Tout droit sorti d’un conte de fées

Place Bara, à Antoing. Rien ne laisse deviner que derrière l’imposant mur d’enceinte se cache un château digne d’un dessin animé de Walt Disney… Allusion d’autant plus méritée que princes et princesses habitent encore cette bâtisse qui domine, de son incomparable silhouette, les rives de l’Escaut.

C’est au Xe siècle qu’apparaît la première trace d’une motte castrale à Antoing. Au XIIe siècle, la palissade initiale est remplacée par une enceinte de bois et un solide donjon y est implanté. A la même époque, le chapitre d’Antoing élève sur le promontoire une église collégiale dédiée à Notre-Dame.

Dès la fin du XIIIe siècle, le seigneur Hugues III d’Antoing entame un processus long mais poursuivi sans relâche par tous les détenteurs du château : multiplier les entraves afin de bouter hors du site les chanoines. A force de patience, l’entreprise se verra couronnée de succès au XIXe siècle ! Mais dans le même temps, le sanctuaire est complètement démoli… puis rebâti ! On fait appel à l’architecte Clément Parent, élève de Viollet-le-Duc. Il transforme le modeste manoir accolé au donjon en un château  » rêvé  » : il amplifie le logis du XVIIe siècle en le prolongeant d’un avant-corps, il ponctue la galerie d’élégantes baies à meneaux, il encadre le tout de deux puissantes tours dont les masses répondent à celle du donjon.

 » Antoing, que nous avons vu hier, est un vieux château des XIIe, XVe et XVIe siècles bien restauré aujourd’hui, à la porte près, qui est bâtarde et mauvaise. L’architecte est de Paris et habile. L’ensemble est magnifique.  » (Victor Hugo, 15 octobre 1864).

Aux mains des femmes

Trois grandes familles ont successivement occupé le site. Jusqu’au XIVe siècle y règnent les seigneurs d’Antoing. Ultime repré- sentant de la maison, Hugues V meurt vers 1310 sans autre héritier que sa fille Isabelle. Epouse de Jean de Melun, la dernière descendante de ces nobles locaux va bientôt transmettre la seigneurie à la famille de son mari. Le château passe ainsi, par voie féminine, en d’autres mains véritablement prestigieuses. Un cas de figure qui se reproduit deux siècles plus tard. Marie, benjamine des cinq enfants d’Hugues de Melun, entre en possession de la fortune familiale. Depuis 1584, elle est mariée au comte Lamoral de Ligne, descendant de l’une des familles les plus anciennes de Belgique, apparue depuis plusieurs siècles aux confins du Hainaut et du Brabant. Depuis le début du XVIIe siècle, le château proprement dit – résidence privée inaccessible au public – se transmet de génération en génération à cette grande et illustre famille.

Le donjon

Doté d’une tourelle singulière, le donjon joue d’abord le rôle de refuge. De par sa hauteur et l’épaisseur de ses murs, les seigneurs peuvent y demeurer en sûreté. Mais l’endroit n’est pas qu’une sombre retraite : c’est aussi un lieu de séjour doté de tout le confort requis. Trois grands volumes se superposent selon un schéma classique : salle des gardes, salle de réception et chambre seigneuriale. Entre les banquets et les joutes se tiennent des conciliabules. On traite de la situation, on prend des résolutions. D’ailleurs, la salle du premier étage – dite  » des Chevaliers  » – conserve le souvenir des  » rencontres d’Antoing  » d’octobre 1565 qui aboutirent, quelques mois plus tard, à la signature du Compromis des Nobles.

L’ascension de la haute tour – quelque 250 marches – paie le grimpeur de sa peine par la découverte d’un panorama splendide sur la vallée de l’Escaut et le bassin carrier. Au sommet, appréciez également l’authentique clé de voûte du XVe siècle. Selon toute vraisemblance, il s’agit là d’une acquisition d’Eugène de Ligne destinée à  » parfaire  » son château. Contrairement à ce qui fut longtemps supposé, elle ne figure pas  » l’architecte présentant les plans du château à Yolande de Werchin « , mais tout simplement une partie de dames. Sa datation s’appuie principalement sur des détails vestimentaires (la coiffe à double pointe de la femme ou encore les sandales de bois de l’homme). De plus, les protagonistes jouent sur un damier primitif. Un témoignage rare de cet aspect de la vie médiévale.

