Tant de vies dans une seule

Fils de roi, vacher, boxeur, avocat, militant,  » terroriste « , bagnard, stratège, pacificateur, président, icône… Même si le déluge d’éloges déclenché par sa mort a quelque chose d’outrancier, Nelson Mandela a conquis de son vivant une place de choix dans le panthéon politique planétaire.

Au panthéon des images ineffaçables, la scène aura d’emblée rejoint la brèche ouverte à la barre à mine dans le mur de Berlin ou le sidérant face-à-face, place Tiananmen, entre un rebelle chinois et une colonne de chars. Elle égaiera les manuels d’histoire et irradie déjà tous les documentaires inspirés par les élans et les craquements d’un millénaire finissant.

Le 11 février 1990, à 16 h 14, un vieil homme longiligne et frêle au sourire éclatant, le visage strié de rides profondes, franchit d’une foulée lente et syncopée le seuil du pénitencier Victor-Verster, prison dorée nichée dans les vignobles au nord-est du Cap. Il porte un costume gris-bleu, une cravate, et, sur les épaules, tous les espoirs d’un peuple asservi un demi-siècle durant par le joug écrasant et mesquin de l’apart- heid, ce racisme d’Etat. Après 10 000 jours et 10 000 nuits de captivité – ou peu s’en faut -, Nelson Mandela, 71 ans, a tenu à descendre de la limousine venue le cueillir pour parcourir à pied les derniers mètres de son Long chemin vers la liberté, titre d’une saisissante autobiographie.

 » Ne voyez pas en moi un prophète, mais votre humble serviteur  »

Un rien hésitant, son pas s’apparente à celui de l’astronaute de retour de mission. Plongé trop longtemps dans l’apesanteur de la planète prison,  » Madiba  » – le nom clanique adopté par tous les Sud-Africains – doit réapprendre à fouler la terre ferme et à vivre à ciel ouvert. Mais point n’est besoin pour lui de réviser les lois de la gravité. Grave, tout son parcours le fut ; hormis, sans doute, cette enfance insouciante qu’il aimait tant évoquer, le temps béni où  » Rolihlahla  » –  » l’enquiquineur « , dans la langue de son ethnie xhosa – gardait le troupeau familial et foudroyait à la fronde les oiseaux. Voyez ses mains. La droite, serrée en un poing brandi, emblème du combat de chaque instant. La gauche, qui étreint celle de son épouse Winnie, l’amour de sa vie.

Même s’il lui faudra composer, passer l’idéal révolutionnaire au tamis du réel, la lutte contre la servitude continuera jusqu’à son dernier souffle et au-delà ; l’idylle, elle, ne survivra pas au choc des retrouvailles, après une si longue absence. Enclin à passer l’éponge sur les infidélités de l’ancienne assistante sociale, condamnée à plus d’un quart de siècle de veuvage carcéral, Nelson ne pouvait absoudre les égarements politiques de cette femme saisie par les démons du pouvoir. Et surtout pas les sévices, parfois meurtriers, infligés par la milice de Winnie à des ados soupçonnés de tiédeur ou de duplicité. Pressé par son entourage, il annoncera deux ans plus tard la rupture par un communiqué lapidaire.  » Mesdames et messieurs, implore-t-il alors, comprenez ma douleur.  »

L’heure des sacrifices, en ce dimanche de février, n’a pas encore sonné. Le temps est à l’euphorie. Le soir venu, au coeur du Cap, une cohue extatique acclame l’idole affranchie.  » Amandla… [Le pouvoir] « , lance Mandela.  » Awethu ! [A nous !] », gronde la foule en écho. Madiba adresse aux siens un autre message, inaudible à ce moment précis :  » Ne voyez pas en moi un prophète, mais votre humble serviteur.  » Dès lors, le rescapé de l’île-bagne de Robben Island ne cessera de se dépeindre en  » militant loyal et discipliné du parti « , allusion au Congrès national africain (African National Congress, ANC), fondé dès 1912. Coquetterie ? Fausse modestie ? Peut-être, mais pas seulement. Sûr de son étoile, volontiers autoritaire, l’ex-matricule 46664 aura toujours pris soin de déjouer le piège du messianisme.  » Je ne suis pas un saint « , insiste-t-il dans Conversations avec moi-même, collection d’archives et de notes publiée à l’automne 2010. Tant pis si son auréole l’embarrasse. Nelson l’icône sera embaumé en pied, statufié malgré lui, canonisé de son vivant.

Enfin délesté de ses chaînes, le septuagénaire vénéré entreprend de sillonner la planète. Mû par la gratitude envers les avocats élus, couronnés ou galonnés qui, pendant la longue nuit de la réclusion, ont plaidé sa cause, et qu’il tient à remercier. Aiguillonné, sans doute, par le goût des hommages et des honneurs : l’ex-détenu s’amuse de voir ceux-là mêmes qui le reléguaient parmi les  » terroristes  » dérouler le tapis rouge avec le zèle des convertis. Mais cette fringale de voyages obéit aussi à une insatiable curiosité. Claquemuré pendant quelque dix-huit ans dans une cellule insulaire de 2,50 mètres sur 2,70, puis transféré sur le continent, Mandela vole et court après le temps perdu : le patriarche de la nation arc-en-ciel veut découvrir cette planète qui a tourné sans lui, même si elle a parfois gravité autour de lui. Sa cavalcade le conduira d’ailleurs en 1993 à Oslo, où il reçoit un prix Nobel de la paix partagé avec l’ancien président, Frederik De Klerk, acteur-clé du démantèlement de l’apartheid.

Reste que celui qui fut le taulard le plus célèbre du monde ne saurait s’assoupir sur ses lauriers. Quelques mois auparavant, il lui a fallu engager toute son autorité morale pour enrayer la rage déclenchée au sein d’une jeunesse avide de vengeance par l’assassinat de Chris Hani, secrétaire général du Parti communiste sud-africain, tombé sous les balles d’un Blanc fanatique. De même, Mandela doit s’atteler à la préparation des premières élections multiraciales de l’histoire du pays, programmées pour l’année suivante. Exercice inédit pour les trois quarts de la population, et qui sera mené à bien en dépit des tentatives de sabotage ourdies par l’arrière-garde de l’ordre blanc ou par l’aile belliciste de l’Inkatha, le parti zoulou.

En mai 1994, et conformément à la Constitution alors en vigueur, le Parlement issu des urnes porte Nelson Rolihlahla Mandela à la présidence. Consécration inespérée pour celui qui, selon son patronyme coutumier, a vocation à  » créer des problèmes « . Résolu à réconcilier la nation avec elle-même, l’élu convie à son investiture ses geôliers de Robben Island. Epris de symboles, il ira jusqu’à inviter à sa table le procureur qui, au lieu de l’expédier à la potence, obtint à ses dépens une peine de prison à vie ; et rendra visite le temps d’un thé à la veuve de l’ancien Premier ministre Hendrik Verwoerd, théoricien des facettes les plus abjectes de la suprématie blanche, recluse à Orania, cette enclave où ruminent les nostalgiques de l’apartheid. De quoi dérouter cadres et militants de l’ANC.  » Madiba en fait trop « , entend-on alors.

Mais l’homme est ainsi : pour mieux décrypter la psyché de ses juges et de ses matons, pour ébranler les certitudes qui les aveuglent, il a appris leur langue derrière les barreaux et s’astreint à mémoriser des poèmes en afrikaans. Pour beaucoup, Madiba dépasse aussi les bornes ce jour de 1995, peu avant le coup d’envoi de la finale de la Coupe du monde de rugby, sport de Blancs exécré par ses frères de race. Lui descend des gradins du stade d’Ellis Park, vêtu du maillot des Springboks, pour aller prodiguer ses encouragements à une équipe qu’il sait monochrome mais qu’il veut nationale. Le Quinze sud-africain remportera le trophée, et le culot de Mandela lui gagnera l’estime d’un public bluffé au point de scander son prénom. Quant à la tunique verte à col jaune, frappée du n° 6, elle figure en bonne place dans une vitrine du musée de l’Apartheid de Johannesburg.

 » C’est ça ou le bain de sang  »

Bientôt, le noyau dur de l’ANC découvre que le héros mondialisé, prompt à marteler que seul l’homme sans chaînes peut négocier, a traité en solitaire avec le régime honni dès 1986. En trois ans, il recevra ainsi une cohorte d’émissaires gouvernementaux, avant de se rendre secrètement auprès des présidents Pieter Botha puis Frederik De Klerk. S’il s’aventure très loin sur le front des tabous, le futur Prix Nobel ne transige pas sur l’essentiel. En clair, sur ses inaltérables credo :  » One man, one vote [Un homme, une voix]  » et  » Forgive, do not forget [Le pardon, pas l’oubli] « . De même, il refuse sèchement, et à plusieurs reprises, le marchandage dont rêvent ses gardes-chiourmes, disposés à l’élargir pourvu qu’il s’installe dans un bantoustan – province à l’autonomie fictive – et se tienne coi. Contenir les appétits de vengeance, désamorcer la bombe à fragmentation des règlements de comptes : voilà qui, à ses yeux, relève au moins autant de l’impératif politique que de l’exigence morale.  » C’est ça, serine-t-il aux siens, ou le bain de sang.  »

