Un homme comme un autre

Elle n’a même pas cillé face aux crépitements des appareils photo et à la multitude de caméras braquées sur elle. Car Mahinur Özdemir assume. Normal, elle a la foi. Fière à juste titre du trajet accompli, qui, en quelques années à peine, l’a conduite sur les bancs du parlement bruxellois.

Mahinur se veut vertueuse. Elle l’affiche. Pour preuve, le foulard qu’elle ne quitte jamais. Non point par coquetterie, il ne s’agit pas ici d’un accessoire de mode. Mais bien par conviction religieuse. Un signe distinctif, celui de sa différence, de sa prise de distance dans un hémicycle où elle est censée, toutefois, représenter la Nation (qui regroupe aussi bien nos ancêtres que nos descendants). Pas étonnant dès lors qu’en quelques heures à peine l’élue CDH suscite polémiques, débats et controverses. Un émoi véritable, voire même chez certains un réel désarroi. Que penser, que croire, que dire ? Mme Özdemir veut-elle nous infliger une tyrannie pudibonde à l’insu de son plein gré ? Le CDH réintroduit-il au sein d’un parlement la douloureuse question de l’appartenance religieuse dans le débat politique difficilement évacuée il y a quarante ans ?

Les faits se bousculent, sans oublier l’histoire qui nous rattrape. Ainsi Kemal Atatürk accordant aux femmes, au début du xxe siècle, le droit de vote et celui d’exercer des fonctions publiques en Turquie, le pays d’origine de Manihur, tout en interdisant le port du voile. Sans oublier l’arrêt, il y a un an, de la Cour constitutionnelle turque qui a invalidé l’amendement levant l’interdiction de porter le foulard dans les universités du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. Autant de signes obscurs, autant d’interrogations légitimes, autant de vibrations incontrôlables. Un équilibre se rompt et c’est tout un échafaudage qui vacille.

Car elle nous interpelle vraiment, cette petite Schaerbeekoise issue de l’immigration et qui a su séduire au-delà de sa communauté d’origine. Certes, personne ne lui conteste le droit d’affirmer ses convictions. Enjamber ses préjugés, ses réticences, qui oserait dire non ? Oui mais… Si le port du voile manifeste une appartenance à l’islam, bien des musulmanes ne l’arborent pas. Ne s’agit-il pas d’une interprétation toute particulière du Coran, contestée par bien des modérés et qui veut, de plus, que l’affirmation religieuse pèse sur les filles et elles seules ? Une approche traditionaliste qui rejoint les positions tout aussi radicales des traditionalistes juifs ou chrétiens. Autant d’éléments discordants, autant de troubles. Quand l’affirmation des différences l’emporte sur l’appartenance à une même citoyenneté, la Belgique ne glisse-t-elle pas vers le communautarisme ?

Et puis, il y a ces témoignages, comme celui de Sadok Boudoukhane, un membre du Centre des laïques d’ascendance musulmane, paru il y a quelques mois dans Le Soir :  » Je ne suis pas inquiet pour les jeunes filles portant le foulard. Elles sont bien défendues par nombre d’organisations intégristes puissantes, par la plupart des partis démocratiques du pays, par les associations interculturelles et de défense des droits de l’homme (…). Je suis par contre très inquiet pour les jeunes filles qui ne portent pas le foulard (…) Beaucoup sont victimes de harcèlement, d’insultes, de mépris de la part de bons musulmans et parfois même de la part de  » porteuses  » du foulard se prenant pour des soldates de Dieu en tenue de combat.  »

Alors oui, pourquoi le cacher ? Sans nourrir la moindre arrière-pensée, en faisant fi de tout préjugé, un doute, toutefois, vient s’immiscer dans nos esprits imbibés, inévitablement, de notre culture. De notre histoire aussi qui a vu pendant des décennies des femmes courageuses se battre pour acquérir des droits élémentaires dans une saine démocratie. Des soutiens-gorge brûlés sur la place publique dans les années 1960 au voile recommandé aujourd’hui à certaines musulmanes pour manifester leur pudeur et une attitude de réserve à l’égard de l’autre sexe, le choc est brutal. Or la femme n’a-t-elle pas, tout simplement, tout particulièrement dans une enceinte parlementaire, le droit d’être  » un homme comme un autre  » ?

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