Trop de fonctionnaires ?

Trop nombreux, les fonctionnaires ? Tout est question de point de vue. Et d’idéologie. Gardons-nous des statistiques internationales pseudo-scientifiques : sous la bataille des chiffres se cachent d’autres enjeux. On ne peut juger de l’ (in)efficacité des services publics en se basant exclusivement sur le nombre et le coût des agents. Faire plus avec moins ? Aux yeux de certains néolibéraux, tel serait l’idéal. Et si on essayait, plutôt, de faire mieux et autrement ? Pleins feux sur les dysfonctionnements qui plombent l’administration et rangent la Belgique parmi les plus mauvais élèves européens.

La Belgique est le pays européen qui compte le plus de ministres, le plus de parlementaires, et le plus d’agents des services publics par administré. Cela, c’est sûr. Nul ne le conteste plus désormais, même si le calcul précis du nombre de serviteurs de l’Etat est difficile à effectuer, selon que l’on intègre, ou non, des travailleurs qui ne sont pas, au sens strict, des  » fonctionnaires « , mais qui £uvrent, eux aussi, au  » service  » du public : les  » corps spéciaux  » (magistrature, armée), le personnel des  » sociétés anonymes de droit public  » (La Poste, Belgacom, SNCB, etc.), le personnel hospitalier… Les chiffres avancés varient, aussi, selon l’idéologie défendue par les analystes : on ne s’étonnera pas que le service d’études de la CGSP (syndicat socialiste de la Fonction publique) ne livre pas les mêmes données qu’un élu libéral, un copain de Jean-Marie Dedecker, ou un think tank (groupe de réflexion) dirigé par des économistes  » de droite « . De même, une institution altermondialiste n’aura certainement pas la même approche statistique que l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), très à cran sur les dépenses publiques et l’  » efficacité  » étatique. En un mot comme en cent : les données comptables et statistiques sont donc à manipuler avec le recul nécessaire, et à prendre pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des éléments parmi d’autres, utiles à l’analyse. Certainement pas pour la vérité révélée.

Mais revenons-y, à ces chiffres : si l’on compte  » large « , un travailleur sur trois serait payé sur la cassette de l’Etat, c’est-à-dire avec l’argent des contribuables. C’est beaucoup : la moyenne européenne avoisine, d’après les études, un emploi  » public  » sur 5 ou sur 8. Quelle que soit la marge d’erreur, la Belgique occupe le haut de la pyramide. Evidemment, au registre des dépenses publiques, la Belgique tient également le pompon : d’après l’OCDE, notre pays consacrerait chaque année la moitié de son revenu national au secteur public.

Les chiffres officiels, eux, font état de 800 000 serviteurs de l’Etat – et des entités fédérées –  » stricto sensu « . Sur 100 habitants, donc, on dénombrerait 13 fonctionnaires. Et la tendance n’est pas à la baisse. Au contraire, c’est l’inflation : au cours des dix dernières années, les effectifs ont augmenté de 8 % ! Ce sont les pouvoirs locaux (villes, communes, provinces) qui ont fait preuve de l’appétit le plus gargantuesque, suivis par les entités fédérées, c’est-à-dire l’administration des Régions et des Communautés. Si l’on en croit la dernière étude de l’Itinera Institute, développée par Jean Hindriks, professeur d’économie à l’UCL, l’emploi public aurait augmenté, ces dernières années, de plus de 13 % en Flandre, de près de 10 % en Wallonie et de quasiment 8 % à Bruxelles ! Intéressant et en décalage par rapport aux idées reçues :  » En 2003, affirme Hindriks, l’emploi public par habitant est devenu légèrement plus important en Flandre (10 %) qu’en Wallonie (9,9 %).  » Mais, une fois encore, en cette matière, on ne sait trop à quel saint se vouer : d’après Rudy Aernoudt, 40 % des Wallons travailleraient dans le secteur public au sens large, pour 28 % seulement des Flamands.  » Si la Wallonie prenait à bras-le-corps son problème de fonction publique, d’ici à dix ans, elle aurait éradiqué les transferts Nord-Sud « , martèle Aernoudt, qui compte se présenter aux suffrages des Wallons en juin 2009. Quoi qu’il en soit, il est un point sur lequel tout le monde semble d’accord : les  » échelons intermédiaires « , c’est-à-dire les provinces, les communes, les Régions et les Communautés, restent trop gourmandes en termes d’emplois publics.

De  » vieux  » fonctionnaires : une opportunité

A l’échelon fédéral, en revanche, le nombre des fonctionnaires (84 000 agents, soit un budget salarial annuel de 3,5 milliards d’euros) a légèrement diminué au cours de la décennie écoulée. Dans la majorité, certains voudraient pousser plus loin. Beaucoup plus loin.  » Nous devrions dégraisser de 10 % « , assène Vincent Van Quickenborne (Open VLD), ministre pour l’Entreprise et la Simplification. Une opportunité  » historique  » s’ouvre, en tout cas, de réduire les effectifs de la fonction publique : d’ici à 2012, plus de 40 % des fonctionnaires devront partir à la retraite. Nous avons, en effet, la fonction publique la plus vieille d’Europe : pas loin de la moitié des agents sont âgés de plus de 50 ans ! Au Luxembourg et aux Pays-Bas, cette proportion s’élève à 20 % seulement. Un problème, évidemment, mais aussi une chance : l’occasion ne se représentera pas de sitôt de redimensionner la fonction publique. Et, par conséquent, d’en réduire le coût.

Pas d’enthousiasme débridé, cependant :  » Le raisonnement selon lequel la réduction du nombre de fonctionnaires entraîne automatiquement une diminution proportionnelle des dépenses en personnel est trop simpliste « , prévient Inge Vervotte (CD&V), ministre de la Fonction publique et des Entreprises publiques.

Et pour cause. Les services publics doivent être jugés à l’aune d’autres critères que leur coût et le nombre de leurs agents. Il faut tenir compte du taux de satisfaction des usagers, des conditions de travail des fonctionnaires, de l’efficacité des services offerts au public, de la capacité de l’Etat à attirer des travailleurs compétents.  » Il faudra par exemple oser parler, dans les prochaines années, de nouveaux investissements dans l’informatisation et l’ e-government, ainsi que du salaire des agents les plus qualifiés « , ajoute Vervotte. Indispensable, en effet, si l’on veut que les économies réalisées grâce à la réduction des effectifs ne débouchent pas sur une perte de qualité.

Vervotte semble avoir compris qu’on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre : si l’on veut des services publics de qualité, on ne peut traiter les fonctionnaires comme une simple ligne budgétaire. Il n’empêche : les tensions fiscales, ainsi que la crise financière et économique, acculent l’Etat à une large réforme du secteur public, et à un coût allégé. Il faut que la Belgique s’y mette sans tarder, du Nord au Sud. A défaut, le sens et le goût du service public risquent fort de passer à la trappe devant des impératifs strictement financiers.l

Isabelle Philippon; I. Ph.

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