Une plongée dans un imaginaire drôle et déconcertant

Tout Vrebos, le théâtral. En 900 pages.

Moi, je me fais passer pour celui que je ne suis pas afin de préserver celui que je crois être .  » Peut-on prendre cette réplique d’un des personnages de la pièce Le Bigame pour un aveu dissimulé de son auteur, Pascal Vrebos ? L’homme médiatique cache en effet son jeu auprès de la plupart de ses fans : avant de faire de la radio et de la télévision (ou encore d’enseigner), il est surtout un romancier et un dramaturge prodigue. En témoigne la compilation de l’ensemble de ses pièces, parue aux éditions Le Cri, sous le titre îuvre théâtrale complète. L’occasion de nous plonger dans quarante ans de création et vingt-trois comédies au compteur. De découvrir un univers théâtral facétieux où évoluent des personnages improbables et loufoques comme l’écrivain Ramax dans Le Mot magique, le Retardataire dans L’Agenda orange ou Zenon dans Le Bigame. Des êtres complexes terrorisés par le temps qui passe qu’ils voient comme  » une mort douce  » (in Crime conjugal). Il leur faudrait  » écarteler le temps, le fondre, le moudre, le piler, le croquer, le broyer, le mastiquer « . Mais, à défaut de pouvoir manipuler le temps, ils déconstruisent le langage, le réinventent, le décortiquent, le désagrègent en mêlant jeux de mots et jeux de rimes : ils ne parlent plus, ne terminent pas leurs phrases ou articulent un sabir incompréhensible, ils sont sans nom ou en changent à tout bout de champ. Des personnages attachants parce que lucides : ils constatent l’échec de leur vie et l’imposture qui les mine,  » je suis un homme masqué organisé  » (in Le Bigame).

Masques et grimaces reviennent comme des leitmotivs tout au long de ces 930 pages :  » Notre vie aura été une belle mascarade et moi un joueur cynique pariant notre vie comme une partie de poker menteur.  » Mais point de pessimisme désespéré chez Vrebos. On s’enchante en effet de sa capacité à n’aborder le tragique de l’existence que par le biais d’un humour noir, grinçant et efficace qui donne parfaitement raison à Ionesco pour qui  » le comique n’est comique que s’il est un peu effrayant « . Et de l’effroi, on en ressent entre autres à la lecture de la très percutante pièce Le Viol d’une petite cerise noire ou d’une griotte.

Saluons enfin la très belle homogénéité des thématiques qui traversent l’ensemble de ses pièces, même si on sent l’auteur se détacher de plus en plus du théâtre de l’absurde pour n’en garder que l’essentiel, le propos métaphysique, la quête existentielle.

 » Il me reste encore pas mal de valises à boucler. De masques à arracher.  » On souhaite à Pascal Vrébos d’en arracher encore beaucoup d’autres avec la même énergie et la même tendresse.

îuvre théâtrale complète, Pascal Vrebos, Le Cri, Terre Neuve, 930 pages.

ANNICK DOR

 » Il me reste encore pas mal de masques à arracher « 

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