Stars pour la bonne cause

Les vedettes sont toujours plus nombreuses à prêter leur image pour des organisations humanitaires. Au risque d’en occulter parfois le message.

La sprinteuse Kim Gevaert pour SOS Villages d’Enfants, Eddy Merckx pour Action Damien, Axelle Red pour l’Unicefà A l’instar des vedettes mondiales, tels Bono, George Clooney et Angelina Jolie, nos stars auraient-elles le c£ur sur la main ?  » J’ai eu la chance de grandir au sein d’un foyer chaleureux. J’ai eu la chance de pouvoir choisir une discipline qui me plaisait et donner le meilleur de moi-même. Trop d’enfants, à travers le monde, n’ont pas cette chance, privés d’amour ou de soutien « , raconte une touchante Kim Gevaert sur le site de SOS Villages d’Enfants.  » Elle est venue vers nous, c’est la configuration idéale, explique sa présidente, Barbara François. Kim s’investit profondément dans le projet, tout comme Vincent Kompany, dont j’apprécie la grande maturité.  » Barbara François précise qu' » ils paient eux-mêmes leur billet d’avion  » pour aller visiter les projets.

Mais les vedettes ne pratiquent pas toutes la philanthropie à la même échelle.  » Des personnalités pratiquent l’engagement authentique. D’autres montrent leur solidarité, sans pour autant s’engager. Enfin, certains y voient une opportunité de renforcer leur image ou de relancer une carrièreà « , dit Koen Van den Broeck, consultant auprès d’Ethicom, qui conseille les ONG dans leur communication.  » Si les « people » s’engagent par conviction, s’ils deviennent de vrais ambassadeurs, c’est bien. Sinon, on se demande à qui cela profite le plus « , lance Marc-Olivier Herman, de Greenpeace, qui n’est pas (encore) entré dans le jeu du vedettariat. On se souviendra de la campagne des Magasins du monde Oxfam en 2006, avec un Elio Di Rupo immergé (tout habillé) dans une baignoire ou un Guy Verhofstadt très zen sous des grappes de raisinsà

De fait, les ONG ne sont pas toujours regardantes : qu’importe la star, du moment qu’elle amène les Belges à mettre la main au portefeuille. Du coup, les  » pipoles  » étant toujours plus nombreux à prêter leur image, le donateur ne sait plus toujours qui est associé à quelle cause. Le message de l’organisation peut vite se brouillerà Parfois, les relations grincent entre les unes et les autres. La fondation Jour après jour (enfants cancéreux) a cessé sa collaboration avec Justine Henin, estimant que celle-ci n’en faisait pas assez. Justine est entre-temps devenueà ambassadrice bénévole pour l’Unicef. Pour Koen Van den Broeck,  » il ne faut pas trop attendre des célébrités, elles ont aussi un agenda surchargé ! « .

Ces stars pour la bonne cause se rencontrent surtout en Flandre. Pour les organisations, un Bekende Vlaming (Flamand connu), ou BV, c’est du pain bénit :  » Dans le nord du pays, rien de tel qu’un BV pour faire passer un message dans les médias, par exemple sur le commerce équitable, répond le consultant. Montrer un paysan africain ? Vous n’aurez aucune chance de passer…  » Mais un BV amène-t-il plus d’argent ?  » Difficile à savoir, mais une ONG comme Villages d’Enfants était invisible dans les médias avant que Kim Gevaert ne s’y investisse.  » Ces BV n’ont pas d’équivalent du côté francophone, et si on parle de  » Wallons connus « , c’est seulement pour s’esclaffer devant l’abréviation. Ces Wallons ne sont jamais aussi connus chez eux que les Flamands en Flandre. La raison ? Le paysage audiovisuel francophone, tourné vers la France, est bien plus ouvert et éparpillé. Beaucoup d’artistes francophones ont d’ailleurs pris racine à Paris. En Flandre, rien de tel : le marché médiatique se résume à une concurrence féroce entre la chaîne privée VTM et l’émetteur public VRT, avec avantage à ce dernier. Les chaînes néerlandaises sont peu regardées. La chambre d’écho est donc maximale pour les BV. La finale du jeu De Slimste Mens ter Wereld (la personne la plus intelligente du monde) a ainsi attiré plus d’un Flamand sur trois le 5 février dernier ! Avec, en finale, un certain Bart De Wever et le présentateur du Journal télévisé de la VRT Freek Braeckman.  » Il est plus facile de créer des idoles dans un paysage fermé « , explique Koen Van den Broeck.

