THÉATRE

Le KunstenFestival des Arts crée üBUNG, de Josse De Pauw: rencontre avec un artiste hors normes, formidable acteur et créateur de la scène flamande

Le triomphe que lui fit le public lors de la remise du prix Océ des Arts de la scène, qui lui fut attribué cette année pour l’ensemble de sa carrière, ne trompait pas: Josse De Pauw (49 ans), formidable acteur et créateur de la scène flamande, est une montagne de talent, désarmante de simplicité, de générosité, d’empathie. Pas de grande théorie hermétique pour parler de son art, aussi immense que sa stature, mais… « Je m’intéresse à l’être humain, parce que j’en suis un. Les gens me font rire, pleurer, ils me touchent. Quand je fais un spectacle, je n’ai pas de but préconçu devant moi. Ma manière de travailler avec les gens est plus importante. Je suis quelqu’un qui se promène dans la vie comme dans la ville, suivant l’un de mes trois ou quatre tours favoris. Je varie les rythmes, je regarde. Faire du théâtre, selon moi, c’est ça: voir ce qui se passe et rester très attentif. J’aurais peur de rater quelque chose si je me fixais un objectif précis. Enfant, déjà, je n’avais pas de but, mais j’aimais ce que je voyais, et je voyais presque tout. Je refuse de séparer le théâtre de ma vie, de la vie. »

Dilettante, Josse De Pauw? Oui, comme l’est un enfant. « Je faisais partie d’une famille de six enfants et j’étais le seul à ne pas savoir ce que je voulais faire! Mais j’avais confiance en l’avenir. Je suis parti en Algérie à 17 ans, avec un copain, parce que j’en avais assez qu’on m’interroge sur mes buts. Là-bas, j’ai travaillé chez des paysans: mon initiation à la grande vie! J’ai survécu trois mois, sans réfléchir. Ça me donnait donc raison. De retour, j’ai fait un peu de théâtre, le soir, avec des copains, et quelqu’un m’a suggéré d’entrer au Conservatoire. Voilà la solution, pour mes parents! Je n’ai jamais eu l’intention de devenir acteur. J’ai fondé une compagnie avec des amis. On voyageait, on jouait sur les places une sorte de théâtre absurde, visuel. Le succès et les invitations nous ont rattrapés et j’ai commencé à prendre du plaisir au théâtre. Puis les mots sont venus, et j’ai écrit. »

Plus tard, à 34 ans, le cinéma s’est mis de la partie, mais ne l’a pas véritablement conquis. « Un film par an, aujourd’hui, souvent pour des copains (dont Dominique Deruddere)… C’est une source d’argent pour faire ce que je veux dans le théâtre et pour écrire. »

« Je veux m’amuser »

Les confidences de Josse De Pauw s’articulent sur des mots clés, dans cette voix grave, un peu rude, mais chaleureuse et sans fard: le plaisir, les amis, le jeu, l’émotion. « Je veux m’amuser, je ne veux pas que le théâtre devienne un boulot. Quand on monte un spectacle, on se voit pendant deux mois, on parle, on discute, on mange, on boit aussi, j’adore cette sorte de famille. Quiconque travaille avec moi sait que je n’aime pas que quelqu’un parte quand on se met à table. » L’homme n’a rien d’un metteur en scène univoque, tyrannique. « Je souhaite que les gens puissent vivre sans moi, qu’ils amènent leur matériel et qu’ils trouvent leur créneau dans ce que je fais. Ma femme, qui est danseuse, et ma fille, qui a 6 ans, comprennent très bien cela. »

De Pauw vit à Lennik, près de Bruxelles, « pour se protéger de la ville, trop tentante. L’écriture demande une certaine discipline ». Et puis, il caresse un rêve, celui d’une « grande maison d’art, avec jardin, au centre de la capitale. Une maison où l’on proposerait des petits spectacles, de la musique, de la littérature, où des artistes de passage à Bruxelles logeraient, un lieu qui ne pourrait pas être détruit par le fait de grandir. Je veux enfin un lieu où je puisse combiner tout ce que je fais, d’une manière évidente. Un écrivain qui joue? Un acteur qui écrit? Quant aux subsides, ils ne viendraient pas des Communautés ni de l’Etat, mais d’un pourcentage des apports financiers propres des compagnies qui y viendraient. » Utopie? Josse De Pauw est capable de tout et, surtout, de prouver que les arts vivent.

A la veille du KunstenFestival des Arts, le metteur en scène ne rêve pas: il boucle les répétitions de üBUNG (« exercice », en allemand) à Gand, au Victoria, un petit théâtre vivant, où il est en résidence et dont est venue la commande d’un spectacle interprété par des enfants. Le projet aboutit à cet étrange, troublant et passionnant spectacle, où des gosses sont, sur scène, confrontés à un film en noir et blanc (De Pauw est devant et derrière la caméra: superbe!), dont on coupe le son. A eux de dire les mots, en parfaite synchronisation du film où deux couples, un autre larron invité et un violoniste émigré dînent d’un luxueux repas, dans une riche villa. Ces adultes boivent et parlent beaucoup et, petit à petit, larguent quelques amarres… Le spectacle est sous-tendu par une des thématiques chère à l’auteur de Larf et de Weg: la difficulté de vivre ensemble, même dans le luxe. « On est comme ça, il faut l’accepter. Je n’ai pas de solution », sourit De Pauw.

Le metteur en scène a laissé les enfants libres de leurs attitudes. « Tout va bien quand ils ne réfléchissent pas. Le corps sait de lui-même ce qu’il doit faire. En revanche, nous avons beaucoup travaillé sur la synchronisation. » Ces gosses de 11 ou 13 ans sont sidérants de concentration. Leur mentor est heureux: « C’est une des choses les plus intéressantes à regarder sur scène, la concentration d’un acteur, d’un musicien. Je veux qu’on la voie. J’adore cette zone grise entre le personnage et l’acteur. C’est un trajet très difficile, que j’ai fait pendant des années, d’être à la fois conteur et de montrer comment pourrait bouger le personnage. Je n’aime pas les spectacles lisses, nets. »

Celui-ci ne risque pas de l’être. Pas question d’oublier que ces enfants n’ont pas le bagage émotionnel des adultes dont ils disent les mots. De là, naît cette double perception, et, parfois, le malaise des situations, provoqué par la distorsion entre ce que l’on voit sur scène et sur l’écran, et ce que l’on entend. Les enfants enfilent les vêtements des grands, ils ne les singent pas, ils jouent. Comme des enfants?

Coproduction: Het Net (Bruges), dont De Pauw est le directeur artistique. Bruxelles, Lunatheater, du 5 au 8 mai. Tél.: 070-222 199.

Michèle Friche

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