Un aller simple pour Québec

Ils sont environ 200, chaque année, à quitter la Belgique pour répondre à l’appel de la Belle Province et s’y construire une nouvelle vie

Vous êtes âgé de 20 à 35 ans ? Dix points. De 40 à 45 ans ? Un point. Vous avez un diplôme universitaire de quatre ans ? Neuf points. Une expérience professionnelle de deux ans ? Quatre points. Il vous en faudra au moins trente, au terme du questionnaire, pour être présélectionné. La suite du parcours pourra exiger de vous jusqu’à un an de patience…

Drôle de jeu, apparemment, que celui de l’immigration au Québec. Un jeu où un parent proche résidant dans la Belle Province vaut trois fois plus de points qu’un ami, et où un « technologue en radiologie » sera accueilli à bras ouverts, mais un médecin spécialisé, refusé. Ils sont une septantaine de Belges, ce soir-là, dans un local de la délégation du Québec à Bruxelles, à découvrir les détails de la procédure. Aucune publicité n’avait été nécessaire pour ce rendez-vous. Le site Internet (1) et le bouche-à-oreille avaient suffi. Deux fois par mois, autant de candidats à l’exil assistent ainsi à une succincte présentation de la plus grande province canadienne. La plupart, des jeunes surtout, viennent en couple, bloc-notes à la main et rêve de départ au coeur. « Il n’y a pas d’avenir ici pour nos trois enfants », estime une jeune éducatrice. Son mari a également un emploi en Belgique, mais l’envie de vivre dans un autre environnement, avec une autre mentalité, a emporté leur décision, même s’ils n’ont encore jamais mis les pieds au Québec… C’est aussi l’espoir de changer radicalement de vie qui a amené, ce soir-là, ce couple un peu plus âgé que la moyenne. Fonctionnaires tous les deux, ils aimeraient ouvrir une petite auberge à la campagne. « Six ou sept chambres, pas plus. » Lui a de lointains cousins là-bas. Elle a travaillé naguère pour un traiteur et s’était juré de ne plus mettre la main à la pâte. Mais leur passion pour le Québec, qu’ils connaissent bien, a rejoint « l’envie de construire quelque chose et de le faire sans les contraintes administratives et fiscales belges ».

Les Asiatiques en tête

Les aubergistes ne figurent assurément pas parmi les métiers particulièrement demandés outre-Atlantique. Cela n’élimine pas pour autant le candidat. Mais les informaticiens, agronomes, infirmiers, ingénieurs chimistes ou outilleurs-ajusteurs auront un avantage sur lui à la rubrique « professions ». Car le gouvernement québécois ne s’en cache pas : l’immigration, qu’il veut encore renforcer, est une nécessité économique vitale pour la province. Non seulement parce que la démographie locale s’écroule, avec un taux de natalité dangereusement bas (1,4 enfant par femme en 1999), mais aussi parce que le marché du travail manque de compétences dans une série de métiers, essentiellement techniques. A quoi s’ajoute le souhait d’attirer des créateurs d’entreprises, autre catégorie d’immigrants, qui, pour la seule année 2000, ont investi 307,6 millions d’euros.

Trouver là-bas un emploi qui n’existe plus ici. Il fallait s’y attendre: à Bruxelles, plusieurs ex-Sabéniens sont dans l’assistance. « Je songeais à émigrer depuis un certain temps, confie un jeune pilote. Les événements ont précipité mon projet. J’espère trouver quelque chose dans l’aéronautique. » Il ne devrait pas avoir trop de difficultés. Avec l’industrie pharmaceutique et la biotechnologie, l’aéronautique est l’un des grands atouts économiques du Québec. Mais décide-t-on sans appréhension de larguer ainsi les amarres belges ? « Pas de problème », répondent un ex-steward et sa compagne, ex-hôtesse, pressés de changer de pays et de métier. « Je n’ai aucune crainte, confie pour sa part le pilote, d’autant que j’ai déjà vécu, enfant, au Canada. Mais mon épouse, néerlandophone, envisage cela plus difficilement. »

