Une féministe relit le Coran

Comment concilier foi musulmane et émancipation des femmes ? C’est la quête de la théologienne Hidayet Tuksal, qui fait des vagues à Ankara.

DE NOTRE CORRESPONDANTE

Ce n’est pas notre religion qu’il faut remettre en question, c’est notre pratique religieuse  » : musulmane et féministe, la théologienne Hidayet Tuksal est la cible des critiques, dans les milieux laïques comme chez les islamistes. Son délit, c’est un essai, Projection du discours misogyne dans la tradition islamique, sans équivalent en Turquie ou dans les pays musulmans.

L’idée de ce livre est venue à cette femme de 46 ans, mère de trois enfants, alors qu’elle enseignait dans un lycée religieux. Elle avait été frappée par les conclusions que ses collègues tiraient de la lecture des hadith, les paroles et actes attribués au prophète Mahomet. Elle se souvient, par exemple, que des profs interdisaient aux filles de participer aux prières si elles étaient maquillées. Une aberration, selon elle.

En réaction, elle s’est consacrée pendant un an à la relecture du Coran dans une perspective féminine. Elle en est sortie un brin déçue de constater que le texte contenait un authentique fond phallocrate.  » Il ne faut pas oublier le contexte historique et intellectuel des Arabes à l’époque de la Révélation, dit Hidayet Tuksal. On trouve ainsi dans le Coran des versets qui disent « Vous pouvez battre votre épouse » dans tel ou tel cas. Mais, aussi, de nombreux passages émancipateurs pour les femmes.  » Gare aux anachronismes, toutefois !  » Prétendre trouver dans le Coran une approche contemporaine de l’égalité des sexes serait illusoire, prévient-elle. Les versets avaient pour but d’améliorer le sort des femmes de ce temps. C’est parce que j’ai trouvé cette souplesse dans le Livre saint que je continue à être musulmane.  » Après tout, les pays d’islam n’ont-ils pas su faire preuve de flexibilité, dans le domaine économique, avec la notion de taux d’intérêt ?

La Plate-forme des femmes de la capitale

Cette ouverture d’esprit va de pair, selon elle, avec la liberté de porter le voile. Hidayet Tuksal se bat depuis vingt-cinq ans pour la reconnaissance de ce symbole de sa foi : dans ce pays à majorité musulmane mais régi par des lois laïques, le port du voile est un perpétuel sujet de polémiques. Il est interdit à l’université comme à l’Assemblée nationale.  » Dans une démocratie, personne ne doit se mêler de la façon dont les gens s’habillent « , proteste-t-elle. En butte à la laïcité d’Etat, Hidayet la croyante s’est peu à peu rapprochée d’autres groupes marginalisés et de pacifistes, issus, quant à eux, de la gauche. Avec des amies d’Ankara, elle a créé la Plate-forme des femmes de la capitale. Bien que l’homosexualité soit l’un des tabous les plus forts de l’islam, elles n’ont pas hésité à s’allier à des associations lesbiennes qui réclamaient plus de démocratie. Cette approche décomplexée commence à faire tache d’huile. Les échanges entre femmes laïques et musulmanes se multiplient prudemment. Elles se croisent et débattent sur les plateaux de télévision, sur Internet ou à huis clos.  » Au début, on me regardait comme si j’arrivais du pôle Nord, témoigne-t-elle, amusée. Or le dialogue est indispensable pour éradiquer les peurs. La laïcité est une chance dans un pays comme le nôtre, mais les laïques manquent de confiance dans les principes de la démocratie. Et je le regrette. « 

Signe avant-coureur du dégel ? Le CHP, l’opposition kémaliste, bastion d’une laïcité militante, a , à l’approche des élections municipales du 29 mars, admis dans ses rangs des femmes portant le voile.  » Même s’il s’agit d’un revirement électoraliste, je serais prête à leur donner mon suffrage s’il apparaît qu’ils sont sincères dans leur démar-che « , dit Tuksal. Tout est affaire de foi.

NÜkte V. Ortaq

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