Une gesticulation pas toujours diplomatique

Dans le concert des nations, Nicolas Sarkozy joue de la grosse caisse. Il intrigue ses interlocuteurs étrangers par son énergie mais aussi par son style. Au risque de les agacer. Petit tour d’un monde encore à conquérir…

Quoi de plus naturel ? Après avoir troublé de nombreux Français – qui se sont, depuis lors, habitués – la personnalité électrique de Nicolas Sarkozy sème la perplexité chez nombre de leaders étrangers. Les deux mandats de Jacques Chirac, assimilés peu ou prou à une hibernation longue de douze années, ont conforté l’image d’une vieille nation, issue de la  » vieille Europe « , selon l’expression de Donald Rumsfeld, ex-secrétaire américain à la Défense. C’était moins un pays, au fond, qu’une variante politique de l’arthrose. Depuis que l’Elysée a changé de locataire, voilà que, pour le meilleur et pour le pire, la France semble dopée aux amphétamines.

A l’étranger, beaucoup saluent le flair de Sarkozy et sa capacité à réagir à chaud, comme lors de la guerre entre la Russie et la Géorgie, en août dernier, ou au début de la crise financière, quelques semaines plus tard. Plus que la rapidité ou l’originalité de sa pensée, cependant, c’est sa personnalité qui frappe les esprits. Car le chef de l’Etat français excelle dans les situations d’urgence, au point qu’il est comparé à un magicien, capable d’extraire de son chapeau un lapin. Puis un mouchoir. Puis une colombeà

 » On aurait dit un lapin cocaïnomane ! « 

Géorgie, août 2008. Alors que les troupes de Moscou progressent en direction de Tbilissi, capitale de cette ex-république soviétique, Nicolas Sarkozy débarque, son plan de paix  » européen  » à la main. Il arrache l’aval du président géorgien, Mikheïl Saakachvili, alors aux abois. Un proche conseiller de ce dernier n’est pas près d’oublier les échanges entre les deux chefs d’Etat :  » Il paraît que mon président est impulsif, remarque-t-il. Mais alors, que dire de celui-là ? Il fallait le voir, Sarkozy, incapable de rester assis plus de dix secondes et l’£il rivé sur sa montre. Il ne cessait de répéter :  »Mon avion part dans trente minutes ! » On aurait dit un lapin cocaïnomane ! Si  »Micha » a signé, c’est qu’il n’avait guère le choix. Pourtant, dans ce fameux accord, il n’y a pas un seul tracé précis, pas le moindre zonage, pas l’ébauche d’un calendrier de retraità Quant aux sanctions en cas de non-respect des engagements, n’en parlons même pas ! « 

A propos de lapin, justement, la chancelière allemande, Angela Merkel, a longtemps qualifié Sarkozy de  » président Duracell « . Car l’énergie débordante et les tics du président intriguent ceux qui en sont témoins. En octobre 2007, lors de sa première visite à Moscou en tant que chef de l’Etat français, il avait stupéfié les journalistes russes :  » Il semblait nerveux, se dandinait, gesticulait de façon extravagante, se souvient Andreï Kolesnikov, du quotidien Kommersant. Cependant, des confrères français m’ont assuré que c’était là le comportement habituel de leur président !  »

Trop heureuse de pouvoir rire aux dépens d’un leader politique, sans doute, la presse russe a fait ses choux gras, durant cette visite, d’une remarque de Sarkozy : il s’était félicité, devant Vladimir Poutine, alors président, de s’être réveillé sur la place Rouge. Mais l’hôtel dans lequel il avait dormi ne s’y trouvait pas. Les journalistes ne sont pas les seuls, d’ailleurs, à avoir la dent dure. Au sortir de l’entrevue entre les deux chefs d’Etat, en désaccord sur le nucléaire iranien et l’indépendance du Kosovo, Poutine aurait eu ce mot à propos de son homologue français :  » C’est un dourak.  » Autrement dit, un cinglé, un abruti, un connardà Appréciation rapportée, sous couvert d’anonymat, par l’un de ses conseillers.

Sa présidence de l’Union, saluée comme une réussite

Les derniers mois de l’année 2007, ainsi que janvier 2008, correspondent à la période la plus noire. Entre son divorce d’avec Cécilia et sa liaison avec Carla Bruni, rapidement conclue par un mariage, la presse étrangère se passionne bel et bien pour Sarkozy, mais pour toutes les mauvaises raisons. Les grands contrats ? Les ventes d’armes ? Qu’importe ! A quelques heures de sa visite d’Etat en Inde, du 24 au 26 janvier 2008, les médias du sous-continent (et de nombreux hauts fonctionnaires de Delhi) ne semblent obsédés que par un seul thème : la venue, ou non, de sa compagne. Son absence devait permettre au chef de l’Etat de disparaître des pages sur papier glacé des magazines people et de reprendre un peu de hauteur. Mais rien n’y a fait.

