Un sang d’encre

Le pays détient le record mondial des meurtres de journalistes. Victimes à leur tour de la violence due aux cartels de la drogue, qui fait rage depuis 2006.

Delphine Saubaber, avec Léonore Mahieux

DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE

Au Mexique, gagné par une violence aveugle, on assassine aussi les journalistes. Le pays s’est hissé au premier rang pour le nombre de meurtres de reporters en Amérique latine, et même, l’an dernier, dans le monde.

Abattu le soir même de la publication

Dix morts depuis janvier 2010, 67 depuis 2000, 11 portés disparus depuis 2003à Le soir du 9 juillet, dans l’Etat de Nuevo Leon (Nord), Marco Aurelio Martinez Tijerina, 45 ans, reporter radio, était enlevé en pleine rue, avant d’être torturé et tué d’une balle le lendemain. Le 6 juillet, Hugo Alfredo Olivera Cartas, 27 ans, était abattu le soir même de la publication d’un article sur le crime organisé. Peu après avoir quitté son journal, il avait appelé son épouse, lui disant de bien  » prendre soin des enfants « . Il avait poussé ses investigations un peu trop loin.

Correspondant du quotidien La Jornada dans l’Etat de Sinaloa (Nord-Ouest), le berceau des boss les plus puissants, Javier Valdez Cardenas, 43 ans, plante ses griffes, jour après jour, dans le tissu narco-politique de sa ville, Culiacan. En ce mois de juillet étouffant, il a donné rendez-vous au café, sur la place. Il a l’£il rivé sur les entrées et sorties, baisse d’un ton en racontant qu’il regarde toujours, oui, au cas où un pistolero s’avancerait. Il explique les pare-feu dont s’entoure sa rédaction :  » Nous publions avec beaucoup de vigilance, en prenant soin d’écrire sur tous les cartels de manière équilibrée et, chaque fois, nous pesons les risquesà  » Ismael Bojorquez, directeur de l’hebdoma-daire local d’investigation Rio Doce, se fait plus clair :  » A qui pense-t-on en premier, devant notre page blanche ? Aux narcos.  » Valdez cite le cas d’un journaliste local fusillé devant toute sa famille par les sbires du Mayo Zambada, l’un des patrons du cartel de Sinaloa.  » Il est mort pour avoir publié une photo.  » Comme Valdez, Ismael Bojorquez ne s’étend ni sur les menaces ni sur les mesures de sécurité que lui et ses confrères prennent, chaque jour, armés d’une sage philosophie :  » Il y a beaucoup d’informations qu’on ne publie pas. C’est ce qui nous a permis de rester vivants. Mieux vaut n’en dire qu’une partie qu’être réduits au silence à tout jamais, non ?  »

Pour tenter de briser cet isolement, pour qu’on n’écrive plus jusqu’à en mourir, Articulo XIX, une association de défense de la liberté de la presse, organise, depuis 2008, des formations pour journalistes en zone à haut risque.  » Chaque année, 75 viennent nous voir, explique Dario Ramirez, directeur du bureau de Mexico. Nous leur enseignons les premiers secours, l’autodéfense et donnons des conseils en cas de fusillade ou de menacesà En 2009, outre les 11 homicides dus au crime organisé, on a recensé 244 agressions, dont 65 % sont le fait d’agents de l’Etat – police ou armée.  » Aucun des auteurs des homicides n’a été arrêté.

A Culiacan, Valdez Cardenas, auteur de Miss Narco (Aguilar), un roman étincelant sur la beauté, le pouvoir et la violence, se sert de son fatalisme comme d’une assurance-vie. Il accueille avec un demi-sourire la bonne blague d’un type assis à l’entrée du café :  » Si tu pouvais éviter de revenir trop souventà J’ai pas envie d’être pris dans une rafale.  »

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