Thatcher Insubmersible Maggie

La première femme en poste au 10 Downing Street a ouvert, dans la décennie 1980, la voie du libéralisme mondialisé. Et conduit une action qui porta sa marque : intraitable.

Elle inspira la haine comme l’adulation, jamais l’indifférence. Mais c’est bien la grande ordonnatrice d’un nouveau siècle qui a disparu, ce 8 avril, à Londres. En entrant au 10 Downing Street, il y a près de trente-cinq ans, Margaret Thatcher a façonné le monde dans lequel nous vivons toujours. Pour la première fois depuis 1945, un chef de gouvernement, non content de rompre le consensus en faveur du  » toujours plus d’Etat « , affirmait avec insolence vouloir libérer les appétits individuels, réhabiliter le profit, faire reculer la puissance publique, identifiée à un Léviathan, enrayer, enfin, le déclin de l’Occident. En onze ans de mandat, entre 1979 et 1990, ce Premier ministre aura produit une révolution libérale dont les effets sont encore visibles. Dans ce Royaume-Uni stratifié, où la naissance comme l’accent dictent votre position, elle crée les conditions d’une mobilité sociale inédite, qui la rendront toujours odieuse à l’establishment le plus conservateur. La classe ouvrière s’évapore au profit d’une gigantesque classe moyenne qui aspire à la propriété, à l’entrepreneuriat, à l’actionnariat.

Au-delà des mers, elle aura accéléré la mondialisation. Sans Thatcher, y aurait-il eu, deux ans plus tard, un Ronald Reagan ? Le totalitarisme soviétique aurait-il expiré si brutalement (c’est elle qui avait promu à l’Ouest un Gorbatchev en qui elle avait pressenti le fossoyeur de l’URSS) ? C’est elle, encore, qui a ouvert la voie à la déréglementation de la finance.

L’ironie de l’Histoire aura voulu qu’à l’origine de tels bouleversements on trouve une femme élevée pour tenir les comptes de l’épicerie familiale à Grantham, dans ce Lincolnshire où tout semble immuable. Elevée selon les règles de l’Angleterre postvictorienne, la jeune Margaret Roberts déroge très vite. Même si elle n’est pas bien née et n’a pu intégrer ces public schools (écoles privées) qui ouvrent l’accès aux meilleures universités, elle force les portes d’Oxford. Elle doit se battre aussi pour être candidate, en 1951, aux élections législatives. Et, en 1959, pour entrer au Parlement. Margaret Thatcher fit de l’intransigeance le moteur de sa vie. En 1984, les syndicats déclenchent une grève illégale contre la fermeture des mines de charbon qui tournent à perte. Elle ne cède rien. La livre chute. Le sang coule. Son parti la pousse au compromis. Elle ne bouge pas. Un an plus tard, les syndicats capitulent. Intraitable, elle le fut toujours. Face à la junte argentine, qui envahit, en 1982, les lointaines îles Malouines. Face aux terroristes de l’Irish Republican Army, grévistes de la faim jusqu’à la mort pour obtenir le statut de prisonnier politique. Face aux Européens, auxquels elle réclame, sac à main ouvert, qu' » on [lui] rende l’argent  » que le royaume verserait indûment au budget communautaire. Face à la Commission, dont elle bloque, dans un discours fameux, à Bruges en 1988, les ambitions fédéralistes :  » Nous n’avons pas, avec succès, repoussé les frontières de l’Etat chez nous pour voir un super-Etat européen exercer sa domination depuis Bruxelles.  »

Une passion dévorante pour l’action politique

Pour remporter tant de victoires, il aura fallu ne rien laisser paraître, sauf une passion dévorante pour l’action politique. En public, la Dame de fer – elle fera de ce surnom donné par la propagande soviétique un label – n’a laissé voir ses larmes que deux fois. En février 1975, lorsqu’elle devient la première femme à diriger le Parti conservateur à la stupéfaction des aristocrates qui le tiennent. En novembre 1990, quand une révolte parlementaire l’oblige à lâcher le pouvoir. Après avoir quitté la scène, elle n’a cessé de graver son nom dans l’Histoire.

JEAN-MICHEL DEMETZ

Face

aux syndicats, face à la junte argentine, face aux terroristes de l’Irish Republican Army, face aux Européens… elle ne cède pas

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