. C’est la conviction des experts, qui ont confirmé l’existence d’une lettre accablante découverte dans les archives du Palais. Cette missive, annotée par Baudouin, a été rédigée par le major Guy Weber, conseiller de Moïse Tshombe. Ce dernier signale au roi le fait que l' »élimination complète et si possible physique de Lumumba » a été évoquée lors d’une rencontre entre Mobutu et le chef de la sécession katangaise. Mis au courant, Baudouin ne songe pas à avertir le gouvernement. Reste à tirer les conclusions des silences du souverain.

Olivier Rogeau

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire