» Tecteo permet de sauver l’équilibre médiatique wallon « 

L’ancien coprésident d’Ecolo  » ne rêve pas de devenir ministre « . Il participe au redressement wallon à la tête de Meusinvest.  » Je n’ai pas peur. La réforme de l’Etat accélère le tempo.  » Mais l’adrénaline de la politique le démange toujours.

Le Vif/L’Express : Cela fait six mois que vous avez pris la tête de Meusinvest. Un choix de vie ?

Jean-Michel Javaux : Une évolution naturelle. Je suis arrivé à la coprésidence d’Ecolo en 2003, en plein après-Francorchamps (NDLR : l’intransigeance du parti sur la loi anti-tabac pour l’organisation du Grand Prix de F1 à Francorchamps lui avait coûté une lourde défaite électorale). On nous présentait alors comme des fossoyeurs de l’emploi. J’ai tout de suite mis en avant le fait que l’écologie pouvait être l’avenir de l’économie.

J’ai un background entrepreneurial. Mes parents, grands-parents et arrière-grands-parents possédaient une petite entreprise de beurre, de fromage et de lait. Depuis tout petit, je connais la réalité de l’indépendant et ses difficultés : j’ai assisté à une vente publique au milieu de l’atelier. Mais aujourd’hui, je suis convaincu que la Wallonie est en plein redressement.

Vous aviez envie de participer à cette dynamique-là…

Plus concrètement, oui. Avec tout mon respect pour mes amis de la politique. Nous avons vécu quelque chose de très fort, de compliqué, de tendu pendant la longue crise institutionnelle. Les accords conclus ont apaisé le pays et mis en place une nouvelle dynamique. On le voit avec les Diables Rouges : le mot Belgique est moins ringard aujourd’hui qu’il y a deux ans. Mais j’avais l’impression d’être déconnecté du terrain.

Je suis convaincu que la Wallonie ne se redressera pas uniquement sur l’axe nord-sud, mais que Charleroi et Liège joueront un rôle majeur. Meusinvest, c’est plus de 250 entreprises, 48 millions d’euros investis dont plus de 60 % en capital à risque et une série de successstories incroyables. C’est passionnant de soutenir ces petites entreprises qui ont un réel capital de croissance.

Que pouvez-vous apporter ?

Je ne suis ni un expert financier, ni un gourou économique, mais un jeteur de ponts. Chaque semaine, je visite des entreprises qui repartent à la conquête de nouveaux marchés grâce aux nouvelles technologies. A Liège, dans l’ancienne discothèque Chapelle, nous venons de créer un pôle créativité pour accueillir des start-up actives dans les technologies, l’innovation, les nouveaux matériaux… On revit pratiquement ce que l’on a vécu avec l’explosion de l’informatique.

C’est par là que passera le salut wallon, pas en s’accrochant aux vaisseaux industriels du passé ?

Même dans la sidérurgie, il est possible d’aller chercher de nouveaux marchés avec de nouveaux matériaux. Meusinvest a été créé il y a vingt-cinq ans pour aider à la reconversion. Je l’ai toujours dit : plutôt que des incantations ou qu’un repli régionaliste, ce seront les chiffres et les performances économiques qui rendront la fierté aux Wallons. Cela redonnera un équilibre institutionnel au pays.

La réforme de l’Etat donne dix ans à la Wallonie pour se redresser. Cela vous fait peur ?

Je n’ai pas peur de la date ! Il y aura peut-être deux ou trois années difficiles, mais cela accélère le tempo. Le plan Marshall a créé 20 000 emplois directs, 50 000 si l’on compte les indirects. Le sixième pôle, GreenWin, est devenu le deuxième pourvoyeur d’emplois l’année dernière. Je suis content de voir que dans le plan Horizon 2022, on y ajoute l’enseignement.

Votre coprésidente l’affirme : la Fédération Wallonie-Bruxelles est à l’os.

