THE ARTIST

Elevé par une mère alcoolique, placé dans une famille d’accueil à l’âge de 13 ans, et désormais l’idole de Tottenham Hotspur. De Alli à Dele.

Il n’a pas froid aux yeux, Dele Alli. Il ose tout. Comme le 4 août 2015, lors du match d’ouverture de l’Audi Cup contre le Real Madrid à l’Allianz Arena de Munich, lorsqu’il s’est sorti d’une situation compliquée en réalisant un petit pont entre les jambes onéreuses de Luka Modric. Un geste qu’il a réalisé instinctivement, a-t-il expliqué par la suite.

Modric en a rigolé.  » Il m’a répondu en me traitant de sale cochon « , a révélé Alli après sa première titularisation pour Tottenham Hotspur. Trois mois plus tôt, il jouait encore pour MK Dons contre… Yeovil Town en League One, la troisième division. Aujourd’hui, il traite d’égal à égal avec les plus grands. Infatigable, il remplit inlassablement son rôle de boxtobox. De manière souvent efficace, mais tout en soignant le spectacle, comme s’il ne jouait pas devant 70.000 spectateurs mais sur les terrains d’entraînement des Dons à Cosgrove.

Là-bas, le manager Karl Robinson n’a pas oublié Alli. C’est lui qui l’a fait débuter en équipe Première à 16 ans. Il se souvient de cette séance d’entraînement, durant laquelle l’équipe s’est exercée à réaliser de nouveaux mouvements sur corner. Alli devait se présenter au premier poteau et prolonger le ballon de la tête, mais comme le ballon a été envoyé beaucoup trop bas, il a surpris le gardien avec une talonnade. Il a rigolé et a envoyé son chewing-gum dans les airs, a jonglé avec du genou gauche au genou droit, et du pied gauche au pied droit, avant de le renvoyer en l’air et de le laisser retomber dans sa bouche. Il a alors levé le petit doigt.

JEUNESSE MOUVEMENTÉE

Pourtant, jusque-là, la vie n’avait pas réservé que de bonnes surprises à Bamidele Jermaine Alli. Une semaine à peine après sa naissance, le 11 avril 1996, son père nigérian Kenny est parti aux Etats-Unis, laissant sa mère Denise seule avec quatre enfants – de quatre hommes différents – dans un logement social de Bradwell, un quartier défavorisé de Milton Keynes où le taux de chômage atteint les 55 %.

Alli, le cadet, passait des heures sur les plaines de jeu, entre les immeubles délabrés. L’école n’était pas sa tasse de thé, et personne ne l’a encouragé. En tout cas, pas sa maman.  » J’étais alcoolique « , a-t-elle admis l’an passé lors d’une interview au journal The Sun.  » La vodka, la bière… Tout ce que je pouvais trouver.  » Les problèmes se sont accumulés au sein de la famille, qui ne roulait déjà pas sur l’or. Jouer au football avec le City Colts Football Club lui apportait une lueur d’espoir.

A 11 ans, il a été transféré avec Mark Walsh, entraîneur des U11, et son meilleur ami Harry Hickford des City Colts aux MK Dons. Walsh était à la fois entraîneur et animateur de rue, il voulait extraire ses garçons de la rue. Car, lorsqu’on grandit à Bradwell, les pièges ne manquent pas. Les rues étaient remplies de bandes de jeunes, qui défendaient leur territoire par la violence et recherchaient constamment de nouvelles recrues. Denise, sa mère :  » Les garçons de son âge traînaient tous les soirs dans la rue, consommaient de l’alcool et de la drogue, et étaient obligés de voler. Certains se sont retrouvés dans des établissements pénitentiaires pour mineurs.  »

Denise a également reçu la visite du Centre de protection de la jeunesse, qui voulait placer les quatre enfants après des plaintes des voisins. Un compromis a été trouvé : Alli, 13 ans, serait hébergé par Sally et Alan Hickford, les parents de son jeune coéquipier et meilleur ami Harry, qui habitaient dix kilomètres plus loin, dans un quartier résidentiel.  » Il a dit : ‘Ne te fais pas de soucis, maman.’ Je voyais qu’il était heureux.  »

