« Un vaccin contre le populisme »

Crise économique, contestation des élites, xénophobie, scandales politico-financiers. En dépit des apparences, les années 1930 et les années 2000 ne sont pas comparables. L’analyse de l’historien Francis Balace (ULg).

Le Vif/L’Express : On est tenté de rechercher des points de comparaison entre les années 1930 et les années 2000. A tort ?

> Francis Balace : Il n’y a rien de plus discutable que de comparer des événements à septante années de distance. Ma première objection tient à l’essence religieuse du mouvement rexiste. Il n’aurait pas pu naître dans une société laïcisée comme la nôtre. Léon Degrelle ne cherchait alors qu’une chose : obtenir une place sur la liste du Parti catholique. Le 10 avril 1937, le cardinal Van Roey lui enlève ses derniers espoirs en déclarant qu’il est un  » danger pour le pays et pour l’Eglise « . On n’a jamais entendu le cardinal Danneels protester contre le Vlaams Belang, qui est l’égal, sinon pire que le mouvement rexiste.

Degrelle surfait cependant sur le mécontentement populaire, non ?

> En fait, grâce à des  » remèdes de cheval  » et à une politique de grands travaux, la Belgique était en train de sortir de la crise. Le discours de Degrelle s’adressait surtout aux classes moyennes qui venaient de subir une dévaluation brutale du franc belge de 25 %, ainsi que les mauvaises affaires de certaines banques liées aux partis. Ses revendications hétéroclites (contre les grands magasins, pour l’abolition de la loi Vandervelde interdisant la vente d’alcool dans les cafés, pour le suffrage familial) visaient un public de petits boutiquiers en perte d’influence économique, mais aussi politique. Agé d’à peine 30 ans, le  » beau Léon  » se rebellait contre la gérontocratie et la particratie qui bloquaient l’accès aux postes dans l’administration pour la petite-bourgeoisie.

Autre point commun entre les deux époques : la crise financière et la remise en cause de notre modèle économique.

> Aujourd’hui, il n’y a aucun modèle alternatif à importer de l’étranger. Dans les années 1930, en revanche, l’on pouvait encore se référer au communisme, à l’Italie mussolinienne ( » Les trains arrivent à l’heure « ) et à l’Allemagne hitlérienne des autoroutes et du plein-emploi. Après le krach boursier de 1929, une commission de surveillance bancaire avait été mise sur pied en Belgique. Aujourd’hui, il faudrait un instrument international pour protéger les épargnants. Mais la tentation protectionniste est commune aux deux époques.

Dans les années 1930, des scandales politico-financiers ébranlent les partis politiques. N’est-on pas en présence du même cas de figure ?

> Cette période de dénonciation a été très brève. Le discours de Léon Degrelle contre les  » banksters  » et la collusion entre l’Etat et des intérêts privés était alimenté par les  » fuites  » de Gustave Sap, un homme politique catholique flamand, propriétaire du Standaard. Degrelle a commencé à perdre tous ses procès en diffamation lorsqu’il n’a plus bénéficié de cette documentation. Néanmoins, une loi sur les incompatibilités de mandats, dont le monde politique ne voulait pas a priori, a été votée.

Comme après la mort du roi Albert ier qui, en 1934, laissait un très grand vide, le doute sur les capacités du prince Philippe n’est-il pas un ingrédient du marasme actuel ?

> En avril 1937, le Pourquoi pas ? , qui s’adressait à la bourgeoisie voltairienne de Bruxelles, titrait sur Léopold III :  » L’Arbitre « . Il ne faut pas majorer les inquiétudes à propos des capacités du prince Philippe. On a fait le même procès à Léopold II.

Et la question des étrangers ? Y a-t-il un parallélisme entre les discours d’hier et d’aujourd’hui ?

> Non. Il faut se rappeler que, en 1940, 75 000 juifs vivaient en Belgique, alors que les étrangers ou personnes d’origine étrangère dépassent aujourd’hui le million. Sauf dérapages occasionnels, Rex n’était pas un mouvement antisémite. Dans Né juif, Marcel Liebman écrit qu’en 1936 son père commerçant avait des sympathies rexistes. La xénophobie de Degrelle était davantage dirigée contre les réfugiés républicains espagnols, à cause du risque de contagion idéologique. Il est devenu antisémite sous l’Occupation pour plaire aux Allemands. A l’été 40, ses gros bras attaquaient des magasins juifs près de la gare du Midi.

Finalement, n’a-t-on pas exagéré l’impact du rexisme en Belgique dans les années 1930 ?

> Si l’on s’en tient à cette époque, oui. Mais Léon Degrelle a versé dans la collaboration et, après la guerre, a entretenu la nostalgie du nazisme. Au mieux de sa forme, le rexisme n’a jamais obtenu que 21 élus sur 202 au Parlement. Il a eu le mérite de nous vacciner contre le populisme et de montrer que la Belgique n’était pas un pays d’aventure. Son parcours prouve aussi que les éléments flamands et francophones du populisme sont inconciliables. A méditer par Monsieur Aernoudtà Lorsqu’il s’allie, en octobre 1936, avec le Vlaamsch Nationaal Verbond (VNV), plombé par les activistes de 1916-1918, Degrelle perd tout crédit auprès des patriotes de la Première Guerre mondiale, qui sont encore des hommes de 40 ans, aptes à le contrer.

Entretien : Marie-Cécile Royen

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