Linda Fairstein. © KATHERINE MARKS/ISOPIX

Un face-à-face d’anthologie

Vingt-trois des meilleurs auteurs de thrillers font se rencontrer leurs héros respectifs et récurrents dans onze nouvelles inédites. Unique et jubilatoire pour les fans de serials.

Les noms de Harry Bosch, John Rebus, Lincoln Rhyme, Jack Reacher, Repairman Jack ou Aloysius Pendergast vous sont familiers ? Dans ce cas, pas de doute, vous êtes un.e lecteur.rice friand.e de thrillers, et surtout de serial thrillers anglo-saxons dont les personnages récurrents sont presque aussi connus que leurs auteurs, revenant parfois dans des dizaines de livres – une manière parmi d’autres de distinguer les thrillers des romans noirs ou polars, moins consommateurs de tels récidivistes. Dans ce cas, cette anthologie (1) regroupant onze nouvelles ne pourra pas vous échapper, puisque son contenu est absolument unique : pour la première et sans doute la dernière fois, des stars du genre tels Dennis Lehane, Michael Connelly, Peter James, Lee Child ou R.L. Stine mêlent leur écriture et, surtout, leur héros dans une succession de face-à-face souvent réjouissants, le tout sous la conduite de l’Américain David Baldacci ( Les Pleins pouvoirs, Le Camel Club), grand spécialiste des thrillers en série et des héros récurrents, qui ne se mêle pas aux autres mais éclaire brillamment la gestation et la fabrication, à chaque fois différentes, de chacun de ces crossovers. Lesquels en disent long, aussi, sur les limites du genre et les ego et des auteurs, et de leurs créatures.

Onze nouvelles toutes différentes forment un tout presque trop cohérent.

Harry Bosch (présent dans dix-huit romans de Michael Connelly) qui quitte Los Angeles pour Boston et y trouve Patrick Kenzie (six thrillers de Dennis Lehane). John Rebus (vingt fois utilisé par Ian Rankin) qui demande de l’aide à Roy Grace (apparu dans quinze romans de Peter James). Paul Madriani (neuf thrillers, dont sept en français, de Peter James) qui croise Alexandra Cooper (au casting de vingt romans de Linda Fairstein) lors d’une conférence professionnelle. Ou même Slappy le pantin ventriloque (créature maintes fois citée dans les romans horrifiques de R.L. Stine) qui s’invite dans le dernier cauchemar d’Aloysius Pendergast (flic albinos déjà héros de dix-huit romans du duo Lincoln Child-Douglas Preston)…  » Normalement, ça ne devrait pas arriver « , souligne David Baldacci dans son introduction, et ce, non pour des questions de distance, d’âge ou même de crédibilité, mais juste de business.

Michael Connelly.
Michael Connelly.© NANCY PASTOR/PHOTO NEWS

 » Chaque auteur est sous contrat avec sa maison d’édition, explique-t-il. S’associer avec un autre écrivain d’une autre maison, et mêler ses personnages devrait être contractuellement impossible. Quel éditeur publiera cette histoire ? Impossible de décider.

Et n’espérez pas que les deux laissent à un troisième le soin de la publier. Seul le modèle de l’ITW – où les histoires sont offertes et où l’argent revient à l’organisation – permet à ce recueil d’exister. » ITW comme International Thriller Writers, l’organisation professionnelle des auteurs de thrillers lancée à Toronto en 2004, qui compte désormais 2 500 membres issus de quarante-neuf pays, et qui n’en est pas à son premier coup de maître pour se financer : en 2006, son anthologie logiquement baptisée Thriller, regroupant trente-trois nouvelles de trente-trois auteurs différents, s’était écoulée à plus de 500 000 exemplaires.  » Ce volume est donc un événement rare « , conclut David Baldacci. Et, surtout, éclairant sur le thriller, son écriture et ses auteurs.

D’amusantes batailles d’ego

Bien sûr, il y a des rencontres plus réussies, plus excitantes ou moins artificielles que d’autres – un petit goût d’inégal, inhérent à l’exercice de l’anthologie et de l’oeuvre collective, et qui dépend surtout de l’attachement du lecteur à son ou ses héros préférés. Si on est ainsi un peu resté sur sa faim avec le face-à-face le plus fameux, réunissant le temps d’une nouvelle Dennis Lehane et Michael Connelly (on aurait voulu que ça dure !), on sourit encore en se remémorant la brève et jubilatoire rencontre (en réalité, plutôt un  » côte à côte « ) écrite par Lee Child et Joseph Finder mettant en scène, le temps d’un match de baseball dans un bar de Boston, leurs héros respectifs Jack Reacher et Nick Heller, un justicier solitaire et dur de dur, lui-même inspiré de… Jack Reacher.

(1) Face à face, collectif, traduit de l'anglais par Maxime Berrée, éd. Fleuve Noir, 399 p.
(1) Face à face, collectif, traduit de l’anglais par Maxime Berrée, éd. Fleuve Noir, 399 p.

D’autres confrontations nous ont parfois laissé de marbre, mais toutes parviennent, grâce aux introductions de Baldacci, à son goût du making off et aux particularismes des us de chaque duo et de chaque nouvelle, à susciter l’intérêt. On comprend ainsi que Connelly a écrit les six premières pages de sa nouvelle Vol de nuit en y joignant des notes et des angles potentiels, sans autres interactions ni dialogues avec Lehane. Que Jeffery Deaver et John Sanford se sont au contraire répartis l’écriture en travaillant simultanément et en reprenant à chaque fois le manuscrit de l’autre. Ou encore que ces amis proches que sont Lee Child et Joseph Finder se sont surtout amusés à se surprendre l’un l’autre.  » Qu’est-ce que tu vois arriver, après ?  » demande l’un.  » Aucune idée. Je le saurai quand tu l’auras écrit « , lui répond l’autre. Onze manières de faire parfois radicalement opposées pour onze nouvelles forcément toutes différentes mais qui, pourtant, forment un tout presque trop cohérent.

Si on peut mettre cette petite impression d’uniformité sur le compte du Français chargé de traduire l’ensemble, et qui met donc une même patte sur onze textes différents, force est aussi de constater que les ressorts, les caractères et les écritures se ressemblent toutes beaucoup dans le genre du thriller anglo-saxon. La faute, sans doute, à leurs fameux ateliers d’écriture qui ont façonné beaucoup d’auteurs et qui, hélas, finissent ainsi, pour beaucoup, par tous se ressembler dans leurs ressorts, leurs rythmes ou leurs ficelles. Restent les amusantes batailles d’ego, qui prouvent parfois qu’une nouvelle est un terrain de jeu trop petit pour deux héros habitués à occuper le devant de leur grande scène respective – souvent, dans la succession de ces face-à-face uniques en leur genre, c’est à celui qui sortira la meilleure vanne, ou la réplique la plus brillante. Les amateurs apprécieront.

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