Un nouveau souffle

Comment les footballeurs, qui enchaînent les compétitions, tiennent-ils le coup? A la veille de la Coupe du monde, les préparateurs sont entrés en lice, façonnant les corps et les esprits

Un exploit, d’abord: le 15 mai dernier, le Real Madrid a remporté sa 9e Coupe d’Europe des clubs champions. L’équipe espagnole a réalisé cette performance sans précédent au terme d’une saison qui a imposé à ses joueurs, toutes compétitions confondues, une moyenne de plus de 50 matchs. En Angleterre, les footballeurs du club d’Arsenal, à la fois vainqueurs du championnat et de la célèbre Cup, en ont joué une dizaine de plus. En Belgique, les joueurs les plus sollicités ont à peine disputé 45 matchs de compétition depuis août dernier.

Revers de la médaille, ensuite: de quelles ressources physiques, mentales et nerveuses, les stars de ces équipes, toutes appelées à se produire à la Coupe du monde, disposeront-elles encore, le mois prochain, en Asie? « En fait, en fin de saison, affirme Michel Bertinchamps, préparateur physique des Diables rouges, tous les footballeurs accusent un état de fatigue normal, provoqué par une charge de travail étalée sur plusieurs mois. » Quant au surmenage proprement dit, il naît d’un excès d’activités, quantitatif ou qualitatif. Biologiquement, cet état est provoqué par la pratique d’exercices (compétition ou entraînement), alors que la récupération est encore incomplète. Bien menée, celle-ci doit s’effectuer en deux temps: il faut d’abord retourner à l’état précédant l’effort fourni, puis, grâce à des activités appropriées, adapter l’organisme à un niveau de rendement autorisant de nouvelles prestations. Il s’agit donc, ici, de réaliser sans cesse la meilleure harmonie possible entre le travail d’intensité maximale et les exercices plus légers.

Question essentielle: quelle est la durée d’un tel cycle? Elle diffère, bien sûr, d’un sport à l’autre et d’un individu à un autre. En football, on estime généralement que le cycle idéal serait de jouer un match tous les quatre ou cinq jours. Ce n’est pas toujours le cas: en cours de saison, une succession de matchs de trois en quatre jours n’est pas rare. Dans ce cas, quoi qu’on fasse, aucun footballeur n’est toutefois capable d’atteindre son rendement maximal au cours de trois matchs successifs de haut niveau en huit jours. On constate, alors, toujours, un moment de relâchement, à la fois physique et mental. Car, pour beaucoup, c’est le tonus nerveux qui est le plus difficile à maîtriser durant une succession rapide de rencontres à enjeu capital.

A la Coupe du monde, en revanche, ainsi qu’à l’occasion de la série de matchs préparatoires qu’on leur a concoctée, depuis le début de mai jusqu’au dernier galop d’entraînement, le 26 mai, à Kumamoto (Japon), face au Costa Rica, les Diables rouges bénéficient d’une fréquence de jeu parfaitement supportable. Ensuite, au Japon même, ils disputeront leurs trois matchs du premier tour en dix jours, à commencer par celui contre le Japon, pays hôte, le 4 juin.

Pour définir le plus précisément possible le niveau de condition du joueur, celui-ci est régulièrement soumis à divers tests, médicaux et physiques: analyses et exercices chronométrés. Le sportif fatigué manquera, par exemple, de fer et aura un taux d’hématocrite relativement bas: des lacunes qu’on tentera ensuite de combler, à la fois par l’exercice et la médication. Les examens auxquels les Diables rouges se sont livrés récemment ont d’ailleurs fourni des résultats encourageants: nos footballeurs se portent mieux qu’il y a quatre ans, avant la phase finale de la Coupe du monde en France. En revanche, ils ont dû se passer de cinq joueurs, blessés, dont quelques pions majeurs: Emile Mpenza, Philippe Clément, Walter Baseggio, Joos Valgaeren et Bob Peeters. Mais l’état de fatigue ne se mesure pas seulement en laboratoire. Les hommes de terrain observent assez facilement ce phénomène: « Les signes les plus apparents, affirme Robert Waseige, le coach des Diables rouges, sont un manque d’explosivité et de concentration ou le peu d’envie à l’entraînement. »

