Un péril pas vraiment jeune

La tuerie de Termonde a fait resurgir le débat sur la violence des jeunes. Décodage d’une réalité bien plus complexe, qui tord le cou à de nombreux fantasmes.

Je n’ai plus aucun espoir pour l’avenir de notre pays si la jeunesse d’aujourd’hui prend le commandement demain. Parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible.  » Non, ce jugement accablant n’est pas la dernière analyse sociologique à la mode. Il a été proféré par Hésiode il y a plus de vingt-huit siècles.  » C’est une constante dans l’histoire de l’humanité, analyse Bernard De Vos, délégué général de la Communauté française aux droits de l’enfant. Chaque génération juge la génération qui monte plus violente que ce qu’elle a elle-même été. « 

Hier, la fusillade de Columbine aux Etats-Unis ou encore le meurtre de la gare Centrale à Bruxelles. Aujourd’hui, des coups de couteau incompréhensibles dans une crèche à Termonde, en Flandre. Et la machine s’emballe à nouveau. L’angoissant questionnement – toujours le même – rapplique : nos enfants sont-ils ultra-violents ?  » Ces drames sont énormément médiatisés. C’est révélateur : nous n’en parlerions pas autant si nous y étions habitués. Il est logique de nous demander ce qui nous arrive. « 

Le regard paniqué de la société sur la jeunesse

Une surexposition médiatique qui n’est pas sans effets pervers.  » Cela stigmatise terriblement les jeunes, qui sont tenus pour principaux responsables de la violence, poursuit Bernard De Vos. Quand on les interroge, des adolescents eux-mêmes alimentent le fantasme. Ils estiment être responsables de 50 à 70 % de la criminalité. Leur identité narcissique est devenue déplorable.  » De quoi conforter le regard paniqué que la société pose sur sa jeunesse.  » La médiatisation importante de faits singuliers laisse croire que la part des jeunes dans la délinquance serait particulièrement importante, note Charlotte Vanneste, chef du département de criminologie de l’INCC, l’Institut national de criminalistique et de criminologie. Au cours des deux dernières décennies du xxe siècle, les discours politiques sont devenus de plus en plus insistants. « 

Or les chiffres ne suivent pas.  » Au contraire, ils baissent « , intervient Bernard De Vos. Bien sûr, les statistiques n’englobent que les moins de 18 ans, les chiffres ayant besoin de délimitations strictes. Agé de 20 ans, Kim De Gelder ne rentre légalement pas dans ces critères. Mais c’est bien le débat sur la criminalité des jeunes que son acte insensé a réveillé. Les chiffres, donc. Pour 2005, selon l’INCC, les mineurs de 12 à 18 ans ne sont responsables que de 11,2 % des infractions signalées.  » La délinquance enregistrée n’est pas davantage imputable aux mineurs qu’aux majeurs « , insiste l’INCC. Les affaires traitées par les magistrats de la jeunesse relèvent dans 42 % des cas de vols et d’extorsions. A l’inverse, les faits les plus graves (meurtres et homicides élucidés) sont quasiment toujours perpétrés par des adultes (95 %). Seul un mineur sur 100 000 est signalé comme suspect d’implication dans un meurtre ou un homicide.

Difficile de comparer ces chiffres récents avec le passé, au vu du caractère plutôt rudimentaire des données anciennes. Il n’empêche. Même approximatif, l’indicateur de l’INCC permet de  » très vraisemblablement infirmer  » l’hypothèse d’une hausse de la criminalité juvénile. Entre 1968 et 2005, la participation des mineurs a chuté de 28 %.

Après une trentaine d’années passées sur le terrain, le délégué général aux droits de l’enfant se veut catégorique :  » Les comportements actuels tiennent plus de l’incivilité ou de la provocation. L’époque des punks ou des skinheads a engendré des actes beaucoup plus graves. Les jeunes ont très peu de pouvoir, comment donc pourraient-ils être plus violents que la société qui les engendre ? C’est impensable. Il faut plutôt les protéger.  » Dans les faits, ils se situent d’ailleurs plus souvent du côté des victimes que des agresseurs. Selon le Moniteur de sécurité, les 15-24 ans sont surreprésentés parmi les personnes qui déclarent avoir été victimes de vols, de violences physiques ou de délits sexuels.

L’automutilation, première forme de violence

Et même lorsqu’ils deviennent violents, la majorité des adolescents le sont d’abord contre eux-mêmes. Du côté des services de psychologie et psychiatrie, le constat est unanime. « La première forme de violence des jeunes, c’est l’automutilation « , explique Marie Delhaye, pédopsychiatre à l’hôpital Erasme. Au quotidien, son service reçoit des gamins paumés, depuis la simple déprime jusqu’à la délinquance. Pour elle, même quand il y a violence envers autrui, elle se situe d’abord dans un contexte de groupe et dépasse rarement le stade des petits délits.  » Les ados ont besoin de se retrouver en bande, pour exister et trouver des repères. Leurs passages à l’acte se résument souvent à de la détérioration de l’espace public, des transports en commun. Et s’ils sombrent dans une violence plus grave, on trouve quasiment toujours l’influence d’un adulte dans le groupe.  »

Mais alors quoi ? Devrait-on balayer d’un revers de main toutes les craintes de l’opinion surgies après le carnage de Termonde ? Certaines mutations sociales profondes n’auraient-elles pas d’influence sur les jeunes générations ?  » Bien sûr que oui, les jeunes sont parfois en perte de repères « , nuance la psychiatre. Les experts évoquent la dissémination de la cellule familiale, la disparition de la notion de devoir, comme principaux facteurs de déstabilisation de nos marmots. Mais un acte aussi abject et fou que celui de Termonde n’a rien à voir avec cela. Le péril jeune, ça ne sera pas pour cette fois.

Malou Mirtin

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