Brocanteur de la bohème parisienne d’après-guerre devenu journaliste lyonnais, Pierre Mérindol fait l’objet d’une réédition posthume de Fausse route, son unique roman publié en 1950. Ou comment injecter de l’aventure poétique dans la routine la plus austère.
« C’était une de ces journées vides où le temps est mou. « Pierre Mérindol (né Gaston Didier), disparu en 2013, savait décrire comme pas deux le bien trop lent passage du temps, quand on s’ennuie entre routine et déception amoureuse. Et les dimanches, bien sûr, » zones d’ennui en consommé au milieu de nos migrations étoilées comme la grandissante flaque d’un cheval qui pisse. « Pourtant, habitués des bistrots comme l’est le narrateur de ce roman qu’il publia à 24 ans, ni son propos ni sa langue ne se complaisent dans la dépression. Bien au contraire : au volant d’un camion de livraison entre Paris et Valence ou les Vosges, accoudé au zinc ou en rade sur un bas-côté, ce gars-là piste la péripétie pour la transformer en odyssée, et invoque l’anecdote pour baliser sa petite légende.
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Le narrateur, donc, symptomatique du » bon con » débrouillard, un peu poète aussi sur les bords, sillonne les petites routes d’une France en reconstruction lente, flanqué d’un camarade auquel il faudra bien se lier : Edouard, bougon mauvais payeur, à peine causant mais utile au moins au relais du volant. Dans la nuit apparaît Françoise en bord de piste, un peu la Marie-Ange des Valseuses, gamine paumée pas farouche que le collègue moins couillon bascule vite à l’arrière, sans qu’elle n’y trouve matière à extase ni, au fond, rien à redire : le début du grand amour, qui mènera ces trois-là, par-delà les petites trahisons, à disposer même d’un boui-boui limonadier rue Mouffetard. Jusqu’au débarquement, » à Paris par un matin d’hiver avec la neige sale qui traîne le long des murs comme une mousse de bière au fond d’un demi oublié « , de Jules, fils du vieux copain Mario, grand dadais pris en pension, qui ne tardera pas à faire valser tout l’édifice.
Usant jusqu’à la corde, mais toujours en inventive élégance, de l’art de la métaphore, Mérindol part d’un présupposé simple : voyageurs au long cours, braves soldats en premier ligne ou galériens rêveurs en escale permanente au troquet, même combat ! » En dehors du front ou du bar-tabac, ils forment une foule (on l’est tous) des déclassés, des désaxés, qu’on les appelle tordus ou inadaptables, la foule de ceux qui se trimballent dans la vie avec leur part de passion dûment choisie, délimitée […] parce qu’il n’y a plus le choix et pas d’autre chance à courir. » Ce qui tombe bien d’ailleurs, au lendemain de la guerre, où tous ces jeunes bonshommes – l’auteur compris – ont endossé tour à tour ces différents uniformes. Il s’agit de s’extirper fissa du ronronnement des foules, quitte à en fantasmer les lignes de fuite, à prôner l’école buissonnière permanente, à mettre paradoxalement l’imagination débridée au service de la santé mentale.
On se prend rapidement à corner chaque page (ce qui est mal) et à applaudir des portraits dressés à la volée ( » sa tête de joueur de saxo sans contrat et son allure de cow-boy de cinéma « ) comme la douce mélancolie de ces héros à taille humaine, soucieux surtout de » vivre décemment, je veux dire d’acheter un paquet de gauloises par jour « , et d’admettre » qu’un bifteck-frites avec un double rouge, ça vous fait drôlement oublier les coups de pied au cul et un peu réfléchir avant de casser des vitres. » Du velours.
Fausse Route, par Pierre Mérindol, Le Dilettante, 126 p.
Retrouvez l’actualité littéraire dans Focus : Philippe Aronson, Charles Stevenson Wright et George S. Schuyler : trois romans sur l’histoire de la condition noire aux Etats-Unis, page 34. Et aussi une rencontre avec l’auteur de polars anglais J.J. Connolly, page 36.
PAR FRANÇOIS PERRIN