Une main de fer, ouverte

Ferme et directe, la ministre libérale de l’Asile et de la Migration suscite la controverse. La protégée de Patrick Dewael est résolue à changer la politique migratoire, mais sans précipitation. Tant pis pour les sans-papiers impatients.

Elle s’est fait un nom sur une circulaire. La circulaire Turtelboom sur les critères de régularisation des sans-papiers, promise voici six mois par l’équipe Leterme. Une circulaire dont on ne verra pas la couleur avant les élections régionales du 7 juin 2009, la problématique étant trop sensible. La fameuse circulaire donc, au sujet de laquelle Annemie Turtelboom aimerait bien, sans l’avouer ouvertement, qu’on la lâche un peu. D’autant que les critères de régularisation sont désormais liés – ainsi en a décidé le gouvernement – aux autres volets de l’immigration : naturalisation, regroupement familial, politique migratoire du travail… Bref, circulaire, y a rien à voir !

Annemie Turtelboom se défend pourtant.  » Nous refusons de parler uniquement de régularisation, ce serait un mauvais signal pour les candidats réfugiés.  » Et répète inlassablement son credo :  » Je ne veux pas seulement donner des papiers aux gens qui répondront aux critères, mais aussi leur assurer un avenir, avec notamment un emploi. « 

Et, pour montrer sa bonne volonté, la ministre a débloqué, un peu plus rapidement que prévu, le dossier de l’enfermement des familles. Désormais, parents et enfants en attente d’expulsion ne seront plus détenus dans un centre fermé, mais hébergés dans des logements  » ouverts  » et étroitement accompagnés par l’Office des étrangers. Une décision saluée par tous les partis de la majorité – une performance en ces temps de tensions communautaires.

Il n’empêche, le mouvement des sans-papiers maintient la pression ; les grévistes de la faim persistent dans leur action ; et les critiques ne cessent de fuser.  » Attendre, c’est provoquer le chaos « , martèle le Forum Asile et Migration (FAM), une association qui regroupe quelque 120 ONG. Même l’ordre des avocats flamands a appelé la ministre à plus de clarté, sinon les dossiers des sans-papiers risquent de devenir ingérables. Inflexible Turtelboom ?  » Elle donne l’impression d’être dure, mais c’est parce qu’elle doit répondre à un électorat. Elle a aussi un côté très humain « , assure un proche de la ministre. De son côté, la libérale refuse les étiquettes réductrices :  » Je suis contre une politique des frontières ouvertes, c’est vrai, mais je suis également contre une Belgique forteresse. Je veux surtout mieux organiser la migration. « 

Critiquée à gauche et à droite, la ministre encaisse les attaques au sein même du gouvernement, surtout de la part de Joëlle Milquet. La présidente du CDH ne l’a pas loupée quand Annemie Turtelboom n’a pas interrompu ses vacances italiennes, en juillet, alors que des sans-papiers s’étaient installés au sommet de grues au centre de Bruxelles. La dissension est en tout cas palpable entre ces deux femmes de caractère, que tout oppose.

En réalité, Annemie Turtelboom n’a pas du tout aimé que  » Madame Non  » se rende au chevet des grévistes de la faim de l’église du Béguinage. Enervée par un reportage de l’émission TerZake (VRT) dans lequel il fut suggéré que Joëlle Milquet aidait la coordination des grévistes de la faim, la ministre flamande s’est lâchée dans le Morgen :  » Joëlle Milquet ferait mieux d’être ministre de l’Emploi que ministre des sans-papiers.  » Quant à l’ultimatum fixé au 14 octobre par la présidente du CDH pour la fameuse circulaire, elle répond, sourire en coin :  » Tout le monde sait aujourd’hui que les deadlines en politique ne valent pas grand-chose. « 

Ferme sur ses positions, adepte du franc-parler, Annemie Turtelboom n’en est pas moins appréciée pour ses capacités d’écoute. Frédérique Mawet, porte-parole du FAM, reconnaît qu’il est beaucoup plus facile de la rencontrer que son prédécesseur, Patrick Dewael (Open VLD). Une conséquence, sans doute, de la création d’un ministère, à part entière, de la Politique d’asile et de migration. Mais pas seulement.

Annemie Turtelboom est aussi une femme douée et bosseuse. En 2007, De Standaard et De Morgen lui avaient attribué la meilleure cote dans l’évaluation des parlementaires à laquelle procèdent annuellement les deux quotidiens flamands. Aux élections de juin de la même année, la députée de Puurs a dû céder la place à deux hommes sur la liste anversoise de la Chambre : Marc Verwilghen et Jean-Jacques De Gucht, fils du ministre des Affaires étrangères. Quatrième sur la liste du Sénat (une place de combat), elle n’a pas été élue. Les ténors de l’Open VLD, qui souhaitaient tempérer quelque peu l’image machiste de leur parti, lui ont alors confié un poste ministériel. Elle a même obtenu que ce ne soit pas un simple strapontin de secrétaire d’Etat. Une manière de s’émanciper, en apparence du moins, de son chaperon, par ailleurs titulaire du ministère de l’Intérieur.

Fidèle soldate de l’Open VLD, Annemie Turtelboom n’a pourtant pas un pedigree libéral à 100 %. Issue d’une famille catholique de la région de Grammont, elle commence à militer au sein de l’ex-CVP quand elle est étudiante en économie à la KULeuven. Lassée par l’immobilisme et la disparité du parti chrétien, elle suit, en 2002, Johan Van Hecke dans sa formation dissidente, le Nieuwe Christen-Democratie (NCD). Un parti éphémère, une passerelle surtout vers le VLD pour les transfuges du CVP. La voilà aujourd’hui ministre à 40 ans, dans le vent et la tempête, éprouvée mais ravie.

Thierry Denoël

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