Un Frenchie à Londres

Avec London Prisoner, l’ex-dessinateur Régis Franc relate son installation épique au bord de la Tamise. Un must !

Régis Franc ne sait plus très bien si David Beckham est un joueur de tennis ou de snooker, trouve que les duchesses anglaises sont affublées de chapeaux en forme de vagin et ne déteste rien tant que les pubs. Pourtant, voilà six ans, il a sauté dans un  » ioureusta  » avec femme et enfants pour s’installer à Londres. Ex-star de la bande dessinée – on se souvient de son merveilleux Café de la plage avec ses lapins anthropomorphes -, désormais reconverti dans le roman, Franc raconte avec humour sa découverte du pays des Beatles – d’ailleurs, il en est sûr, il ne lui faudrait pas plus de quelques mois pour devenir le  » meilleur ami  » de Paul McCartneyà

Il a choisi d’appeler son récit London Prisoner. Mais attention, prisonnier de luxe. On croit d’ailleurs deviner, entre les lignes, que son épouse, née de l’autre côté de la Manche, n’est pas sans quelque bien. La petite famille fait donc l’acquisition d’une maison anglaise typique – une  » boîte à chaussures en briques précédée de deux colonnes doriques  » -, en ruines, dans l’une des rues les plus hype de la capitale. C’est là que les ennuis vont commencer. Notre Frenchie va découvrir les étranges, coûteux et furtifs artisans anglais : les plombiers de Pimlico déguisés en ingénieurs de la Nasa, les maçons qui passent des heures à la cérémonie du  » thé au plâtre  » en criant  » Pause !  » tous les quarts d’heure, les paysagistes qui vous demandent l’équivalent du PIB du Bangladesh pour vous dissuader de vous lancer dans le muscat au pied de Big Benà

Quand tout sera fini – trois ans plus tardà -, Régis Franc découvrira qu’une famille de renards s’est installée dans son jardinà Et avec tout ça, notre Français n’a toujours pas copiné avec McCartney. A moins qu’il ne le croise enfin à cette party de Chelsea ?  » Non, il n’était pas libre. Bon, ça arrive. Moi-même, j’avais failli ne pas venir « , admet-il avec un fair-play tout britannique.

La lumière languedocienne de son enfance

Toujours pas de sir Paul, donc, mais une Mrs Taylor, ancienne du Royal Ballet, que l’ex-dessinateur croque en quelques phrases avec un art consommé :  » Elle en conserve quelques restes : le port de tête impeccable, le pas en canard si particulier de l’ex-ballerine. Et pas un poil de gras sur la bête. Ajoutons l’humilité de celle qui faisait des entrechats au fond de la scène quand la prima ballerina prenait la lumière, et surtout une coiffure miraculeuse, d’un gris perlé rare, bétonnée à la laque Elnett des années 1960 et qui hésite entre la vague d’Hokusaï et le bombé de Tippi Hedren. « 

Well… avec ses sorties au théâtre à Soho et la visite à la pension des enfants dans la verdoyante campagne anglaise, l’auteur de London Prisoner aurait pu n’être qu’une sorte de Peter Mayle inversé. Il est heureusement beaucoup plus que cela. Car le fog londonien renvoie irrépressiblement Régis Franc à la lumière de son enfance languedocienne. Et l’on découvre que cet homme qui avoue être snob – les anciens lecteurs de Pilote se souviennent peut-être qu’il posait toujours en joueur de golf très élégant – est en réalité un fils de prolo de Narbonne, et qu’il fut lui-même man£uvre du maçon Martinez. Que sur ces terres méridionales, on apprenait l’espagnol, pas l’englishà

Et de ce tendre coming out social remontent des images de cabanes en bord de lagune, des parfums de salicorne salée, des souvenirs de copains noyant leur ennui dans le pastis et de ce père qui, à 95 ans, lape toujours sa soupe, là-bas, pendant que le fils fait le beau à  » Leundeun  » (comme écrivait Rimbaud).  » Je ne suis pas nostalgique. Non, non. Je me souviens « , se défend Régis Franc, qui, on s’en doute, n’a jamais rencontré McCartney. Non, juste les notes mélancoliques de son Yesterday à luià

London Prisoner, par Régis Franc. Fayard, 216 p.

Jérôme Dupuis

Des maçons qui passent des heures à la cérémonie du  » thé au plâtre « 

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