Trop lourd pour eux

En gros, ils ont trop de poids. En détail, ils ont, aussi, une vie qui marche mal. A cause de leurs kilos en trop. Ou parce que ces derniers masquent ce qui, en eux, ne tourne pas rond. Visite dans un internat qui propose des réponses aux enfants obèses

Au-dessus de son lit, elle a collé des photos. Petite fille d’une dizaine d’années, elle sourit, les joues éclatantes de santé. De trop de santé. Tiens, la voilà qui passe en courant dans le couloir! Mais elle n’est plus tout à fait la même que sur les photos. On reconnaît bien son minois et ses yeux brillants. Pourtant, on dirait qu’elle a perdu quelques kilos. Certes, elle reste encore un peu « bouboule ». Mais elle n’est déjà plus cette gamine dont on se disait qu’elle ne devait pas rigoler tous les jours avec ces kilos en trop…

Car pour ne pas s’amuser, ils ne s’amusent pas, les gosses obèses ou trop gros. « Selon les derniers chiffres, en Belgique, 11% de la population pédiatrique serait touchée par ce problème de surpoids (pour 33 % d’enfants américains!), explique le Dr Rosane Lemahieu, pédiatre. Cependant, ce pourcentage est probablement sous-évalué. » En septembre 2000, le centre médical Clairs Vallons, un ancien préventorium situé à Ottignies, dans le Brabant wallon, a ouvert une section d’internat diététique capable d’accueillir une quarantaine d’enfants ou d’adolescents. Envoyés par un généraliste, un pédiatre ou un centre hospitalier, tous souffrent d’une obésité sévère ou compliquée par d’autres maladies, comme un pré-diabète, une insuffisance respiratoire, des problèmes orthopédiques, etc. Les jeunes sont accueillis pendant l’année scolaire (le centre dispose d’une école primaire, les pensionnaires plus âgés rejoignent un établissement de la région) et, en principe, pour une seule année.

L’équipe pluridisciplinaire dispose donc – vaste programme – d’une dizaine de mois pour comprendre pourquoi ces enfants ont accumulé un tel poids, pour entamer une thérapie individuelle et familiale, s’attaquer au traitement des maladies liées à cette pathologie, « corriger » les comportements alimentaires, faire apprécier une nourriture équilibrée, proposer des activités physiques adaptées et l’envie de continuer à faire du sport.

« Il s’agit de parvenir à contrôler leur poids, mais, en soi, cela ne suffit pas, explique le Dr Myriam Vande Weyer, pédiatre à l’internat. A travers une meilleure compréhension des troubles qui ont entraîné l’obésité, nous cherchons à améliorer la qualité de vie de ces enfants. » En clair, la « réussite » de cette année, passée loin du milieu familial, puisque les enfants ne rentrent chez eux que les week-ends, ne se calcule pas uniquement en nombre de kilos perdus. Sur ce plan, l’année dernière, les résultats ont d’ailleurs été meilleurs chez les garçons (l’un d’entre eux avait perdu… 50 kilos, mais, à sa sortie, selon les règles de calcul de l’indice de poids corporel, il était toujours considéré comme obèse) que chez les filles.

« L’enfant gros est stigmatisé, rejeté, rappelle Hélène Leclef, psychologue. A l’école comme dans la famille, de nombreux stéréotypes sont liés à cet état. Ainsi, les obèses, adultes compris, passent pour bêtes ou maladroits. Cela entraîne chez eux une dépréciation de leur image. Leur corps leur paraît souvent comme répugnant ou grotesque. Du coup, ils se replient, s’isolent, se sentent « moches » ou sans valeur. Un cercle vicieux risque de s’installer: afin de supprimer leur état de tension, quand ils se sentent trop mal… ils mangent! » Une prise en charge dans une institution a, aussi, pour but de briser cette spirale.

« On considère que, dans un tiers des cas, l’obésité est due à un problème génétique, explique le Dr Rosane Lamahieu. Pour le reste et, parfois, en association, ce problème relève d’un mauvais équilibre entre l’alimentation et les activités physiques ainsi que de causes psychologiques. Encore mal cernées, ces dernières peuvent à la fois être à l’origine de l’obésité ou survenir en raison de celle-ci. » Le surpoids n’est souvent qu’un symptôme, une porte d’entrée à une souffrance cachée par la graisse et qui ne peut se dire que par le corps… Seule une approche multidisciplinaire permet alors de (bien) répondre aux problèmes. Cela dit, même si chaque enfant a son histoire, l’équipe thérapeutique a constaté un certain nombre de traits communs parmi ces jeunes.