Il faut être cohérent. Tous les patrons disent que l’enseignement qualifiant et professionnel est un enjeu prioritaire. Voilà pourquoi il ne faut pas y mettre la rigueur budgétaire stricte et certainement ne pas aller plus vite que ce que nous demandent les institutions internationales.

Le secteur public reste un acteur wallon important, avec des structures parfois opaques. Le rachat d’un groupe de presse par l’intercommunale Tecteo est-il révélateur ?

Je suis un ardent défenseur de la spécificité de chaque outil public. La SRIW s’occupe des grandes entreprises, la Sogepa des entreprises en difficulté, les invests permettent à de plus petites entreprises de grandir. Les gens se disent peut-être que c’est beaucoup de mandats, mais ce n’est pas le cas, les administrateurs sont très peu payés et cela concentre les énergies.

Tecteo, au départ, était une intercommunale de distribution d’électricité qui s’est ouverte à d’autres métiers : le gaz, la télédistribution. Il faut savoir ce que l’on veut dès lors que l’on demande une rationalisation des intercommunales. Logiquement, il y a des outils pour les contrôler, avec des représentants de tous les partis. Ce n’est pas normal que le conseil d’administration ne se soit pas réuni pour faire un choix aussi important. Des propositions sont sur la table pour permettre un plus grand renforcement démocratique de la tutelle, des administrateurs…

Mais le débat est plus complexe. Corelio vendait ce groupe de presse ! Les éditions de l’Avenir auraient pu être un oiseau pour le chat, atterrir dans un groupe ne garantissant pas l’emploi. Il faut faire confiance à l’indépendance des journalistes, quel que soit l’actionnaire. En tant que bourgmestre, je vérifierai que l’argent public est bien utilisé. Mais je suis aussi attentif à ce que l’on conserve plusieurs sources d’information. L’équilibre médiatique wallon était menacé.

Il reste du travail pour rationaliser les outils publics wallons ?

Nous sommes entrés au gouvernement wallon en 2009 après cinq années catastrophiques, avec des affaires partout. La déclaration de politique régionale était très ambitieuse. On a créé une école d’administration publique. Cela paraît anodin, mais je peux vous dire qu’alors, ce n’était pas dans l’air du temps. Il y a désormais des mandats limités dans le temps, sans parachute doré de centaines de milliers d’euros. Je reste profondément choqué par le fait que l’on sorte deux ou trois entreprises fédérales consolidées du périmètre du règlement de la rémunération des top managers. Etre mieux payé qu’Obama : il ne faut pas rigoler !

Chaque euro va compter pour le redressement wallon, surtout quand il est public. D’autant que l’on ne pourra pas augmenter la fiscalité pour assurer la rigueur budgétaire et prévoir les investissements nécessaires dans le climat actuel. Il ne faut pas se tromper de réponse. Il faut créer de l’emploi et relancer l’économie. Au niveau fédéral, il faut réévaluer les intérêts notionnels. C’est très bien que Microsoft ou Google s’installent chez nous, mais de tels centres ne créent pas beaucoup d’emplois et peuvent partir du jour au lendemain. Je préfère créer un terreau économique de personnes très attachées à leur terroir.

Je vais mettre les pieds dans le plat. La diminution de la déduction fiscale pour tout ce qui économise l’énergie est dramatique. La mesure avait créé énormément d’emplois dans le secteur de la construction. On casse des filières ! Et tout cela pour récupérer 300 ou 400 millions. A moins qu’il ne s’agisse simplement de faire un sale coup à Ecolo en montrant que cette mesure était temporaire ? C’est ridicule. L’efficacité énergétique n’est plus un monopole des Verts d’autant que le coût énergétique augmente bien plus que le coût salarial.

Les petits jeux politiques coûtent cher à Ecolo !

Je reste impressionné quand quelqu’un m’arrête dans la rue pour me dire qu’Ecolo, ce sont les taxes. Nous avons au contraire beaucoup travaillé avec des incitants, des primes pour soutenir les filières écologiques. Les écotaxes, c’était en 1993 et elles n’ont jamais été mises en application ! En 2009, nous avons perdu 3 % des voix dans la dernière semaine avant les élections parce que Didier Reynders et les socialistes ont affirmé qu’avec Ecolo, la voiture et le logement coûteraient plus cher. Des clichés ! Ici, on sent la même chose. Ce sont des polémiques préélectorales à court terme.

