Sonorités futures à Ars Musica

Barbara Witkowska Journaliste

Nouvelle direction et nouveaux défis. Passionnant, ouvert au monde, le festival de la musique contemporaine sera quelque chose de vivant, rarement prévisible. On est certain d’y découvrir des musiques et des musiciens.

L’affiche de la nouvelle communication est explicite. Le spectateur est placé à la sortie d’une  » grotte « , face à un espace immense, inondé de lumière où les chemins mènent vers tous les possibles. Le message est clair : on aspire à de l’air frais.  » Comme tout festival, Ars Musica commençait à s’essouffler, décrypte Claude Ledoux, compositeur renommé, professeur aux Conservatoires de Mons et de Paris et le nouveau commissaire d’Ars Musica. Les grands compositeurs au XXe siècle ont vécu la guerre, ils ont connu ses traumatismes ainsi que ceux de la catastrophe d’Hiroshima. Quelle était leur réponse au tragique ? Stockhausen ou Boulez y répondaient avec de grandes prises de position. Leur musique voulait élever les esprits et inventer des mondes sonores inouïs. J’ai beaucoup de contact avec les jeunes et j’ai remarqué que les grandes tragédies du XXe siècle ne les intéressent pas. Ce qui les interroge, c’est la fragmentation du monde qui va de pair avec les nouvelles technologies. Aujourd’hui, on ne recherche plus le nouveau ou l’inouï. Il y a beaucoup de questions, mais pas de réponse unique. Nous assistons à une prolifération d’esthétiques. Je me souviens des propos visionnaires prononcés par Claude Lévy-Strauss lors d’une conférence dans les années 1980. Il disait que le XXIe siècle serait le siècle de la prolifération incontrôlable des informations. Par conséquence, l’enjeu sera non pas la création, mais plutôt le chemin qu’on devra imaginer pour donner du sens à cette entropie d’informations. « 

Autre chose, autre cause…

Ars Musica 2012 a pour thème Altra Cosa : altra,  » l’autre  » et toutes les questions de notre rapport à l’autre. Puis cosa, qui peut signifier, selon les circonstances,  » la chose  » ou  » la cause « . Offrir une idée de chemin qu’on pourrait utiliser pour comprendre le monde d’aujourd’hui. Ce chemin, c’est la réflexion sur l’altérité, à savoir :  » L’autre n’a jamais été aussi proche, grâce à Internet notamment et, en même temps, aussi lointain.  » Pour concocter le programme du festival, forcément subjectif, Claude Ledoux est parti de ce constat-là et d’une expérience personnelle. Grand voyageur, passionné du monde, amateur de musiques non européennes et marié avec une pianiste japonaise, il connaît très bien la culture et la mentalité des pays asiatiques.  » Dans ces pays, j’ai rencontré un accueil et une écoute fantastiques, sans nécessairement avoir la compréhension de l’autre. On passe d’abord par l’écoute pour offrir un échange. On ne se sent pas obligé d’accepter. Cela dit, il y a un phénomène de porosité. En écoutant l’autre, des molécules passent d’une culture à l’autre. Ma musique fonctionne sur ce modèle-là. On en revient transformé. L’un des thèmes forts du festival, ce seront des témoignages de cette porosité, de cette altérité. Car l’autre nous façonne aussi.  »

Liège et le Japon à l’honneur

Déplacer les genres et aiguiser les regards loin des cadres convenus sera l’un des charmes d’Ars Musica. Le coup d’envoi sera donné à Liège, lors d’un long week-end familial sous la forme de journées portes ouvertes qui démarrera le jeudi 1er mars. Des lieux inédits et éclectiques, tels les Salons littéraires, le palais des Princes-Evêques, le cinéma Sauvenière ou la Monos Gallery accueilleront des mondes sonores diversifiés, illustrant parfaitement ce concept de l’ altra cosa. Au cinéma Sauvenière, par exemple, l’ensemble Sémaphone proposera un spectacle total avec des projections de films de Georges Méliès sur fond des £uvres de Steve Reich, Terry Riley ou Astor Piazzola et des créations visuelles numériques d’Olivier Chatté. La  » musique dans la cité  » s’ouvrira aussi aux fanfares, aux carillonneurs et à un dialogue entre les ordinateurs portables et le théremin (instrument de 1920), une première dans l’histoire du festival !

