Tous contes faits

Le réalisateur d’Edward aux mains d’argent et d’Alice au pays des merveilles revient avec Dark Shadows, une fable gothique magnifique qui reprend les thèmes de sa carrière. L’occasion rêvée pour lui demander de revisiter ses films et son univers si singulier.

Il est un cas à part à Hollywood. D’abord, Tim Burton n’est jamais coiffé et sa chevelure semble être à l’image de son imagination débridée. Ensuite, en véritable auteur, il a bâti en trente ans une £uvre originale, ancrée dans le fantastique et la cinéphilie. Enfin, et ce n’est pas rien pour quelqu’un d’aussi singulier, c’est un réalisateur immensément populaire. Beetlejuice, Batman, Edward aux mains d’argent, Ed Wood, Charlie et la chocolaterie, Alice au pays des merveilles sont quelques-uns de ses films les plus emblématiques, et le nouveau, Dark Shadows, inspiré d’une série télé culte des années 1960, est la quintessence de sa carrière – la lutte entre un vampire et une sorcière sur fond d’histoire d’amour et de vengeance. Raison pour laquelle Le Vif/L’Express a demandé à Tim Burton de se plonger dans son univers. Il est bien plus bavard et ouvert que ne le dit la légende.

LE CONTE DE FÉES, LE FILM D’HORREUR ET SON HÉROS SOLITAIRE

 » Je n’étais pas spécialement un grand lecteur et n’allais pas dans les musées. Ce sont les films qui m’ont construit. La plupart des cultures possèdent un folklore très riche, ce qui n’est pas le cas des Etats-Unis, à part, peut-être, la culture indienne. Le cinéma a donc pris cette place dans l’imaginaire collectif américain. Les contes mettent l’inconscient en images et, si je joue avec l’horreur sans réaliser de vrais films d’horreur, c’est que ce genre ne me fait pas peur ; les monstres ne m’ont jamais effrayé. Gamin, je trouvais ces histoires étranges mais pas vraiment angoissantes. En fait, je m’y sens particulièrement à l’aise. Je préfère cet environnement à la vraie vie, qui, elle, me fait peur. D’où cette figure du héros solitaire et différent des autres qui, j’en suis persuadé, remonte à mon enfance.

Imaginez un petit garçon se sentant très seul : même si, plus tard, il construit une famille, des relations et devient populaire, ce sentiment de solitude ne le quitte jamais. Ce petit garçon, c’est moi. J’ai toujours opposé la plus grande résistance au fait que la société vous mette dans des cases. D’où mon attirance pour les monstres, ces individus uniques que l’environnement tente de détruire. Tout ce qui nous affecte dans notre vie vient de notre enfance. Quand abandonne-t-on ces obsessions ? Jamais. « 

L’HUMOUR ET LA MORT

 » Pour moi, l’humour est une manière de souligner la bizarrerie de l’histoire que je raconte, mais aussi celle de la vie en général. Tout y est mélangé. Comme au cinéma. Si vous regardez des films de monstres tels Frankenstein, La Fiancée de Frankenstein ou L’Homme invisible, ils sont dotés d’un sacré sens de l’humour, aussi curieux que cela puisse paraître. Pour moi, ce n’est d’ailleurs pas curieux.

La mort, elle, est, dans beaucoup de films, un moment dramatique, voire mélodramatique ou cathartique. Quelque chose de très beau ou de très triste, alors que moi, enfant d’une famille de la classe moyenne ayant grandi dans une banlieue banale, j’ai surtout le souvenir d’une chose taboue. Du coup, je me suis toujours amusé à jouer avec la mort. La manière dont je l’aborde, c’est comme lui dire : « Va te faire foutre. » J’aime aussi la façon dont les Hispaniques la célèbrent en l’abordant sous l’angle festif. « 

BATMAN ET LES STUDIOS

 » Je me souviens d’avoir souvent bataillé avec les gens de chez Warner qui trouvaient ma vision de Batman beaucoup trop noire. Plus de vingt ans après, les films d’aujourd’hui font passer mon Batman pour du Walt Disney ! Mais j’avais conscience de réaliser quelque chose de nouveau. Ce que j’ai toujours aimé avec les comics [la bande dessinée américaine] reprend ce que je disais sur les contes de fées : dans d’autres pays, vous allez ouvrir un livre des frères Grimm ; ici, aux Etats-Unis, vous tournez les pages d’une BD.

