Un biographe si modèle…

Ses enquêtes littéraires font référence, son blog dicte la tendance, il publie son sixième roman… Mais qui est donc ce fin limier des livres aussi courtois qu’énigmatique ?

Affable, posé, une allure de clergyman, tendance cachemire et mocassins Weston, veste Barbour et pantalon un peu trop court, il a fini par renoncer à sa fameuse moustache – celle des hommes – des vrais – de son Maroc natal – sur les conseils de sa cadette, Kate, 25 ans,  » qui trouvait ça ringard « . Pierre Assouline, bientôt 56 ans, fait mine de se lâcher, après deux heures d’entretien dans un café du Quartier latin à Paris, non loin de Sciences po, où il donne des cours de journalisme.  » Je suis autodidacte en tout « , insiste-t-il. Même en journalisme ! Qu’importe. Le minot malingre de Casablanca, où il a vécu ses douze premières années avant de suivre à Paris ses parents, juifs séfarades, a toujours rêvé de suivre les traces de Tintin et de Rouletabille. L’élève  » moyen  » du lycée Janson-de-Sailly, sioniste militant à l’époque, se voyait déjà grand reporter, correspondant au Moyen-Orient. A 16 ans, il s’essaie à la photo et mitraille à tout-va : les manifs de Mai 68, un concert de Jimi Hendrix, l’enterrement de De Gaulle.  » J’ai même joué au paparazzi en « planquant » Mastroianni et Catherine Deneuve chez eux, dans l’appart d’en face.  » Mais les stars le repèrent et font les gros yeux. Il n’osera pas vendre ses clichés.

En 1973, la guerre du Kippour éclate : Assouline laisse tomber ses études d’histoire à Nanterre et d’arabe classique à Langues O, se porte volontaire et file en Israëlà où il finira par s’occuper d’un élevage de dindons pendant deux mois ! In fine, le jeune homme pousse les portes du Quotidien de Paris, en 1976, au culot. Philippe Tesson, ancien directeur du journal, se souvient :  » C’était un garçon réservé et résolu, timide comme une jeune vierge et très respectueux des règles. Mais on sentait déjà une volonté de fer chez ce type travailleur et structuré comme c’est pas permis. « 

Ce fan de Vélib’, qui n’a pas son permis de conduire, dit tout devoir au sport,  » mon université, le lieu de mes humanités « . Après une pratique intensive de l’aviron,  » une révélation « , Pierre Assouline s’adonne désormais au jeu de paume,  » un art de vivre « . L’endurance, l’obstination, le travail au long cours : voilà peut-être la clé de ses biographies, très fouillées, de Marcel Dassault, d’Albert Londres, de Simenon, d’Hergé, ou encore de Camondo, qui l’ont imposé en spécialiste du genre. Du coup, il est sollicité aussi bien par les ayants droit de Saint-Exupéry que par l’entourage de Gilbert Trigano, le fondateur du Club Medà Mais le biographe ne marche qu’à l’empathie,  » le seul moyen pour endosser les névroses de mes modèles « , arborant un n£ud papillon quand il écrit sur Gaston Gallimard et fumant la pipe quand il se penche sur la vie tumultueuse du créateur de Maigret.

 » Pierre est un enquêteur hors pair, méthodique, opiniâtre, recoupant ses informations « , témoigne Bernard Pivot, qui l’a engagé comme reporter à Lire en 1983. Assouline lui succédera à la direction du journal, de 1993 à 2004. Ses éditoriaux marient alors allègrement culture et curiosité.

Ses enquêtes, précises et originales, secouent souvent le cocotier littéraire : en 1987, il démonte, preuves à l’appui, le système Paul-Loup Sulitzer, qui fait écrire ses livres par un  » nègre « , Loup Durand. Dix ans plus tard, il pointe tous les plagiats de Calixthe Beyala. Aussitôt, coup de fil :  » Je vais venir, je vais te prendre par les couilles et je te jetterai par la fenêtre !  » hurle-t-elle dans le haut-parleur que l’effronté a pris soin d’actionner pour en faire profiter toute la rédaction, hilare. La romancière d’origine africaine le rappelle, chez lui, à une heure du matin :  » J’ai une poupée avec moi, je lui mets des épingles, j’espère que tu as mal ! « 

