Travailler moins pour conjurer la crise ?

Il n’y a sans doute pas d’autre choix, mais ce n’est pas cela qui nous rendra la prospérité.

A fin juillet 2009, la Belgique comptait 586 570 chômeurs (demandeurs d’emploi inoccupés dont, mais pour juin, 443 574 chômeurs complets indemnisés). Cela représente une augmentation sensible par rapport à la même période de l’année 2008, où il y en avait 528 379.

Néanmoins, jusqu’à présent, l’impact de la crise sur le taux de chômage a été relativement limité puisque celui-ci est  » seulement  » passé de 7,3 % en juin 2008 à 8,1 % en juillet 2009 (selon Belgostat). Mais, ces chiffres, hélas, sous-estiment la gravité du problème. Si l’augmentation du nombre de chômeurs est restée sous contrôle, c’est en partie grâce au rôle d’amortisseur joué par le chômage temporaire ou chômage économique. En mars, on comptait chaque jour plus de 100 000 chômeurs partiels dans cette situation : un ouvrier sur quatre aurait ainsi chômé au moins un jour par mois.

Mais tout cela n’est rien par rapport à ce qui nous attend. Selon le Bureau du Plan, plus de 800 000 personnes seraient privées de leur travail en 2011 ! Un début de reprise en 2010 n’aura pas d’effet immédiat positif sur l’emploi.

Que peut-on faire ?

Dans les années 1980, on pensait pouvoir combattre le chômage en partageant le temps de travail. On partait de l’hypothèse que le nombre d’heures de travail disponibles était limité et qu’il fallait donc les partager entre tous les travailleurs si l’on voulait réduire le nombre de chômeurs. C’est ce qui a amené par exemple la France à voter la loi des 35 heures sous le gouvernement socialiste à l’initiative de Martine Aubry, alors ministre du Travail. En Belgique, on n’a pas eu besoin d’une loi pour arriver à une situation comparable : le nombre moyen d’heures de travail par année est tombé de 1 660 à 1 566 entre 1997 et 2008. Nous sommes largement en dessous de la moyenne européenne qui est de 1 635 heures.

Ces mesures ont sans aucun doute amélioré le bien-être des travailleurs en leur accordant davantage de temps libre, mais on ne peut pas dire qu’elles ont eu un impact important sur le taux de chômage qui est resté important dans les deux pays cités.

En soi, la réduction du temps de travail n’est ni bonne ni mauvaise : c’est une question de choix de société ou de choix individuel. Mais si on travaille moins, on réduit la capacité productive du pays et par là même la croissance. Et si cette diminution du temps de travail ne s’accompagne pas d’une diminution des revenus, c’est la compétitivité des entreprises qui est en cause. Or moins de croissance et une compétitivité détériorée signifient inéluctablement plus de chômage…

La crise a changé la donne

Avec la crise que nous connaissons, les données du problème sont évidemment tout à fait bouleversées. Un grand nombre d’entreprises ont vu fondre leurs carnets de commandes à une vitesse que les plus pessimistes n’auraient pas pu imaginer. Et dans ce cas, il faut bien reconnaître que le nombre d’heures de travail disponibles restera limité tant que durera la récession. Il est donc légitime de prendre des mesures pour y faire face. Mais seulement à certaines conditions.

Ces mesures doivent être temporaires ou réversibles. En effet, quand la reprise sera là – et elle viendra, c’est une certitude, même si on ne sait pas quand – il faut que notre outil de production soit capable de saisir toutes les opportunités qui se présenteront pour ne pas manquer le train de la nouvelle croissance.

Et il faut aussi naturellement qu’elles ne s’appliquent pas aux rares secteurs ou entreprises qui continuent à prospérer – Dieu merci ! Il serait bien dommage, en effet, d’affaiblir les quelques locomotives qui nous restent.

C’est ce qu’a bien compris le gouvernement fédéral en rendant possible une sorte de  » chômage économique  » pour les employés (à l’instar de ce qui existe déjà pour les ouvriers). Le terme de chômage économique a été évité de manière à ne pas froisser les syndicats qui n’ont pas voulu signer une convention collective à ce propos parce qu’ils voulaient que des progrès importants soient accomplis vers l’harmonisation des statuts des ouvriers et employés. Mais comme on n’a pas entendu beaucoup de protestations de leur part, on peut supposer que les mesures prises à la l’initiative de Joëlle Milquet (CDH), ministre de l’Emploi, et contenues dans la loi  » anticrise  » entrée en vigueur le 25 juin ont au moins leur support tacite.

Les mesures du gouvernement

En quoi consistent ces mesures ?

Les entreprises en difficulté qui connaissent une baisse de leur chiffre d’affaires ou de leur production de 20 % au moins ou un chômage temporaire d’au moins 20 % de leur personnel ouvrier pourront recourir au chômage temporaire pour leurs employés également, mais pendant une période limitée et moyennant une convention collective. Elles pourront aussi conclure avec des travailleurs individuels une convention visant à réduire leur temps de travail de 1/5 ou de 1/4. En compensation, ces travailleurs recevront une allocation compensatoire à charge des pouvoirs publics.

Toutes les entreprises pourront réduire temporairement de 1/4 ou de 1/5 la durée collective du travail. Elles pourront, dans ce cas, bénéficier d’une réduction de cotisations sociales qui devra être en partie ristournée au travailleur pour compenser la perte de salaire.

Il s’agit bien de mesures temporaires puisqu’elles cesseront leurs effets à la fin de cette année. Elles pourront toutefois être prolongées jusqu’à fin juin 2010 en fonction de la situation économique. Au vu des dernières prévisions conjoncturelles, on peut supposer que ce sera bien le cas.

C’est donc bien à une sorte de réduction du temps de travail que l’on a recours pour conjurer la crise. Mais il est clair que ces mesures, pour utiles qu’elles soient, ne permettront pas de remettre la population au travail. Tout au plus permettront-elles d’amortir le choc. Le redressement dépend avant tout de la demande européenne, voire mondiale dont nous ne sommes pas maîtres. La demande intérieure pourrait, certes, être stimulée par des mesures budgétaires, mais notre marge de man£uvre est extrêmement étroite vu l’importance de notre dette publique et les déficits déjà importants dus à la crise elle-même (moins de rentrées fiscales et plus de dépenses sociales). Une politique de relance plus volontariste et mieux coordonnée au niveau européen aurait bien sûr été souhaitable mais, l’Union étant ce qu’elle est, il ne faut malheureusement pas trop y compter.

Il nous reste donc à faire en sorte que notre appareil de production soit capable de rebondir très rapidement dès les premiers signes de reprise et ce avec toute la flexibilité nécessaire. Les plans de réduction du temps de travail devront pouvoir très rapidement être inversés. Il faudrait aussi veiller à ce que la main-d’£uvre que l’on remettra au travail soit mieux formée. Il est dommage à cet égard que l’on n’ait pas consenti davantage d’efforts pour que le temps libéré soit consacré à la formation professionnelle et notamment à l’apprentissage des langues. C’eût été opportun et même  » capital  » pour l’économie bruxelloise en grande partie axée sur les services à une population d’origines très diverses.

JACQUES ZEEGERS

il est dommage que la formation professionnelle ne soit pas mieux assurée

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