Par ailleurs, à effort égal, tous les joueurs n’accusent pas nécessairement le même état de fatigue. En effet, celui-ci est, d’abord, déterminé par la condition de base du sujet, innée et développée tout au long de la trajectoire du sportif. Ensuite, l’état d’épuisement dépend également de l’âge ou de l’intensité d’une carrière. Ainsi, en France, le Dr Ferret, médecin des champions du monde, a observé, à l’inverse des médecins belges, que l’état de fraîcheur général du groupe, dont la plupart des membres subissent des cadences infernales depuis dix ans, est moins bon qu’en 1998, lors de la conquête du prestigieux trophée d’or. Globalement, la France alignera donc des joueurs plus « usés » qu’auparavant. C’est un peu la rançon de la gloire. Championne du monde, l’équipe de France a également remporté le titre européen, en 2000.

De plus, depuis une demi-douzaine d’années, ce sont pratiquement toujours les mêmes acteurs qu’on a retrouvés en équipe de France, dont environ la moitié a passé la trentaine. « Certes, plus âgé, le sportif perd une partie de ses facultés de récupération. En revanche, celui qui se maintient au sommet d’un sport d’élite ne peut être qu’un athlète qui gère parfaitement ses efforts », affirme Bertinchamps.

Les vingt-cinq jours qui séparent la fin de la compétition belge du premier match des Diables rouges au Japon, le 4 juin prochain, devraient donc théoriquement suffire pour ranimer les troupes. Pour rendre aux joueurs « le fond d’aérobie nécessaire », souhaité par Waseige, Bertinchamps a, dès lors, établi un plan de préparation spécifique, adapté à chacun. Selon l’état physique et mental différent de leurs joueurs, entraîneurs et préparateurs ont, dès lors, formé des groupes distincts. Ainsi, les Belges ont véritablement entamé leur préparation par un stage de trois jours à La Panne, du 7 au 9 mai, et elle se prolongera jusqu’à leur premier match contre le Japon. Le 18 mai dernier, cette préparation a été égayée par une bonne blague belge: une victoire très stimulante sur les champions du monde, au stade de France, devant 80 000 spectateurs médusés…

Un tel résultat influe, bien sûr, très favorablement sur le moral des troupes. Car il n’existe pas de fatigue physique sans fatigue mentale. Or, s’il est scientifiquement possible de se refaire une santé physique en un peu plus de trois semaines, qu’en est-il sur le plan mental et nerveux? Le psychisme des joueurs qui auront lutté jusqu’au bout pour des trophées importants aura été soumis à plus rude épreuve que celui d’autres. De plus, les dirigeants de club auront prioritairement guidé les premiers jusqu’à la fin dans l’intérêt exclusif de leur cercle, peu soucieux de leur participation ultérieure à la Coupe du monde. Selon qu’ils auront gagné ou perdu, les joueurs réagiront plus ou moins bien. Exemple: les Allemands de Leverkusen, devancés sur le fil en championnat et en Coupe d’Allemagne, ainsi qu’en Champions League, auront davantage de difficultés à digérer leurs échecs et à retrouver la soif du ballon que les vedettes du Real Madrid, pour la neuvième fois champions d’Europe, auront à gérer leur succès.

« Parallèlement, les joueurs sont influencés par l’environnement psycho social qu’ils ont connu durant la saison », affirme Bertinchamps. Les problèmes internes, les conflits avec l’entraîneur ou les dirigeants du club, les négociations de transfert ou de renouvellement de contrat, passés ou en cours, tout cela détermine le comportement du sportif. Et suppose une approche psychologique de tous les instants de la part de tous les membres du staff technique et dirigeant qui gravitent autour des footballeurs en cours de préparation à un événement de cette taille. « Ici également, face à l’échec et au succès, la réaction est personnelle, affirme l’éducateur physique. En fait, il y a les forts et les faibles, ceux qui résistent et ceux qui craquent devant l’émotion. »

A ce propos, Waseige n’a pas de craintes à avoir. Pour les Belges, il n’y a pas eu de problèmes de surmenage en compétitions européennes, tels que ceux qui préoccupent les responsables français, espagnols, anglais ou allemands: en prélude à une phase finale de Coupe du monde, le football belge n’a plus fourni de finalistes en Coupe d’Europe depuis… 1990.

Emile Carlier

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