Le problème, c’est que l’on risque de donner de mauvais coups de barre pour la politique énergétique. Il n’y a plus d’écologistes au fédéral depuis 2003 et la sortie du nucléaire reste dans un flou total. C’est dommageable pour les investissements énergétiques et cela nous rend dépendant des autres pays. Et le PS, le MR et le CDH annoncent déjà leur souhait de reconduire la tripartite classique au fédéral avec des projets antinomiques ! Cela va être gai, la campagne… La rigueur budgétaire qui les unit n’est pas un projet de vie.

On évoque aussi une coalition idéologiquement plus cohérente ?

Il sera intéressant de voir comment chacun va se positionner face à la N-VA sans lui donner trop de place. D’assister à la danse du ventre du MR avec la N-VA, à moins qu’il y ait eu un grand changement à la tête du PS. Je n’attaque personne : je suis un ardent défenseur de la totale indépendance d’Ecolo et de l’équidistance avec les autres partis.

Ecolo a visiblement choisi la gauche, non ?

Je ne pense pas. Nous sommes en coalition avec le PS et le CDH au niveau régional, on défend ce bilan. Mais je suis en coalition avec le MR dans ma commune, comme dans d’autres, et cela se passe très bien. J’ai toujours trouvé très sain que l’électeur ait encore quelque chose à dire.

Le retour à la politique à un niveau supérieur vous démange ?

Oui et non. Lorsque j’étais coprésident, le travail de terrain à Amay m’était déjà existentiel parce que j’y suis confronté à des situations réelles. Ce qui me manque, paradoxalement, c’est l’adrénaline des médias. J’aime les débats d’idées pour montrer nos différences. Mais je ne veux pas jouer le rôle de belle-mère par rapport aux nouveaux coprésidents. Il faut trouver la juste distance.

Il y a beaucoup d’enjeux à Meusinvest et à Amay, je ne m’ennuie pas. Eh oui, j’ai plus de temps libre. Ma famille ne vit plus uniquement à mon rythme comme ce fut le cas pendant dix ans et je trouve cela sain. J’ai été un jeune coprésident pendant des années où je me suis dit parfois que l’on avait la responsabilité de l’avenir de la Belgique sur les épaules. C’était lourd. Avec une phrase, une argumentation, un coup de gueule, on pouvait tout mettre par terre.

En 2010, je me suis senti enfermé dans la raison d’Etat plutôt que de pouvoir exprimer une forme d’impertinence. Après 500 jours entre présidents de parti, vous pensez plus à la concrétisation de vos réformes qu’aux prochaines élections. J’étais le gamin quand je suis arrivé et après la crise, je suis devenu le plus vieux président du pays, aux côtés des Magnette, Lutgen, Charles Michel, De Wever, De Croo, Tobback et Van Biesen…

Vous êtes attaché à la Belgique ?

Très. J’ai été voir les Diables Rouges en Ecosse et ce qui m’a marqué, c’est le nombre de néerlandophones avec leur écharpe belge alors que ces dernières années, ils ne l’auraient pas assumé. Oui, quelque chose se passe.

Vous serez candidat en 2014 ?

Oui, davantage à une place de soutien à la Région qu’en tête de liste. J’ai toujours dit que je resterais bourgmestre.

Une expérience ministérielle vous intéresserait ?

Je préfère être polyvalent plutôt que de m’enfermer dans une compétence. Au football, j’aimais jouer au milieu et faire des passes.

Plutôt Premier ministre ou ministre-président, donc ?

Ce serait très arrogant de le dire. Beaucoup de gens me le demandent mais honnêtement, je ne rêve pas de devenir ministre.

Entretien : Olivier Mouton

 » La rigueur budgétaire qui unit le PS, le MR et le CDH n’est pas un projet de vie  »

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