Mais le phénomène des BV répond aussi à un besoin d’identification :  » La quête de l’identité flamande reste une réalité « , souligne Van den Broeck. Selon lui,  » les Flamands ont besoin de se retrouver dans des figures connues, alors que l’idée de citoyenneté et, donc, de revendication est davantage ancrée dans la partie francophone « . En Flandre, personne ne trouve à redire quand le chanteur Koen Wauters prête son image à Plan Belgique (adoption d’enfants), tout en participant à Paris-Dakar et en faisant la pub d’une assurance obsèquesà  » Les gens acceptent « , dit-il. Notre championne olympique du saut en hauteur, Tia Hellebaut, ne craint pas de passer de la promo pour Pizza Hut au soutien à Born in Africa, une ONG qui vient en aide à des jeunes défavorisés dans le sud de l’Afrique.

 » Ce qui compte, c’est l’évolution des mentalités « 

Du côté francophone, le contenu l’emporterait-il davantage sur la forme ? En tout cas, on y travaille moins avec des agences publicitaires.  » Le vedettariat marche à plein si l’ONG mise sur le côté dramatique ou sympathique de son objet social. Or nous ne jouons ni sur l’une ni sur l’autre, souligne Luc Langouche, secrétaire général des Iles de paix. Notre discours est plus serein, moins émotionnel. On veut que les gens nous appuient parce qu’ils trouvent notre travail utile, et non pas parce qu’on les fait pleurer.  » Au CNCD, la  » coupole  » des ONG francophones de développement, même son de cloche :  » Envoyer un message émotionnel plutôt que rationnel est contre-productif, tranche Arnaud Zacharie, secrétaire général. Ce qui compte, c’est l’évolution des mentalités.  » Les seules vedettes promues par le CNCD viennent du Sud, comme l’artiste malienne Rokia Traore,  » et sont en parfaite cohérence avec notre message « . Les Iles de paix n’ont jamais misé que sur leur vedette-maison et fondateur : Dominique Pire, Prix Nobel de la paix 1958. Pour faire connaître leur travail, l’ONG préfère financer le voyage sur place de journalistes,  » pour qu’ils se rendent compte par eux-mêmes et puissent témoigner « . Curieusement, l’homologue flamande, Vredeseilanden, joue, elle, la carte du  » people « , mais sur un mode ludique. Pour stimuler la vente de porte-clés en forme de petits bonshommes, elle a fait appel à des BVà de petite taille. Des  » petites vedettes « , en somme.  » Et toutes ont répondu présent sans hésiter « , rapporte-t-elle.

Le marketing humanitaire à grande échelle n’est pas un passage obligé. Par exemple, le comique flamand Urbanus ne s’implique que dans de petits projets très ciblés. Il ne se considère pas comme un bienfaiteur :  » En tant que BV, je ne vois pas en quoi je suis obligé de m’impliquer pour une cause, expliquait-il dans Het Laatste Nieuws. Je suis un artiste destiné à amuser la galerie, rien de plus. Cela m’énerve quand des gens exigent de moi des choses en retour, simplement parce qu’ils ont acheté mes disques. Ils en ont tout de même eu pour leur argent, non ? C’est comme si j’allais chez mon boucher pour lui dire : ça fait quarante ans que j’achète ma viande chez vous, maintenant vous allez enfin faire quelque chose pour moi.  » Il critique ces actions de solidarité où on demande aux artistes de se produire gratuitement, par exemple pour financer l’opération d’un enfant.  » Et le chirurgien ne pourrait-il pas faire grâce d’une partie de son gigantesque salaire ? Le boulanger ou le facteur ne pourraient-ils pas non plus travailler une journée gratuitement pour cet enfant ?  »

Si francophones et Flamands n’ont pas vraiment la même approche de la communication éthique, au moins se retrouvent-ils sur un projetà testamentaire. Sur le site testament.be, chacun dans sa langue, le cinéaste flamand Jan Decleir et l’animateur Jacques Mercier invitent les citoyens à léguer leurs biens pour des bonnes causes, dont une liste est jointe. La Belgique n’en fait toutefois pas partie.

François Janne d’Othée

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