Je me suis habitué à la façon de travailler des majors et j’ai accepté le fait de ne pas faire tout ce que je veux. Ce n’est pas une mauvaise chose : à part James Cameron, chacun a besoin de limites. Je me sentirais mal à l’aise si un studio me disait : « Fais ce qui te passe par la tête. » Je n’aime pas les gens qui acceptent tout. Je préfère la franchise. La plupart du temps, je suis ouvert aux suggestions et, si je ne suis pas d’accord, j’essaie de ne pas trop m’en faire. Je m’en tiens toutefois à un seul principe : ne jamais réaliser un film contre mon gré. « 

JOHNNY DEPP, MICHELLE PFEIFFER ET HELENA BONHAM CARTER

 » Quand j’ai commencé à travailler avec Johnny, sur Edward aux mains d’argent, j’ai découvert un étonnant acteur de composition. C’est ce que j’aime en lui. Chaque film est une nouvelle expérience et il est important, dans une relation artistique, de conserver cette impression de spontanéité et d’excitation. Nous sommes tous les deux des fans des vieux films d’horreur. Les premiers du genre, au début du parlant, possèdent toujours cette grâce qui vient du muet. Les qualités de La Momie tiennent à la présence de Boris Karloff. Ce qu’il fait est très beau. Les comédiens tel Johnny Depp, qui savent habiter les lieux et faire acte de création, je les trouve magnifiques.

Michelle Pfeiffer [NDLR : elle joue dans Dark Shadows] m’a appelé – c’était inattendu – alors que nous ne nous étions pas vus depuis vingt ans. Ce fut un coup de téléphone épatant. D’abord, parce que j’ai appris qu’elle était une fan de la série ; ensuite, parce que cet appel m’a rappelé combien j’avais aimé son interprétation de Catwoman dans Batman, le défi. La plupart des gens qui restent dans ce business plus de vingt ans deviennent cinglés. Non seulement Michelle a survécu à Hollywood, mais elle a conservé son intégrité, elle a construit sa vie privée et elle a nourri son talent.

Vivre et travailler avec la même personne, Helena Bonham Carter, pose parfois des problèmes, mais, honnêtement, je crois que cela pourrait être bien pire. Ce que j’aime chez elle, c’est son ouverture d’esprit. Je peux lui dire : « Et si je te demande de jouer une psychiatre alcoolique et vieillissante [son rôle dans Dark Shadows], tu ne vas pas râler ? » Non seulement elle ne râle pas, mais elle va jouer le rôle avec plaisir et entrain.  »

HOMMAGES ET REMAKES

 » J’essaie de personnaliser tout ce à quoi je touche. Pour Dark Shadows, je n’ai pas voulu réaliser un remake de la série. Mais j’ai grandi avec elle et elle a eu un très gros impact sur moi ; j’abordais l’adolescence, j’avais l’impression d’être quelqu’un de très bizarre, je me sentais « hors jeu ». Le film explore le thème de la famille et puise dans mes propres souvenirs.

Je suis toujours à l’écoute pour mêler mon inspiration et celle des autres. A mes débuts, je dessinais le film entier sur story-board, mais j’ai cessé de le faire ; cela enlève la spontanéité propre à un tournage. Je viens de l’animation et le dessin a longtemps été mon moyen de communication privilégié. Maintenant, je parle un peu plusà

Quel que soit le film, j’essaie de rester dans la simplicité. Encore une fois, cela remonte aux films que j’ai vus dans mon enfance. Les truquages d’un Ray Harryhausen [Jason et les Argonautes] sont relativement simples mais ils possèdent un éclat unique : pas besoin d’être sophistiqué pour être poétique. Pour Dark Shadows, j’ai su que les effets spéciaux seraient moins importants que les acteurs ; je n’allais pas transformer ce récit finalement très proche d’un soap opera en une nouvelle version de Harry Potter !  »

BILAN DE CARRIÈRE

 » Je ne suis pas quelqu’un qui se penche sur son travail. J’ai dû le faire récemment pour l’exposition organisée par le musée d’Art moderne de New York qui m’était consacrée, mais ce n’est pas dans ma nature. J’aime beaucoup tourner mes films, je n’aime pas les regarder ni les améliorer à l’aide des progrès technologiques. Un film est un témoin de son temps et les miens sont remplis de défauts. De là vient aussi leur charme. C’est pourquoi j’aime tant les séries B : ce sont des £uvres imparfaites, plus vivantes que celles conçues pour gagner des Oscars. Je ne suis pas versé dans les nouvelles technologies et je ne suis pas accro à l’iPad ou au téléphone portable. Je préfère regarder autour de moi et ne rien faire : ce moment où je suis ailleurs nourrit ma créativité et mon imaginaire. « 

DE NOTRE CORRESPONDANT DENIS ROSSANO

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