Chargé de mélodies funambules et intrinsèquement sentimentales, Ames fifties est un disque de mémoire et de délices textuels intemporel. Du grand Souchon.
Si tout chanteur était jugé sur sa coiffure, passée et présente, Alain Souchon aurait le mérite de la frisette durable. Alain Edouard Kienast, son patronyme officiel lorsqu’il naît à Casablanca le 27 mai 1944, apparaît donc au public, tout en bouclettes, avec J’ai dix ans. La chanson en question, donnant aussi son titre au premier album paru la même année, 1974, introduit dans la lumière un tout juste trentenaire. Un peu BCBG, un peu mérinos égaré, Souchon reprend le nom de son père biologique, celui-ci étant décédé dans un accident de voiture auquel Alain, 14 ans, survit. Sans jouer aux devinettes des effets dévastateurs d’une mort précoce sur la psychologie d’une vie, on peut néanmoins affirmer que la porosité souchonnesque aux malheurs mineurs/majeurs l’aidera à écrire de bien belles chansons. Souvent blessées, claudicantes, qu’on aimera comme un chat à la patte brisée. Quarante-cinq ans et une quinzaine d’albums plus tard, le désormais septuagénaire a toujours la chevelure ébouriffée, certes moins dense qu’à l’époque des krollebiches affirmées. La métaphore capillaire vaut ce qu’elle vaut mais en écoutant les dix titres d’ Ames fifties, difficile de ne pas penser que la tignasse dominant le visage désormais buriné du Français, a encore quelque chose du buisson ardent. Où les épines ne cessent de voisiner les roses, sur un tempo parfumé, celui de la vie qui s’écoule. Souchon le chante d’ailleurs parfaitement dans une madeleine de son séjour ado en Angleterre, On s’ramène les cheveux.

Petite misère sanguine
Avec son alter ego Laurent Voulzy, Souchon livre donc son premier album de » nouveau matériel musical » personnel depuis 2008. Le charme opère d’entrée de jeu sur la plage titulaire en ouverture d’album. Où il est question des premiers baisers sages sur la plage du Crotoy, du Radiola qui balance André Verchuren, de Gabin mais aussi des » enfants soldats dans les montagnes algériennes « . Alors que le refrain Ames fifties agit comme le plus élégant des cataplasmes mélodiques. Une constante d’album où Voulzy côtoie les deux fils Souchon, sur des ritournelles sans date de rédemption. Alain y croise toujours le profil d’Aline sur la Grand-Place de Lille » et presque l’amour » ( Presque) et puis convoque Debussy et Gabriel Fauré dans un splendide morceau pareillement titré. Des notes de piano en mineur et, là aussi, un sentiment de chanson-voyageuse gonflée de mélancolie, cette petite misère sanguine des grands interprètes-paroliers. Parce que la nature de Souchon sur ce quinzième album est de celles qui rappellent les chromos d’avant ( On s’aimait), tout en conviant une fanfare reggae pour célébrer les plaisirs nocturnes ( Ouvert la nuit). Ce dernier rompant joyeusement le pain quotidien du disque, dominé par une minéralité contagieuse où les textes ressemblent à ces pierres façonnées par l’eau et le temps au fond des rivières perdues. Elles sont vieilles, voire ancestrales, mais il n’y a qu’une chose à en faire : les ramasser, les caresser, les mettre en poche. Puis partir en promenade. Encore et encore. S’il ne devait rester qu’une grâce discographique de Souchon, celle-ci ferait donc parfaitement l’affaire.