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Sous le masque, la plume

Chroniqueur cinéma provocateur et acerbe au Figaro et dans l’émission Le Masque et la Plume, Eric Neuhoff est aussi écrivain, couronné, à ses heures. Ses trois premiers livres sont à nouveau publiés en un volume, au titre évocateur Les Romans d’avant

Charme, dérision et nostalgie, trois qualificatifs qui résument bien l’ atmosphère dans Les Hanches de Laetitia, La Petite Française et Un bien fou (1). Racontées mais pas vécues à la « hussarde », sont retracées les aventures amoureuses, parfois tragiques, parfois comiques, de jeunes hommes et de jeunes femmes au cours de la deuxième moitié du siècle dernier: en effet, une autre époque. Ce triptyque, écrit par un Eric Neuhoff trentenaire, voyait le critique de cinéma et écrivain plonger déjà sa plume et sa réflexion provocatrice, amère sans être douce mais drôle, dans la nostalgie. Le dilettantisme dont font preuve ses personnages semble par ailleurs correspondre au Neuhoff romancier: « Une activité agréable qui me plaît au même titre qu’aller au cinéma, au restaurant ou de discuter avec des amis… Toutes les activités qui permettent de s’occuper sans bâiller et proscrites actuellement. »

Viendra un temps où il faudra être une romancière pour avoir le droit d’écrire des personnages féminins, au train où vont les choses…

Ce dilettantisme rappelle les films de Pascal Thomas que vous encensez dans votre essai, (Très) cher cinéma français (Albin Michel, 2019). Le cinéma, encore et toujours lui?

Le cinéma m’a toujours inspiré et influe sur mon écriture. En découvrant adolescent les films de Truffaut, je m’imaginais déjà raconter ce genre d’histoires. Lui tournait des films par dépit de ne pouvoir écrire de romans. J’envisageais l’inverse: rédiger des romans qui ressembleraient à ses films. Mais tous ces cinéastes de la Nouvelle Vague avaient pour modèle Balzac. Tous souhaitaient publier des romans, et ont finalement tourné des films à la place: on ne va pas s’en plaindre.

Il règne aussi une sorte de « désoeuvrement amoureux » dans vos récits qui évoque également Rohmer. Une autre inspiration?

J’aimais également son cinéma: ses Contes moraux dont L’Amour l’après-midi… et sa description des sentiments entre les deux sexes, notamment au travers des dialogues.

Ces romans, qui ont un aspect provocateur, peuvent sembler politiquement incorrects aujourd’hui. Croyez-vous qu’on les ferait encore paraître pour la première fois actuellement?

Voyons ce qu’en disent les lecteurs d’aujourd’hui. L’autre jour, j’évoquais Le Souffle au coeur de Louis Malle: l’histoire d’un garçon qui, au cours d’une cure thermale, finit par coucher avec sa mère. Inimaginable à notre époque!

Certains vous accusent d’être phallocrate ou misogyne dans vos histoires. Mais on observe chez chacun de vos narrateurs une vraie dépendance aux femmes. Y voyez-vous une sorte d’incompréhension à votre égard?

Les personnages de femmes y sont plus intéressants que les hommes ; ces derniers sont constamment en train de les admirer ou de courir après, de ne pas les comprendre, mais au moins d’essayer. Viendra un temps où il faudra être une romancière pour avoir le droit d’écrire des personnages féminins, au train où vont les choses… Ou d’avoir tué sa grand-mère pour écrire des romans policiers (rires). On prétend que je fais de la nostalgie: un sentiment qui est tout de même la farine du boulanger pour un romancier.

Le cinéma inspire l'auteur depuis toujours, notamment celui de François Truffaut (ici sur le tournage de La Nuit américaine, avec Jean-Pierre Léaud et Jacqueline Bisset).
Le cinéma inspire l’auteur depuis toujours, notamment celui de François Truffaut (ici sur le tournage de La Nuit américaine, avec Jean-Pierre Léaud et Jacqueline Bisset).© belga image

On ne vous sent pas tendre avec le phénomène MeToo…

Il m’inspire une même position que celle que j’ai à l’égard des réseaux sociaux: c’est le tribunal du [café du] commerce où quiconque s’érige en juge ; n’importe qui peut dire n’importe quoi. Il y a forcément un fond de vérité dans beaucoup de cas, mais également des mythomanes et des délateurs… Et puis, il y a tout de même une justice.

Qu’en est-il du retour de la mauvaise foi?

C’est le nerf de la guerre. La condition sine qua non, c’est d’être soit drôle, soit intéressant, voire de combiner les deux. Je préfère quelqu’un qui a du talent et de la mauvaise foi à un personnage sincère qui se révèle plat comme une limande. Même si je me fais descendre dans une critique, j’apprécie si l’article est drôle: je préfère cela aux éloges convenus.

Et dans quel état se trouve l’humour provocateur aujourd’hui?

Il n’y en a plus beaucoup. Restent la méchanceté et la délation. Mais l’ironie et le second degré ont disparu. Ce dernier ne passe plus du tout, du fait de l’inculture des gens et des méfaits d’Internet. A l’époque, on prétendait que la télévision abrutissait le monde, mais ce n’était rien à côté. Aujourd’hui, on n’a même plus le droit de dire qu’une actrice est jolie sans être taxé de sexisme. Le physique chez un acteur ou une actrice, c’est un peu comme les adjectifs pour un écrivain. On travaille avec le corps, sinon il faut rester chez soi ou dans la fosse du souffleur. Un journaliste avait un jour évoqué les fesses en gouttes d’huile de Philippe Noiret. L’acteur avait trouvé cela scandaleux. Mais s’il n’avait pas montré ses fesses, on n’en aurait pas parlé (rires)!

A lire votre livre sur le cinéma français couronné par le Renaudot de l’essai voici plus d’un an, on a le sentiment que vous cultivez plutôt le glamour que l’amour du cinéma…

Comme disait Truffaut, « le cinéma, c’est faire faire de jolies choses à de jolies femmes ». Un cinéma qui disparaît.

(1) Les Romans d'avant: Les Hanches de Laetitia, La Petite Française, Un bien fou, par Eric Neuhoff, Albin Michel, 480 p.
(1) Les Romans d’avant: Les Hanches de Laetitia, La Petite Française, Un bien fou, par Eric Neuhoff, Albin Michel, 480 p.

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