CAFÉ IMBUVABLE

A 15 ans, on l’a déjà autorisé à s’entraîner régulièrement en équipe Première. Les apprentices devaient cirer les chaussures ou faire du café pour le staff technique.  » Son café était affreux, presque imbuvable « , rigole Robinson, qui l’a fait débuter en novembre 2012. Sa première touche de balle a été une talonnade. Robinson :  » Je pouvais lui faire des remarques à longueur de journée, mais il n’écoutait pas. Malgré cela, il était très apprécié des joueurs plus âgés. Il mettait de la musique dans le vestiaire et était toujours le premier à danser.  »

International chez les U17 et U19, il est titulaire durant deux saisons comme médian central chez les Dons, qui ont éliminé le Manchester United de Louis van Gaal sur un score de 4-0 en League Cup en août 2014.  » Adnan Januzaj et Shinji Kagawa, de jeunes promesses de United, avaient l’air de footballeurs de seconde zone à côté d’Alli « , a écrit le DailyMail.

Les scouts étrangers l’avaient déjà repéré, mais un mois plus tard, il a prolongé son contrat avec le club de troisième division jusqu’en juin 2017. Robinson :  » Trois clubs de Premier League, dont Liverpool, ne le trouvaient pas encore assez bon, mais nous savions qu’il allait rapidement progresser.  »

Six mois plus tard, en février 2015, Tottenham Hotspur a payé 6,6 millions d’euros pour le jeune milieu de terrain de 18 ans. Il a encore joué six mois pour les Dons, a été élu YoungPlayeroftheYear de la FootballLeague et a hissé le club en Championship pour la première fois de son histoire.  » J’ai beaucoup appris pendant ces années passées en troisième division, au milieu des adultes alors que je n’étais encore qu’un adolescent. J’ai, entre autres, appris à surmonter les coups durs.  »

Rapide, habile ballon au pied, physiquement costaud avec son 1m88, Alli n’a jamais eu peur de réaliser quelques tacles appuyés entre quelques gestes techniques. Il n’a pas tardé à faire parler de lui à White Hart Lane : titulaire après cinq journées à peine, aux côtés d’EricDier, son meilleur pote dans le mlieu du football, et rapidement appelé en équipe nationale.  » Mon assistant, Ray Lewington, dont le fils Dean était capitaine des MK Dons, m’avait déjà parlé de Dele plusieurs années avant cela « , a révélé le sélectionneur national Roy Hodgson.

Mauricio Pochettino, le manager argentin des Spurs, était pris entre deux sentiments. D’un côté il était fier, d’un autre côté il estimait que cette première sélection survenait un peu trop tôt.  » Lorsque j’ai moi-même débuté pour l’Argentine en 1999, j’étais sur mon petit nuage pendant neuf mois. J’avais l’impression d’être une star parce que je jouais aux côtés de Fernando Redondo et de GabrielBatistuta. A un âge aussi précoce, on a vite tendance à planer.  » Mais les craintes du manager se sont révélées non fondées : 12 assists et 10 buts, élu YoungPlayeroftheYear par la ProfessionalFootballAssociation, un but lors de sa première titularisation dans l’équipe à la Rose contre la France et un joueur de base lors de l’EURO 2016.

L’élimination par l’Islande lui a fait mal, mais le jeune milieu de terrain s’est consolé dans les bras du mannequin Ruby Mae. L’espace d’un instant, il a déclenché une petite tempête médiatique, en révélant qu’à l’avenir, il allait faire floquer le nom de Dele – et plus Alli – au dos de son maillot.  » Je ne veux plus être associé à Alli « , a expliqué le jeune homme, dont les intérêts sont défendus par son père adoptif.

Son père biologique, Kenny, est souvent revenu en Angleterre, ces derniers mois, afin de parler avec son fils. En vain. The Artist Formerly Known as Alli a refusé de rencontrer son père. Le contact a également été rompu avec sa mère Denise et ses frères et soeurs.  » Nous nous sentons rejetés « , a déclaré Denise au journal The Sun. Le footballeur n’a pas fléchi. Pas plus que l’année précédente, à l’Allianz Arena. Il a continué à batifoler et à réaliser des actions d’éclat.

PAR CHRIS TETAERT – PHOTO REUTERS

Une semaine après sa naissance, son père nigérian est parti aux Etats-Unis, laissant sa mère seule avec quatre enfants, de quatre hommes différents.

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