Pour tous les autres candidats au départ, la langue française est évidemment un attrait majeur du Québec. Rien d’étonnant, donc, à constater que la France est le premier pays d’émigration vers Montréal, avec plus de 12 000 installations entre 1995 et 1999. Mais, chose assez inattendue, ce n’est pas l’Europe mais l’Asie qui envoie le plus grand nombre d’émigrants, parmi lesquels 9 000 Chinois au cours de la même période. Si la méconnaissance du français n’est pas un obstacle majeur à la sélection des candidats, le renforcement de la population immigrée francophone figure clairement dans le plan triennal de l’immigration (2001-2003) du gouvernement. De 44 % en 2000, il faut arriver à 50 % de francophones parmi les nouveaux arrivants. Autres grands axes de ce plan: l’exigence de hauts niveaux de compétences professionnelles des candidats et l’augmentation du volume total de l’immigration. Objectif: de 40 000 à 45 OOO admissions en 2003, alors qu’elles n’avaient plus dépassé la barre des 30 000 depuis 1994.

Le gouvernement de Bernard Landry voudrait aussi disperser davantage « en région » les nouveaux Québécois et ralentir leur concentration naturelle à Montréal, où se rassemblent les trois quarts des immigrés. Mais l’image du Grand Nord froid et désertique rebute pas mal de candidats. « Il y a une civilisation en dehors de Montréal, je vous l’assure ! » nous confiait en riant Joseph Facal, ministre de l’Immigration jusqu’au mois dernier, avant un changement de portefeuille (2). « Mais pour que l’établissement d’immigrants en région réussisse, nous nous employons à créer les conditions nécessaires: avoir le soutien actif des partenaires locaux et sensibiliser les régions à l’apport économique de l’immigration, elles qui n’en voient encore souvent que l’aspect social. »

« De maudites bonnes raisons »

Terre d’accueil, le Québec cosmopolite l’est depuis longtemps pour les Belges. Certes, la communauté noir-jaune-rouge ne pèse pas d’un grand poids parmi les 7,3 millions d’habitants. Elle compte seulement quelque 10 300 membres (selon le ministère québécois) et à peine trois fois plus dans le reste du Canada. La plupart d’entre eux sont de « vieux » immigrants, installés avant 1975. On en retrouve beaucoup, aujourd’hui, à des postes à responsabilités dans l’enseignement universitaire, dans l’administration publique, dans le commerce et l’industrie.

Parce qu’il est pragmatique, habitué à la coexistence communautaire et moins replié que d’autres sur sa propre communauté, le Belge fait preuve d’une faculté d’adaptation que soulignent volontiers les Québécois. Cela ne signifie pas pour autant que l’intégration dans une société aussi francophone dans son parler qu’anglo-saxonne dans sa mentalité s’opère en un tour de main. Ainsi, la difficulté de nouer des amitiés durables revient souvent dans les témoignages d’immigrés. « Ici, le contact est plus facile mais moins profond, observe Jean-Pierre Coljon, canadien depuis vingt ans. En Belgique, on est fidèle en amitié mais aussi plus conservateur dans les idées. Ici, on va changer plus facilement d’amis et d’idées. » Même écho chez Huguette Orly, charmante « mamie » bruxelloise qui traversa définitivement l’Atlantique en 1967 et qui préside aujourd’hui la Société des écrivains canadiens: « J’ai trouvé ici un vaste champ créateur où réaliser ce que je souhaitais. Mais on reste une immigrée. Le Québécois aime rencontrer les étrangers mais avec la crainte de ne pas être reconnu comme il le voudrait. »

« L’émigration, c’est comme un accouchement: tant qu’on ne l’a pas vécue, on ne sait pas », estime Marie-Claude Hansenne, journaliste devenue conseillère en communication dans l’administration. « J’aime ce pays et les gens d’ici, mais ça m’a pris du temps. Changer de pays, c’est un acte d’humilité : personne ne t’attend et il faut accepter de s’entendre dire qu’on n’a pas besoin de toi. Accepter aussi que tu ne seras jamais d’ici et que tu ne seras plus jamais belge. Pour faire cela et te remettre ainsi en question, il faut vraiment de maudites bonnes raisons… »

(1) www.immq.gouv.qc.ca

(2) L’Immigration est passée sous la compétence de Rémy Trudel, ministre d’Etat, et d’André Boulerice, ministre délégué.

Jean-François Dumont

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