La Vierge folle, 1912. © MUSÉES ROYAUX DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE

Traits de génie

L’oeuvre du peintre et sculpteur belge Rik Wouters apparaît avec autant de puissance que de nuances dans la rétrospective majeure que lui consacrent les Musées royaux des beaux-arts de Belgique, à Bruxelles.

Disparu prématurément en 1916, à l’âge de 33 ans, Rik Wouters nous laisse une oeuvre éclatante et colorée dont cette ambitieuse exposition retrace le fil. L’essentiel de sa production s’étend sur moins d’une décennie – de 1907 à 1915 – et recouvre indistinctement peintures, sculptures et oeuvres sur papier, qu’il s’agisse de dessins, d’aquarelles, de fusains, de pastels ou d’eaux-fortes. Wouters occupe une place à part dans l’histoire de l’art moderne en Belgique. Né à Malines en 1882, mais ayant longtemps habité à Boitsfort, on l’assimile au fauvisme brabançon alors qu’il n’a rien d’un peintre local. Cela ne l’a pas empêché de réaliser quelques magnifiques toiles autour du thème de la forêt (les Ravins), aux compositions aussi denses que débordantes de couleurs vives et rougeoyantes.

Wouters est non seulement un remarquable coloriste, il possède aussi un sens développé de la composition, se permettant des fragmentations de l’image par touches successives plutôt que de la peindre de façon régulière. L’inclusion de miroirs et de fenêtres dans la composition vient souvent l’élargir et l’amplifier, en jouant sur des effets de reflet ou de transparence. On peut parler d’un principe du  » tableau dans le tableau  » lui permettant de concilier portrait figuratif et arrière-plan abstrait, dont un des exemples le plus abouti est le Portrait d’Ernest Wijnants. A cela s’ajoute une virtuosité du trait, magnifiquement rendue dans ses aquarelles et ses pastels, où d’un geste, il campe une silhouette ou l’horizon d’un paysage.

Si l’utilisation de miroirs lui permet d’élargir ses compositions, elle lui donne aussi l’occasion de démultiplier les portraits et, en premier lieu, celui de sa femme Nel. Epouse et surtout muse de tous les instants, elle est indissociable de sa vie d’homme comme de sa vie d’artiste. Qu’elle soit identifiée comme telle ou qu’elle apparaisse sous le couvert de différents titres génériques (Femme…, Madame…), sa silhouette et son visage sont omniprésents dans toutes ses créations où apparaît une figure féminine. Sa présence est déterminante et insuffle à ses toiles une forme de sensualité qui irradie celles-ci au même titre que la lumière qui les inonde. Michel Draguet, directeur général des MRBAB, évoque à juste titre  » un acte d’amour et de joie « , comme s’il fallait conjurer le temps.

L’apport de Nel perdurera bien après le décès de son mari. Elle ne cessera jamais de promouvoir son oeuvre et évitera ainsi qu’elle ne sombre dans l’oubli, comme le fut celle de son contemporain et autre étoile filante Jules Schmalzigaug, précédemment évoqué ici (Le Vif/L’Express du 17 février dernier).

La recherche de l’équilibre

Rik Wouters n’est pas un grand adepte des révolutions picturales qui lui sont contemporaines comme le cubisme, le futurisme, l’expressionnisme allemand ou même le fauvisme. Ses références se nomment Ensor, Van Gogh et, surtout, Cézanne, dont il faut néanmoins savoir qu’il ne découvrit de visu les peintures que lors de son voyage à Paris en 1912. Jusque-là, il devait, comme tout un chacun, se contenter de reproductions à l’époque uniquement disponibles en noir et blanc. Il apprécie aussi Matisse et Renoir et reste plus réservé à l’égard de Picasso, Juan Gris ou Kandinsky. A son retour à Bruxelles, sa palette s’éclaircit et il commence à peindre en plein air, comme le firent les impressionnistes ; ses couleurs deviennent encore plus vives. Il modifie également sa technique en utilisant des toiles moins épaisses dont la légèreté permet de mieux conserver l’éclat des couleurs. Ses toiles sont dorénavant à peine effleurées au pinceau – soit le traitement identique qu’il applique avec succès et virtuosité au papier – au point de laisser presque apparaître la trame du tissu. Avec le pinceau, il a aussi modifié son procédé d’application des couleurs : elles aussi sont maintenant déposées en touches légères et non plus tracées de façon plus rugueuse au couteau.

S’ensuivent quelques-uns de ses chefs-d’oeuvre, comme La Repasseuse, Femme en noir lisant le journal, Dame en bleu devant une glace (l’affiche de l’exposition), le fabuleux Automne ou encore l’étonnant Flûtiste. Ce tableau, amorcé précédemment par d’autres, est sans doute un de ceux qui caractérise le mieux la démarche de Wouters. On pourrait dire que ce dernier flirte constamment aux frontières du figuratif et de l’abstrait, dans une tentative de réaliser l’impossible synthèse entre les deux courants et de prendre sa place dans les bouleversements esthétiques de son temps. Au premier plan le musicien se fond dans le décor intérieur, traité tout en nuances de couleurs chaudes : jaune, beige, ocre, orange. Son buste se détache sur le paysage arrière ; nous sommes en plein été, la fenêtre est ouverte et découvre le paysage caractéristique du Coin du Balai, à Boitsfort, à cette époque : de petites maisons avec la forêt au second plan, arrière-plan lui-même répercuté par la vitre de la fenêtre ouverte. Elle fait fonction de miroir et élargit de ce fait le paysage qui pénètre ainsi dans la demeure. On suppute qu’il s’agit de maisons, comme on suppute que le regard du flûtiste est orienté vers une partition. Leur composition est en effet totalement abstraite, les pages de la partition renvoyant aux toitures, façades, murs, jardins, juxtaposés et alignés sur le même plan, ceux-là dans des tons rouges-orangés. Nous avons affaire là, comme d’autres Fenêtre ouverte sur Boitsfort, à une toile où l’abstraction domine en envahissant presque toute la composition. L’art de Rik Wouters aura donc été de conserver équilibre entre une évolution picturale moderne héritée de Cézanne et une connaissance de l’abstraction qui ne vaut pas pour autant adhésion au cubisme analytique de Braque et Picasso.

Les prémisses d’un grand sculpteur

Ses sculptures et ses bustes captivant d’expression – Nel y est aussi bien entendu présente, comme dans Les Soucis domestiques et son magnifique drapé – s’inscrivent également dans cet axe artistique Paris-Bruxelles, marqués par l’influence de Rodin d’une part, de Constantin Meunier de l’autre. Quant à sa célèbre et fougueuse réalisation La Vierge folle, elle aurait été inspirée par un mouvement de la réputée danseuse Isadora Duncan que Wouters vit sur scène à Bruxelles en 1907. La guerre, la maladie et enfin la mort ne lui permettront pas d’approfondir ses recherches et de prendre ses distances avec ses maîtres. Parfaitement intégrées au parcours de l’exposition, ses sculptures viennent ponctuer les salles fort à propos.

Rik Wouters. Rétrospective : aux Musées royaux des beaux-arts de Belgique, à Bruxelles, jusqu’au 2 juillet prochain. www.fine-arts-museum.be

PAR BERNARD MARCELIS

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