 » Le plus pragmatique des idéalistes « , résume Richard Stengel, l’un des biographes de Mandela. Ce réalisme guidera aussi les choix économiques de son unique quinquennat. Au risque, là encore, de décevoir les puristes, qui préconisent en vain des nationalisations massives et reprochent mezza voce au patriarche son orthodoxie budgétaire ou sa propension à ménager les businessmen et les propriétaires fonciers blancs. Les Noirs au pouvoir ; les Blancs aux affaires : le partage bancal passe mal. L’élu du peuple, lui, n’a jamais cru au miracle.  » Ce que je redoute le plus, confessait-il au lendemain de sa libération, c’est l’ampleur des attentes des plus humbles.  »

Bien sûr, après des décennies de sujétion bête et brutale, le sort de la majorité noire s’améliore peu à peu. Sous Madiba, les autorités construisent ou rénovent 500 logements par jour. Des millions de miséreux accèdent enfin à l’eau potable et à l’électricité. Pour autant, au terme de son mandat, le père de la nation arc-en-ciel laisse un bilan mitigé. La société sud-africaine demeure l’une des plus inéquitables de la planète. Le chômage ravage les townships. Pis, le fossé entre Blancs et Blacks tend à se creuser. Quant à la redistribution des terres, l’une des promesses emblématiques de l’ère nouvelle, elle demeure embryonnaire. Pour autant, le magistère moral qu’exerce Mandela aura contribué à conjurer le spectre d’une guerre civile, jugée inéluctable par tant de devins.  » Nous avons donné tort aux prophètes de malheur « , constate-t-il. Si le pays n’est pas encore  » en paix avec lui-même « , l’aura du chef, maître tacticien et virtuose du consensus, paraît à peine ternie. C’est que Nelson s’inspire de l’art de régner légué par son père, monarque xhosa : fidèle à l’alchimie des palabres coutumières, il réunit cerveaux et fortes têtes, écoute patiemment chacun, puis avance une synthèse des points de vue énoncés, prenant appui sur leurs contradictions pour orienter en douceur le débat vers la formule de compromis qui a ses faveurs.  » Il s’agit pour moi, avouait-il à ses confidents, de persuader mes interlocuteurs que l’idée que je m’emploie à promouvoir émane d’eux.  »

Une loyauté d’airain envers ses alliés d’hier, despotes compris

En revanche, sur le front diplomatique, le Prix Nobel de la paix, friand de chemises chamarrées, délaisse volontiers le fleuret moucheté au profit du canon. S’il entretient des relations cordiales avec George Bush père, Mandela dissimule à peine le mépris que lui inspire son rejeton  » W « . Au coeur du contentieux, l’invasion de l’Irak, réprouvée avec véhémence. Quand il se fait procureur, l’ancien avocat retrouve des accents tiers-mondistes, au point d’assimiler dans Newsweek en 2002 les Etats-Unis, travaillés à ses yeux par la tentation impérialiste et otages des groupes de pression militaire et pétrolier, à une  » menace pour la paix du monde « . Un néoconservateur cristallise ses griefs : le vice-président Dick Cheney, ce  » dinosaure « , coupable en outre d’avoir en 1986 voté contre une résolution du Congrès appelant à sa libération. De l’autre côté de l’Atlantique, le Britannique Tony Blair, alors locataire du 10 Downing Street, et jugé servile envers Washington, a droit lui aussi à un traitement de faveur. Autant dire que les offres de médiation de Mandela dans l’arène irakienne laissent la Maison-Blanche de marbre. Il est vrai qu’elles n’auront guère plus d’écho à Bagdad : tétanisé par la hantise de la localisation satellitaire, Saddam Hussein s’interdit de répondre au téléphone.

