Trompeurs trompés
Pour clore sa saison, la Monnaie reprend Le Nozze di Figaro, de Mozart. Une commedia per musica pour rire… ou méditer sur la confusion entre amour et désir.
L e Nozze di Figaro, opéra-bouffe en quatre actes créé à Vienne en 1786 (d’après Le Mariage de Figaro de Beaumarchais), fait suite au Barbier de Séville : Figaro est devenu l’intendant du comte Almaviva et souhaite épouser Susanna, la camériste de la comtesse. Lui, l’entremetteur qui couvrait, jadis, les incartades de son maître, doit désormais s’en défendre, car Almaviva, volage et jaloux, s’intéresse d’un peu trop près à Susanna, tout en se montrant envieux d’un familier de ces dames, le jeune Cherubino… Voilà, résumé, le » minimum requis » pour entrer dans l’histoire… Quand le rideau se lève, à la Monnaie, sur le matin de cette folle journée, Figaro, en marcel et bretelles, mesure les dimensions d’une buanderie que son patron leur a » généreusement » permis d’occuper comme chambre à coucher. Susanna, fine mouche, essaie d’expliquer la nature de ce cadeau empoisonné à son promis, visiblement dur de la comprenette… Après, pour suivre l’intrigue, il faudra bien s’accrocher. Avec une hardiesse dramaturgique et une complexité théâtrale rares, les Noces enchaînent les enchevêtrements de triangles amoureux, de billets donnés, repris, tombés en de mauvaises mains, de pièges tendus dans lesquels plongent, à tour de rôle, les protagonistes. Les apartés sont trop rapides ? Vous n’avez pas tout saisi ? Qu’importe ! Même les héros y perdent sans cesse le fil de leurs manigances : » Leurs esprits s’embrouillent ! « , » Ils ne comprennent plus rien ! « , » Ils ont du mal à suivre ! » affichent les sous-titres projetés en haut de la scène…
» Quand, en 1998, nous avons monté cette production pour la première fois, explique Dagmar Pischel, qui en assure aujourd’hui la reprise, nous nous sommes inspirés, pour le personnage d’Almaviva, de Bill Clinton, alors impliqué dans l’affaire Lewinsky… » Mais ce comte un peu brutal et beaucoup macho n’est pas le seul à cultiver l’ambiguïté : en assurant Figaro d’un amour sincère, Susanna entretient avec son employeur des rapports pas clairs, flattée qu’elle est d’en recevoir les avances. Ce » droit » ( NDLR : de cuissage) que les choristes prient le comte d’abandonner à l’égard de la soubrette semble en tout cas ne pas l’éc£urer vraiment. Enfin, quand elle affirme que » Chérubin fait tout bien « , faut-il y lire la preuve que sa vertu est… bien petite ? Tous ces récidivistes du mensonge ont assurément le diable au corps. Et l’on rit beaucoup, dans ce Feydeau avant la lettre, des complots, des quiproquos et, même, des pitreries des uns et des autres (une réjouissante glissade sur le derrière, un pugilat de sacoches très » de Funès « …). José Van Dam, un Figaro du passé, se rappelle sans doute aussi l’ambiance déjantée des Noces qui signaient les adieux à la Monnaie de Gerard Mortier et de Sylvain Cambreling, en 1991… Ici, les soufflets pleuvent, les pardons aussi, et John Graham-Hall, dans le rôle de Don Basilio, est absolument savoureux dans son jeu, comme l’est tout autant dans le chant le Chérubin de Janja Vuletic, à la voix légère, agile et nette. Habitué de ces Nozze, Jérémie Rhorer, 35 ans, emmène ces affaires scabreuses d’une main de maître : sa direction d’orchestre, dans cette £uvre, lui a d’ailleurs valu d’être nommé, par la critique française, » révélation musicale de l’année 2008 « . Allez, on le répète une dernière fois : vous n’avez pas tout compris de la trame ? Pas grave. La verve, la tendresse, l’humour charmant compensent. Chez Mozart, les maris sont » infidèles par nature et jaloux par orgueil « , les femmes sont » des roses pleines d’épines et des renardes pleines de ruse « . Et la musique est belle, si belle…
Le Nozze di Figaro, à la Monnaie, jusqu’au 26 juin. Infos : 070 233 939 ; www.lamonnaie.be
Valérie Colin
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