Musée funéraire

La dernière merveille du domaine, c’est sa  » chapelle  » aménagée dans une tour d’angle de l’enceinte. On peut y admirer un ensemble funéraire qui atteste à lui seul de la réputation des sculpteurs tournaisiens : des plaques armoriées, des gisants du XVe siècle, des mausolées du XVIIe siècle…

La grande lame aux trois gisants, placée jadis horizontalement sur la tombe, constitue la pièce maîtresse. Jean de Melun est entouré de ses deux femmes, figurées à l’identique et surmontées de dais gothiques. Autre lame, celle représentant Béatrice de Beaumont-Beaussart accompagnée de son fils Guillaume, mort douze ans avant elle. L’enfant est surplombé d’un impressionnant heaume de joute au cimier des Melun. Selon un code iconographique bien établi, les pieds de la femme reposent sur un chien, symbole de fidélité ; ceux de l’homme sur un lion incarnant le courage. Autre ouvrage touchant, celui représentant Florent de Ligne et Louise de Lorraine. Les époux qui s’aimaient d’un amour réel – rare à l’époque ! – résidaient souvent à Antoing. Mais Florent, d’une santé fragile, s’éteignit prématurément en 1622. Sa femme va lui survivre quarante-cinq ans, sans se remarier, choisissant de devenir religieuse capucine.

Charles de Gaulle au château

Au fil de sa glorieuse histoire, le château accueille de nombreux hôtes de marque : Charles Quint, Philippe II, l’Empereur Maximilien d’Autriche, Egmont et Hornes, des rois de France… et même Charles de Gaulle !

A l’aube du XXe siècle, le perron d’Antoing voit défiler la fine fleur d’une certaine jeunesse française. Inhabité depuis une douzaine d’années, le château et ses annexes sont aménagés pour y recevoir les jésuites français et leurs étudiants du collège catholique de Lille. La fameuse loi Combes les ayant chassés de la république. Le collège du Sacré-C£ur –  » école d’élite, de piété, de pureté et de travail !  » – ne compte jamais plus de cent pensionnaires : des élèves triés sur le volet se préparant aux examens d’entrée des grandes écoles de l’Etat. De 1901 à 1914, ce sont ainsi près de 700 jeunes qui passent par Antoing, terre d’exil impeccablement située à un jet de pierre de la France. Parmi eux, Charles de Gaulle, venu y suivre une année de mathématiques (1907-1908) avant d’entrer à l’Ecole militaire de Saint-Cyr.

Un peu plus tard, ce seront des  » invités  » d’un autre ordre qui l’habiteront… Durant les deux conflits mondiaux, les Allemands réquisitionnèrent les lieux, notamment pour y soigner leurs blessés. De ces périodes tourmentées subsistent de nombreux graffitis visibles sur les parois intérieures du donjon.

Raconte-moi une histoire… de fantôme !

Comme tout château, celui d’Antoing conserve son lot de récits légendaires. On raconte que le fantôme d’un seigneur habite le donjon… Si son nom s’est perdu avec le temps, il s’agirait vraisemblablement d’un baron ayant péri dans un incendie. Pour le rencontrer, il  » suffit  » de suivre rigoureusement quelques instructions : sur le coup de minuit, montez dans la petite chambre du deuxième étage de la tour. A cet endroit se trouve un miroir. Plongez-y votre regard, vous devriez apercevoir l’ombre d’un chevalier armé de pied en cape. En théorie ! Car pour tout vous avouer, et aussi étrange que cela puisse paraître, on n’a pas été tentés d’essayer…

Château d’Antoing

18, Place Bara, à 7640 Antoing. www.antoing.net

Le château est accessible exclusivement avec un guide, tous les dimanches et jours fériés de mi-mai à fin septembre. (Le manoir est totalement privé, donc inaccessible.)

Retrouvez la série complète et le diaporama www.levif.be

LA SEMAINE PROCHAINE

Le château de Horst.

GWENNAËLLE GRIBAUMONT

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