© hatim kaghat

Touche pas au père Damien

Quasi que des hommes, quasi que des Blancs. Tous des héros d’Amérique, en tout cas jugés dignes par les Etats qui composent les USA d’entrer un jour au Capitole, sis à Washington D.C. C’est plus que ne peut encore le supporter Alexandria Ocasio-Cortez.  » AOC « , élue démocrate, féministe assumée et étoile montante de la gauche américaine, s’est frottée, caméra au poing, à ce concentré  » de culture colonialiste, patriarcale et suprémaciste blanche  » figé dans la pierre, qui emplit la crypte du siège du Congrès américain.

Pourquoi n’y en-a-t-il que pour eux et si peu pour elles ? s’offusque la benjamine de la Chambre des représentants. Et s’il ne fallait prendre qu’un seul exemple, que fait donc là ce mâle statufié au couvre-chef bosselé ? Et la caméra baladeuse de se fixer sur le dénommé  » Father Damien « . Juste Ciel, notre père Damien national, seul non-Américain présent pour l’heure en ce lieu prestigieux où l’envoya en 1969 l’Etat de Hawaï, en reconnaissance éternelle à sa présence au xixe siècle au chevet des lépreux parqués sur l’île Molokai, jusqu’à en mourir à 49 ans. Fût-il admirable, un parcours ne justifie pas tout, a appuyé la bouillante représentante du peuple américain : pourquoi diable fallait-il qu’au côté de Kamehameha Ier, premier roi d’Hawaï, Hawaïens et Hawaïennes préfèrent ce missionnaire belge à Lili’uokalani, unique et dernière reine d’Hawaï ?

Convertir en suppôt de la domination masculine et blanche ce saint homme, béatifié en 1995, canonisé en 2009, reconnu saint patron des lépreux et des sidéens, le geste était osé.

On ne pouvait mieux rater sa cible. Convertir en suppôt de la domination masculine et blanche ce saint homme, béatifié en 1995, canonisé en 2009, reconnu saint patron des lépreux et des sidéens, le geste était osé. Loin d' » AOC  » l’idée et l’intention d’en faire une affaire personnelle, il ne s’agissait que de dénoncer la détestable habitude qu’ont les Etats-Unis de ne placer que des hommes blancs sur un piédestal. Il fallait bien quelqu’un qui prenne les coups pour les autres. Pas grave, le prêtre solidement arrimé sur son socle s’en remettra.

Entre-temps, la charge a ému, blessé et chagriné en Flandre, terre natale de pater Damiaan. Diffusée sur Instagram, relayée par les médias catholiques américains, la vidéo de l’élue américaine a franchi l’Atlantique à la vitesse de l’éclair pour être vite repérée par Sceptr, site Web de la droite conservatrice et nationaliste flamande. Lequel s’est fait un devoir de colporter sur les réseaux sociaux l’incroyable et bien triste nouvelle. Elle a été commentée jusqu’à Tremelo, le patelin qui a vu naître Jozef De Veuster un beau jour de janvier 1840, où on a oscillé entre consternation, indignation et commisération. Elle a été condamnée sans ambages par les milieux nationalistes flamands partagés entre une forme de dégoût –  » répugnant « , a réagi le N-VA Theo Francken – et une dose de dédain pour  » la starlette de l’ Amérique de gauche « , dixit Piet De Zaeger, directeur général de la N-VA. C’est qu’on ne touche pas impunément à pater Damiaan, sacré en 2005  » plus grand Belge de tous les temps  » par les téléspectateurs de la VRT, hissé à la plus modeste troisième place du podium par ceux de la RTBF qui lui préféraient Jacques Brel et le roi Baudouin. Ce qui permettra à un Vlaams Belang aux anges de décréter urbi et orbi que  » le plus grand Belge est bien flamand « . Et blanc.

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