Aujourd’hui, encore, malgré une vie privée plus sereine, il arrive que la forme l’emporte sur le fond. C’est injuste, d’ailleurs. Voilà un homme qui, en dix-huit mois au pouvoir, a transformé les relations de la France avec les Etats-Unis, Israël, la Syrie et les autres pays du pourtour méditerranéen, sans oublier l’Otan et les pays émergents, sensibles à l’ambition française de réformer les Nations unies et d’élargir le G 8,  » club des pays les plus riches « , en G 20.

Depuis l’élection de Sarkozy, les pays d’Europe centrale, longtemps boudés par Paris, regardent avec satisfaction un défilé inédit de ministres. La présidence française de l’Union européenne, qui s’est achevée le 31 décembre, est saluée comme une grande réussite, en particulier dans sa gestion de la crise financière. Même la récente tension entre Paris et Pékin s’explique moins par la rencontre entre le président français et le dalaï-lama que par une stratégie chinoise d’intimidation. Dans d’innombrables chancelleries, enfin, la cellule diplomatique de l’Elysée attire les louanges. Et pourtant… Les maladresses ou la légèreté apparente du chef de l’Etat français font parfois une plus grosse impression, sur ses interlocuteurs, que les positions officielles de la République.

Ainsi, un jeune président d’Afrique de l’Ouest reste marqué par sa première – et brève – rencontre avec Sarkozy, dans la coulisse du sommet euro-africain de Lisbonne, en décembre 2007 :  » Il m’a reçu affalé sur un canapé, confie-t-il. A l’évidence, il ne savait pas grand-chose de moi ni de mon pays.  » Cela peut vexer :  » Sa préoccupation principale, reprend notre interlocuteur, a consisté à me convaincre de piocher dans le plateau de petits-fours posé sur la table basse :  »Mais si, insistait-il, vous devriez les goûter ils sont excellents.  » Comment la France, cette vieille démocratie, a-t-elle pu porter à sa tête un tel personnage ? » Même des alliés importants s’estiment parfois victimes d’une certaine désinvolture de la part du chef de l’Etat : le roi du Maroc, Moham-med VI, l’aurait jugé cavalier, lors de sa première tournée au Maghreb, de prétendre s’arrêter quelques heures seulement pour rendre visite à Sa Majesté dans sa résidence d’Oujda. Résultat : l’étape marocaine a été purement et simplement annulée.

Les exemples de ce genre abondent, et ce sont autant d’occasions manquées. Car les relations internationales mettent en jeu des peuples et des nations, mais aussi, par la force des choses, ceux qui les dirigent. La part affective y joue un rôle immense, dont Sarkozy n’ignore rien. Du reste, il est devenu ami avec l’ancien chancelier autrichien Alfred Gusenbauer, qui parle très bien français et l’a dépanné en cigares lors d’un sommet européen… Le président soutiendrait la candidature de ce social-démocrate pour un poste à la Commission européenne.

Qu’en sera-t-il avec Barack Obama ? L’un et l’autre sont jeunes et descendants de migrants. Durant la campagne présidentielle américaine, surtout, Sarkozy n’a pas ménagé sa peine pour celui qu’il appelle un peu rapidement son  » ami « , au point d’organiser, lors du passage de ce dernier à Paris, le 27 juillet dernier, une très inhabituelle conférence de presse conjointe, à l’Elysée, en compagnie du candidat démocrate d’alors. Du président français, à en croire le New York Times, Obama dit simplement :  » Je pense que l’on pourrait bien travailler ensemble.  » L’un et l’autre connaissent l’importance des questions d’image.  » Quand l’électorat français aime les Etats-Unis, c’est plus facile pour Sarkozy d’envoyer des renforts de troupes en Afghanistan « , souligne Obama, avec une pointe de cynisme. L’Obamania facilite les relations de Washington avec le reste du monde. De même, la lente remontée dans les sondages du président français pourrait devenir l’une de ses cartes fortes sur la scène mondiale. A condition de gagner un peu plus en sérénité ?

Marc Epstein, avec le service Monde et les correspondants du Vif/L’Express

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