A croire que le journaliste a l’art de se faire des ennemis : Michel Houellebecq le voue régulièrement aux gémonies. Depuis la fameuse interview qu’il a accordée à Lire en 2001, l’écrivain n’a pas pardonné à Assouline la publication d’une phrase terrible pour l’islam. Au point de qualifier le journaliste de  » ténia  » dans son livre coécrit avec Bernard-Henri Lévy, Ennemis publics.  » J’ai trouvé ce terme vraiment dégueulasseà le temps d’une journée. Ses éditeurs m’ont avoué qu’ils avaient supprimé des passages carrément scatologiques, par amitié pour moi mais aussi pour Houellebecq, histoire de lui éviter un procès en diffamation. « 

Il énerve,  » Passou  » ! C’est ainsi que l’appellent ses fidèles internautes. Ignorant tout de l’informatique, Assouline s’y est mis sur le tas, en 2004, seul, éternel autodidacte. Aujourd’hui, il conjugue affluence et influence, dicte la tendance littéraire. Tout en écrivant également pour Le Monde 2, Le Nouvel Observateur et la revue L’Histoire.

Il déconcerte aussi, Passou, avec sa fascination pour les parias de l’Histoire : Raoul Girardet, un temps proche de l’OAS, avec qui il a signé un livre d’entretiens ; Jean Jardin (le grand-père d’Alexandre), éminence de Vichy, ami de Laval et de Pétain dont il a écrit la biographie. Mais comment lui, Assouline, le juif  » traditionaliste  » à ses dires, qui jure ne jamais manger de jambon et célèbre à grands frais les bat-mitsva de ses filles, a-t-il pu sympathiser avec l’ancien collabo Lucien Combelle et lui consacrer un – très bel – essai, Le Fleuve Combelle ?  » J’aime les gens pour leurs faiblesses, la force ne m’attire pas « , explique cet admirateur de Céline.

Son actualité, aujourd’hui, est ce sixième roman, Les Invités – après Lutetia, son best-seller, Double Vie, La Cliente, etc. Lors d’un dîner mondain, de nos jours, dans la grande bourgeoisie parisienne, un hôte se désiste à la dernière minute et les convives se retrouvent treize à table. La maîtresse de maison enjoint donc à sa domestique marocaine de les rejoindre, au mépris de la bienséanceà Sans être d’une folle originalité, ce huis clos féroce est finement mis en scène et se lit avec plaisir. On sent bien que l’auteur n’est pas étranger à cet univers. Lui-même et son épouse, Angela, merveilleuse maîtresse de maison, paraît-il, reçoivent volontiers dans leur bel appart du XVIe arrondissement de Paris, où l’on croise aussi bien l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin que des copains d’enfance.

Invariablement, on le dit courtois, poli, urbain, gentil, généreux, fidèle en amitié, époux et père de famille modèle – Meryl, l’aînée, a 26 ans.  » Il idolâtre ses filles, on dirait une vraie mère juive !  » sourit Nathalie Rheims, compagne de feu Claude Berri, tous deux très proches des Assouline. On le dit aussi vieux jeu, très under control, lisse, dans l’évitement.  » C’est un fou déguisé en homme normal ! témoigne son ami le romancier Alexandre Jardin, un être pétri de secrets, profondément énigmatique.  » Mais qui sait très exactement ce qu’il veut, et défend au mieux ses intérêts. Assouline a été le premier écrivain français à recourir, en 1988, aux services d’un agent littéraire, le redoutable François Samuelson, prompt à lui obtenir des à-valoir mirobolants – l’agent confirme avoir négocié une avance de 2 millions de francs pour son Simenon, en 1992.  » Pierre ne fait jamais part de ses états d’âme, confie-t-il. Never complain, never explain : la formule lui va très bien.  » Et fait de lui un membre apprécié du Siècle, club ultrasélect et très influent réunissant la fine fleur des décideurs – Alain Minc, Martine Aubry, Claude Bébéar, Odile Jacob, etc. – mais aussi du très chic Cercle de l’union interalliée et du Racing Club de France.

Les Invités, de Pierre Assouline. Gallimard, 224 p.

Delphine Peras

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