Sur le fil du rasoir

C’est un véritable parcours du combattant. Ne devient pas flamand, en effet, qui veut. Décrocher un ticket de séjour au Nord se mérite. Pas moins de 14 000 candidats se pressent au portillon chaque année. Des candidats aussitôt encadrés, serrés par les autorités pour un inburgering au pas de charge, et mis à l’amende sans états d’âme en cas de  » dérapage « . Une politique qui a un coût : 48,6 millions d’euros pour la seule année 2010 (quand la Région wallonne consacre… 5,4 millions à l’intégration). Flandre-Wallonie, deux terres d’accueil en état de choc, comme l’illustre le dossier interpellant que nous publions cette semaine. Mais la Flandre veut aller plus loin, elle piaffe, elle s’impatiente. Marre du fédéral, trop laxiste en matière d’immigration, c’est l’autonomie là aussi qu’elle exige, qui seule peut favoriser la constitution de la nation étatique dont elle rêve.

L’immigration, une goutte d’eau dans l’océan des divergences qui opposent désormais le Nord et le Sud. Alors que les francophones tentent encore d’esquisser un compromis pour sauver quelques lambeaux de l’Etat fédéral, les Flamands, eux, ont déjà les yeux braqués sur l’après, l’étape suivante, le démantèlement de la Belgique. Enfin maître chez soi ! Reste à boucler une avant-dernière négociation, celle dont Di Rupo est censé dessiner les contours ces jours-ci, et qui devrait mettre d’accord provisoirement les amis-ennemis. Climat relativement serein, absence d’arrogance, pas de mots qui fâchent, de claquements de porte, la Belgique part en capilotade, mais sans faire de bruit.  » Un pays sur le fil du rasoir « , selon l’expression du politologue Pierre Vercauteren.

 » Nous devons tous trouver des compromis et ceux-ci doivent être susceptibles de fonctionner « , affirmait en début de semaine la présidente du SP.A, Caroline Gennez. Certes. Mais ils demanderont plus que cinq minutes de courage politique. Surtout pour l’épineux et insoluble dossier bruxellois. Lâcher la capitale, pas question ! clament les Flamands qui exigent une fédéralisation axée sur les Communautés. A des années-lumière des francophones qui, eux, défendent un fédéralisme fondé sur les Régions, avec un transfert de moyens substantiel pour la capitale. L’impasse. Quel francophone accepterait d’avaler le poison  » magique  » d’une cogestion de Bruxelles concocté par la N-VA ? ! Un bond en arrière, une régression inacceptable pour les francophones. Sans parler de l’incompatibilité totale des visions politique, économique et idéologique entre les deux Communautés. Des Flamands à droite-droite unis à des francophones tendance socialisante, quelle perspective ! Avec, pour corollaire, l’application de deux politiques divergentes pour l’immigration, la sécurité sociale, les soins de santé, la mobilité, la fiscalité… Choisissez votre camp ! Une belle pétaudière en perspective ! Un îlot à deux vitesses en plein c£ur du pays, une farce !

Silence, on négocie. Il faut laisser du temps au temps, surtout s’il s’agit de détricoter l’Etat, avancent prudemment certains sages. Peut-être. Mais à moins qu’ils ne soient brutalement touchés par une grâce venue d’on ne sait où, on voit mal les Flamands virer leur cuti sur Bruxelles… et tout le reste. Un pays sur le fil du rasoir, oui. Qui, à part un doux utopiste, oserait encore le nier ?

Bruxelles, un îlot à deux vitesses en plein c£ur du pays, une farce !

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