Un faux air d’armée d’opérette

En paix depuis trois quarts de siècle, le Belge de 1914 répugne à payer pour sa défense. Son armée traîne la réputation peu flatteuse d’aligner  » des soldats en papier et des fortifications en carton « . Fausse impression.

Le Belge n’a rien d’un homme des casernes. Sa répugnance traditionnelle à la chose militaire lui ôte toute envie de faire le moindre effort pour sa défense. L’armée n’a pas bonne presse et peu d’alliés. Les catholiques, le clergé en tête, n’y voient qu’un lieu de déperdition et de déchristianisation des âmes. Les socialistes l’estiment contraire à leur idéal internationaliste.

 » Le Belge n’a jamais aimé les fracas guerriers ni les impôts qui y sont liés « , résume l’historien Francis Balace (ULg). Moralité : cette armée est longtemps restée une  » armée de pauvres « , au sens propre du terme. Tributaire d’un système de tirage au sort profondément injuste, puisqu’il permettait aux malchanceux qui en ont les moyens financiers de se faire remplacer. C’était la porte ouverte à un mercenariat de basse extraction. Léopold II, sur son lit de mort, est parvenu à instaurer le service militaire personnel obligatoire pour un fils par famille.

Le bruit de bottes de plus en plus perceptible en Europe réveille les consciences. Mais le tempérament foncièrement pacifiste des Belges s’accommode mal de la montée des périls.  » Le peuple n’a plus connu la guerre depuis trois quarts de siècle et ne croit pas à son danger imminent « , relève Laurence van Ypersele (UCL).

Tout arrive. Au printemps 1913, le service militaire est généralisé. La réforme fleure bon le compromis à la belge, avec son lot de privilégiés dont témoigne Francis Balace :  » Séminaristes et instituteurs laïques ne seront appelés en temps de guerre que comme brancardiers. Les étudiants sont affectés à des compagnies universitaires qui ne participent à des manoeuvres qu’en période de vacances. Ce n’est pas l’armée de tout le monde.  » Certainement pas celle des gradés flamands : l’armée de 1914 reste un bastion francophone.  » Nulle part ailleurs, on ne note un aussi profond mépris pour le flamand « , selon Els Witte (VUB).

Par volonté de ne fâcher personne, une ligne stratégique hésitante refuse de désigner à l’avance qui, du Français ou de l’Allemand, sera l’ennemi le plus probable. Ce souci de ne pas prendre parti est poussé jusqu’à l’absurde : l’industriel allemand Krupp produira l’efficace canon de 75 mm, pièce maîtresse de… l’artillerie française.

L’effort de guerre, soutenu mais tardif, surprend l’armée belge d’août 1914,  » au milieu du gué des réformes engagées « , selon l’historien français Michaël Bourlet. Les quelque 200 000 hommes mobilisables qu’elle aligne sur papier ne font pas vraiment peur.  » Les pays européens n’accordent aucune crédibilité à l’armée d’Albert Ier.  » Lourde erreur d’appréciation. Elle se vérifiera dans les forts de Liège et les tranchées de l’Yser.

La Belgique et la Grande Guerre, par Michaël Bourlet, Soteca, 2012.

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