Le Japon est invité pour cette édition d’exception (samedi 17 mars le soir et dimanche 18 mars, à La Raffinerie, à Bruxelles).  » Il s’agit d’un choix totalement subjectif qui parle d’un chemin et d’une rencontre, poursuit Claude Ledoux. Les Japonais ont cette faculté de passer d’un mode de vie consumériste, hyperactif, débridé et hystérique à des formes de spiritualité extrêmement intenses. On retrouve cette dimension spirituelle et cette présence de l’au-delà chez tous les compositeurs japonais d’aujourd’hui.  » Toshio Hosokawa ouvrira les festivités avec sa dernière création, The Raven, d’après Edgar Allan Poe. Le lendemain, on pourra découvrir les univers sonores de Claude Ledoux, Toshi Ichiyanagi et Kenji Sakai, dans un récital pour deux pianos : Kaoru Tashiro et Jean- Philippe Collard-Neven. Des musiques traditionnelles et contemporaines, interprétées au koto, shamisen, sakuhachi et shinobue, raviront les amateurs de sons japonais. Le festival compte aussi sur le talent de la pianiste Nao Momitani qui, avec des lutteurs d’arts martiaux, secouera toutes les attentes. Ce passionnant parcours japonais sera rythmé par des installations interactives, des ateliers de calligraphie et de haïkus (poèmes typiques). On pourra aussi siroter du thé vert et grignoter quelques sushis. Tout un monde à (re)découvrir.

Du rock et… de la réflexion

Ce festival revendiquant un projet culturel du XXIe siècle s’ouvre aussi à des compositeurs d’Amérique latine, très peu connus, des Basques, tel le surdoué Ramon Lazkano et des Belges, bien entendu. Retour, aussi, aux musiques populaires. Les compositeurs du XXe siècle ont opéré une rupture avec ces musiques. Or les jeunes nés dans les années 1960 et 1970 ont écouté du rock. On a réintégré les notions du populaire, il n’y a plus de tabous et on affiche une attitude décomplexée. Le meilleur exemple ? L’ensemble français Le Balcon.  » La moyenne d’âge est de 25 ans, ils ont un esprit rebelle et ils sont magnifiques, s’enthousiasme Claude Ledoux. C’est un des grands ensembles des dix prochaines années. Nous assumons notre rôle de découvreurs. « 

La cerise sur le gâteau ? Un important colloque à l’Académie royale de Belgique. C’est une première. Pendant deux jours, Ars Musica sacrifiera à la réflexion. Des artistes, des penseurs et des intellectuels se pencheront sur ce thème d’actualité brûlante : quel est le sens de la création musicale au XXIe siècle ? Avis à tous les curieux, interpellés par l’état et la marche du monde.

Bref, une programmation riche, variée, festive et exigeante.  » Notre objectif est de mettre en évidence le travail de création non formaté, conclut Tarquin Billiet, le nouveau directeur général d’Ars Musica. Nous voulons déconstruire l’idée que la musique contemporaine est inaccessible. Or il y a des gens qui devraient se trouver au festival et qui n’y sont pas. « 

Du 1er mars au 3 avril, Liège, Mons, Bruxelles, Anvers et Bruges. Les 21 et 22 mars, colloque Nouvelles perspectives musicales au XXIe siècle « , salle Albert II, Académie royale de Belgique, à Bruxelles. www.arsmusica.be

BARBARA WITKOWSKA

 » En écoutant l’autre, des molécules passent d’une culture à l’autre « 

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