Doté d’un prestige quasiment universel, l’intransigeant combattant de la liberté affiche une loyauté d’airain envers ses alliés d’hier, despotes compris. Le Cubain Fidel Castro et le Libyen Mouammar Kadhafi peuvent miser sur une bienveillance teintée d’aveuglement. Même s’il peut se prévaloir d’avoir convaincu le défunt Guide tripolitain de livrer deux agents secrets incriminés dans l’attentat de Lockerbie. La mansuétude dont bénéficie le dictateur nigérian Sani Abacha à la veille de l’exécution de l’opposant Ken Saro-Wiwa sème elle aussi le trouble. Et il faudra attendre juin 2008 pour que Mandela désavoue enfin à Londres la dérive du tyran zimbabwéen Robert Mugabe, ce vieil allié dévoyé, authentique héros de la lutte anti-apartheid devenu le naufrageur cynique de l’ex-Rhodésie du Sud.

Jamais le premier Noir parvenu aux commandes du géant de l’Afrique australe n’a cherché, quant à lui, à prolonger le bail. En 1999, à l’issue de son quinquennat, il s’efface au profit de Thabo Mbeki, technocrate hautain et fils d’un compagnon de lutte. Deux ans plus tard,  » Tata  » (père, autre surnom affectueux) se retire de l’échiquier politique. Dès lors, son ombre tutélaire planera en altitude, d’autant plus obsédante qu’elle se veut discrète.

Une tuberculose contractée à Robben Island, un cancer de la prostate, enrayé à temps au prix d’un traitement exténuant, un coeur un rien capricieux, des infections respiratoires en cascade : affaibli, l’aïeul raréfie ses sorties publiques, coulant une retraite paisible dans sa résidence de Houghton, banlieue cossue et verdoyante du nord de  » Jo’burg « . Et ce sous l’oeil tendrement protecteur de Graça Machel, la veuve de l’ancien président du Mozambique Samora Machel, qu’il a épousée en troisièmes noces le jour de ses 80 ans. L’illustre maison de Soweto, au 8115 de la rue Ngakane, dans le secteur d’Orlando West ? Voilà belle lurette qu’elle a été transformée en musée pris d’assaut par les sages hordes de touristes japonais et les routards scandinaves.

Celui qui fut dans une vie antérieure un boxeur pugnace et véloce ne se meut qu’à grand-peine, appuyé sur une canne. Il passe le plus clair de son temps assis dans un fauteuil à haut dossier, un plaid sur les genoux. A sa gauche, sur une table basse, des journaux en anglais et en afrikaans ; à sa droite, du côté de la bonne oreille, les amis de passage. Parfois, quand la fatigue l’épargne, le vieux lutteur partage avec un intime son plat favori – la queue de boeuf en sauce -, ainsi que les anecdotes du bon vieux temps, pas toujours si bon, mais déjà si vieux.  » Tu te souviens de ce Blanc aux grandes oreilles qui, à la fac, avait fui quand je m’étais, moi le nègre, assis à son côté ?  » Sur la fin, Madiba peine à se lever chaque matin vers 5 heures, habitude façonnée par le biorythme carcéral, comme il le fit longtemps après son retour à l’air libre.  » Je suis toujours en prison « , confia-t-il un jour au philosophe français Jacques Derrida. Une prison au portail de laquelle se pressent tous les personnages avides de chauffer leur ego au soleil d’une gloire incontestée. Au point que l’entourage du vieillard s’emploie à filtrer le flot des courtisans. Il faudra tout l’entregent du Gabonais Omar Bongo pour que Nicolas Sarkozy et son épouse Carla, qui y tenaient tant, puissent poser au côté de la star.

 » Père  » paraît encore en 2008, à la faveur des festivités orchestrées à Hyde Park, à Londres pour son 90e printemps, vingt ans après le méga-concert monté au stade de Wembley en l’honneur du captif le plus fameux ici-bas. On entrevoit aussi sa silhouette voûtée en juillet 2010, dans la tribune d’honneur du stade de Soccer City, à Johannesburg, lors de la finale du Mondial de football en Afrique du Sud. Le match d’ouverture, un mois plus tôt ? Le nonagénaire, écrasé de chagrin, y a renoncé : la nuit précédente, son arrière-petite-fille Zenani, 13 ans, avait péri dans un accident de voiture. Ce décès cruel fut le dernier drame d’une vie jalonnée d’épreuves et de fêlures intimes.