« Parmi la vingtaine d’enfants qui ont vécu à l’internat l’an passé, presque tous venaient de familles fragilisées (mère en prison, maladie grave d’un des parents, tentative de suicide ou dépression, divorce difficile…) », indique Hélène Leclef, psychologue. D’autre part, dans la quasi-totalité des cas, ces jeunes avaient été victimes d’un traumatisme, comme, par exemple, un deuil non résolu, des conflits parentaux, une maltraitance, un viol… Enfin, il arrive aussi que l’enfant obèse joue le rôle d’antidépresseur pour un de ses parents, surtout parmi les familles monoparentales. En effet, il contribue alors à l’équilibre d’un système familial qui, sans lui, serait en crise: l’obésité créé une situation très lourde à vivre, mais elle peut détourner l’attention des parents de leurs propres problèmes. « C’est alors un peu comme si l’enfant mettait en échec sa vie sociale pour assumer un autre rôle au sein de la famille », conclut la psychologue.

« Dans l’immense majorité des cas, ces enfants étaient incapables d’être seuls ou montraient des difficultés à acquérir leur autonomie, poursuit Laurence Maroquin, psychologue. En apparence, ils ont l’air heureux, mais ils sont souvent très angoissés, insécurisés et agressifs, y compris envers eux-mêmes. » On comprend mieux, dès lors, pourquoi la participation des parents est essentielle au traitement de l’enfant. Tous les quinze jours, ils participent à une thérapie familiale. Mais ils rencontrent aussi régulièrement les autres intervenants du centre. Ils doivent, enfin, soutenir leur enfant à la maison: moins de tentations dans les armoires, un nouveau mode de préparation et de composition des plats et, si possible, comme à l’internat, de vrais repas pris à table et en commun… Les habitudes alimentaires de toute la famille sont souvent entièrement remises en question.

« Les erreurs diététiques les plus fréquentes des enfants et des adolescents obèses sont bien connues, rappelle Stéphanie Boltérys, diététicienne. Ils ne prennent pas de petit déjeuner, mangent rapidement, sans mâcher, grignotent de manière incessante, surtout après l’école, abusent de boissons sucrées et prennent des repas déstructurés. A l’internat, nous rencontrons aussi bien des jeunes qui mangent de tout en grande quantité que ceux qui consomment de faibles quantités à densité calorique élevée. Il ne s’agit cependant pas de les culpabiliser ou de les soumettre à un régime strict, peu indiqué en cette période de croissance. »

A chacun ses menus et ses quantités, donc, en fonction de son histoire et de ses besoins. Un pensionnaire qui, à son entrée au centre, ingurgitait 4 000 calories par jour (et encore, lors du bilan réalisé à l’entrée, les jeunes sous-estiment souvent leurs prises alimentaires…) ne se retrouve donc pas avec trois bouts de carottes, deux feuilles de laitue et un peu de viande maigre, comme cela pourrait être le cas d’un adulte. Et puis, franchement, les menus individualisés accrochés dans les salles à manger des pavillons sont plutôt sympathiques. « Peu à peu, les enfants, acteurs à part entière de leur traitement, doivent apprendre à se faire plaisir en respectant les bases d’une alimentation équilibrée. Nous devons leur donner des atouts pour conserver le poids auquel, enfin, ils se sentiront bien, complète la diététicienne. Enfin, les jeunes sont encouragés à distinguer la faim de l’envie. » Cela permet de les mettre en garde contre l’ennui, si difficile à gérer, et qui pousse souvent de la télévision au frigo…

« La prise en charge en résidence reste une mesure exceptionnelle », assure une psychologue du centre qui rappelle qu’on ne peut banaliser une séparation familiale. Ici, elle permet cependant à l’enfant « de se débarrasser de son symptôme en sécurité, puisque le jeune et sa famille sont aidés, et d’aborder les causes réelles de l’obésité », explique Laurence Maroquin. L’an dernier, tous les jeunes qui ont quitté le centre n’étaient donc pas forcément devenus « minces ». Mais ils avaient commencé à le devenir, dans leur corps et dans leur tête. « Sans traitement adapté pendant l’enfance, rappelle le Dr Rosane Lemahieu, 70 % des enfants obèses le resteront une fois adultes. »

L’enfant trop gros est stimgmatisé et rejeté. Il se sent moche et sans valeur. Alors, pour supprimer son état de tension… il mange!

Pascale Gruber

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