Stupeur et tremblements

Un mois et demi après la tuerie de Chevaline, Amélie Nothomb a accepté d’écrire pour Le Vif/L’Express un texte court, fort et dérangeant sur cette histoire hors norme. Voici pourquoi nous le lui avons demandé.

D’abord, les faits. Mercredi 5 septembre 2012, au-dessus du lac d’Annecy, William Brett Martin, retraité de la Royal Air Force, zigzague à VTT sur une route de montagne, lorsqu’il tombe sur le corps d’un cycliste baignant dans son sang. Non loin, un break BMW ronronne, vitres craquelées. A ce moment surgit de nulle part une enfant au visage halluciné, elle aussi couverte de sang. Martin se porte à son secours, puis se dirige vers la voiture et se retrouve face au cadavre d’un homme d’une cinquantaine d’années. A l’arrière gisent deux femmes, mortes elles aussi. Tous présentent des blessures causées par une arme à feu. Il faudra attendre huit heures pour qu’on ordonne enfin d’extraire les victimes du véhicule.

Les pompiers découvrent alors une petite fille – elle, bien vivante – pelotonnée aux pieds de sa mère, sans vie.

La presse du monde entier s’est passionnée pour ce fait divers, voulant comprendre pourquoi on avait tenté d’exterminer cette famille britannique – les Al-Hilli – partie camper dans un paisible coin de France. Des moyens exceptionnels ont été mobilisés. Mais, un mois et demi après, on n’en sait guère plus. Zainab et Zeena, les deux s£urs, de 7 et 4 ans, qui, seules, ont échappé à la tuerie, n’ont guère pu fournir d’informations sur les circonstances dans lesquelles leurs parents et leur grand-mère ont trouvé la mort. Les enquêteurs ont cherché un mobile du côté des origines irakiennes du père ou de ses activités dans le domaine sensible des satellites. Le différend avec son frère autour d’un héritage a aussi été exploré. Mais rien de concluant n’a été trouvé, comme semble le confirmer l’appel à témoins qui vient d’être lancé.

Peut-être, un jour, connaîtra-t-on le fin mot de l’histoire. Mais personne ne pourra dire ce qu’il s’est passé dans la tête d’une petite fille de 4 ans blottie huit heures au pied de la banquette arrière d’une  » voiture-cercueil « . C’est sans doute là le grand mystère de ce carnage. Zeena a-t-elle pleuré ? A-t-elle dormi ? A-t-elle eu conscience de ce qu’il se passait ? Le saura-t-elle elle-même un jour ? Voudra-t-elle, d’ailleurs, le savoir ?

Le journaliste est un passeur de questions. Mais, quand la réponse échappe à tous, il doit céder la parole à l’écrivain, qui, seul, peut tenter de mettre en mots l’indéchiffrable. Stendhal ( Le Rouge et le noir), Truman Capote ( De sang froid), Marguerite Duras (sur l’affaire Villemin), Emmanuel Carrère ( L’Adversaire) et bien d’autres ont essayé en leur temps de se mettre dans la peau d’un assassin, ou présumé tel. Le Vif/L’Express a demandé à Amélie Nothomb – au talent, à la sensibilité et à l’imagination exceptionnels – de se glisser, elle, dans la tête d’une victime : celle de la petite Zeena.

Avec humilité et des scrupules qui l’honorent, l’auteur d’ Hygiène de l’assassin a, après mûre réflexion, accédé à notre requête. Amélie Nothomb n’avait qu’une exigence : qu’on la laisse libre du ton et de la longueur. Ses désirs ont été pour nous des ordres, auxquels nous sommes heureux d’avoir obéi en lisant et relisant ce texte dérangeant.

Olivier Le Naire

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