La mort, en 1969, de son fils aîné, tué au volant, le dévasta

Trois des six enfants de Madiba, ce family man qui cherchait la compagnie des gamins tant il avait souffert d’en être privé en captivité, reposent dans le petit cimetière de Qunu, le fief familial du Transkei, où lui-même sera selon ses voeux inhumé le 15 décembre, veille de la journée dédiée chaque année à la réconciliation. La mort, à 23 ans, en 1969, de l’aîné, Thembi, tué au volant, le dévasta, confie-t-il dans ses Mémoires, comme un  » éventrement intérieur « . D’autant qu’il ne fut pas autorisé à assister à ses obsèques ; pas plus qu’aux funérailles de sa mère, quelques mois plus tôt. Puis il y aura, en 2005, l’agonie sans retour de cet autre fils, Makgatho, un avocat quinquagénaire vaincu par le sida. Trois ans auparavant, le patriarche avait brisé le tabou, révélant qu’une nièce et deux arrière-petits-neveux avaient succombé au VIH. Dans un pays où le fléau affecte près de 20 % de la population, Nelson Mandela récuse sobrement les thèses ineptes de son successeur, Thabo Mbeki, hostile aux traitements rétroviraux, qu’il juge plus néfastes qu’un mal dont il douta d’ailleurs longtemps de la réalité.  » Je n’ai pas fait assez contre le sida, se reprochait alors le père tourmenté. J’y consacrerai le reste de ma vie.  » S’il s’impose d’ordinaire un strict devoir de réserve envers ses successeurs à la présidence comme à la tête de l’ANC, le pionnier peut s’en libérer le temps d’un rappel à l’ordre. Tel fut le cas quand il stigmatisa l’arrogance des jeunes loups du parti, puis celle des nouveaux riches de l’élite noire.  » Cette étincelle disparaît peu à peu.  » Dès 2008, sa patiente compagne Graça, dont l’inaltérable dignité ne rend que plus obscènes les médiocres querelles qui déchirent la camarilla des ayants droit, avait dépeint en ces termes, dans un entretien accordé à CNN, l’inexorable déclin de la flamme. Flamme tour à tour ardente, étouffée, rayonnante puis vacillante. Mais flamme qui, à l’instar des étoiles, dispensera post mortem sa lueur.

Elle n’aura, hélas, guère illuminé de son vivant sa descendance. Laquelle se sera, jusque dans les prétoires, disputé l’héritage symbolique et matériel du patriarche. En 2011, l’un de ses petits-fils, prénommé Mandla, fait ainsi exhumer en catimini du cimetière de Qunu les dépouilles des trois garçons défunts de Nelson, aussitôt transférées à Mvezo, village natal de Mandela, dont ce député de l’ANC détient les attributs de chef traditionnel. Sans doute espérait-il attirer de la sorte dans son caveau de famille flambant neuf, joyau mémoriel d’un complexe historico-touristique en chantier, l’illustre sépulture. Raté : conformément à une décision de justice, les trois fils reposent de nouveau à Qunu depuis juillet dernier. Autre épisode navrant, la bataille menée par deux des filles de Mandela contre le quatuor d’amis que celui-ci mandata pour gérer les coquettes royalties que procure la vente de produits dérivés à son effigie. Certes, les plaignantes ont renoncé voilà peu à exiger devant les tribunaux leur éviction. Reste qu’il y a là de quoi assombrir les derniers jours du premier aïeul venu.

Le 1er septembre 2013, le vieux boxeur quitte la Mediclinic de Pretoria, où il a livré trois mois durant contre la camarde un round épuisant, pour regagner ses pénates de Houghton. Pénates dûment médicalisées, puisqu’on y a installé une unité de soins intensifs, et où s’achèvera sa longue et lente agonie. Depuis juin, la rumeur de sa mort n’a cessé de rôder, au point de fourvoyer quelques VIP, trop prompts à dégainer leurs messages de condoléances. Le gisant vénéré ne reçoit plus guère, sinon quelques parents. Quant à la présidence sud-africaine, elle diffuse de loin en loin un communiqué sur son état, obscurément qualifié de  » critique mais stable « .

En s’éteignant, l’icône, que l’on voulait croire immortelle, renvoie son peuple, Blancs et Noirs mêlés, à la fameuse  » wham question « . En clair, What happens after Mandela ? Qu’adviendra-t-il après lui ? L’énigme, chacun le sent, a quelque chose de vertigineux.

Par Vincent Hugeux

Ses inaltérables credo :  » One man, one vote [Un homme, une voix]  » et  » Forgive, do not forget [Le pardon, pas l’oubli]  »

L’ex-matricule 46664 aura toujours pris soin de déjouer le piège du messianisme.  » Je ne suis pas un saint  »

 » Je suis toujours en prison « , confia-t-il un jour au philosophe français Jacques Derrida

 » Je n’ai pas fait assez contre le sida, se reprochait alors le père tourmenté. J’y consacrerai le reste de ma vie  »

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