Sondage Et la famille, ça va ?

Facile, la vie avec votre nouveau partenaire ? Vos deux demi-sours ? Vos trois belles-mères ? Commandée par le bancassureur Delta Lloyd, une enquête nationale tente de mieux cerner les profils des ménages – classiques, monoparentaux ou recomposés -, en pleine mutation.

J’ai consulté un notaire, raconte Marie-Hélène, 49 ans, parce que cela me chipotait. Je voulais m’assurer qu’à ma mort tous mes enfants, ceux nés de mon premier mariage comme ceux issus du second, seraient traités équitablement…  » C’est l’une des conséquences récentes de la multiplication des familles recomposées : les partenaires (mariés ou non) qui hébergent des enfants provenant de leurs précédentes unions se préoccupent davantage de leur succession que les papas et les mamans des ménages dits  » classiques « . Qu’il s’agisse d’avoir établi une donation, rédigé un testament, collecté des informations ou simplement discuté avec leurs héritiers, les parents qui ont déjà, derrière eux, un passé affectif un peu, disons, chaotique, sont 43 % à avoir pris les devants pour  » solder  » leur décès comme ils l’entendent – contre 26 % dans les familles où l’on ne compte ni demi-frères ni demi-s£urs. Peur de favoriser, ou de léser, les premiers-nés, fruits de lits antérieurs ? Les chiffres sont étonnants, mais le comportement reste finalement  » assez légitime, estime Marie-Thérèse Casman, sociologue à l’université de Liège (ULg). Les ménages recomposés sont des constellations familiales qui ont la particularité de présenter des enfants propres aux nouveaux conjoints et éventuellement de nouveaux enfants communs au couple nouvellement formé… Il faut reconnaître que cela provoque un certain imbroglio. Et que les personnes préfèrent régler ces questions assez tôt « .

Le constat découle en tout cas d’une enquête réalisée cet été par (XGM) Marketing Group auprès de 4 500 Belges de plus de 20 ans. Commandée par le bancassureur Delta Lloyd, qui profite de l’occasion pour mettre sur le marché un concept d’assurance innovant, elle fait évidemment la part belle aux préoccupations financières des ménages. Mais cet  » arrêt sur image  » n’est pas superflu : la diversité et la complexité des familles belges allant croissant, de nouveaux agencements privés émergent régulièrement, qui affectent autant les moyens pécuniaires que la vie quotidienne des gens. En 2005, une vaste étude du Panel Démographie Familiale (ULg), dont Marie-Thérèse Casman coordonne le service, avait déjà démontré que la dynamique familiale (comme le parcours professionnel, d’ailleurs) n’était plus du tout un  » long fleuve tranquille « . Dans les sociétés contemporaines en pleine mutation,  » il n’y a plus un modèle de trajectoire dominant, précisait l’étude, mais plutôt une succession de séquences à caractère mobile « . Ces différentes expériences de vie (conjugale, puis monoparentale, puis de famille reconstituée, par exemple) se distinguent par leur chronologie, qui varie, notamment, selon l’âge et le milieu social des individus.

Des parents recourent à un  » deuxième job « 

Que retenir du nouvel éclairage de Delta Lloyd ? Aujourd’hui, si l’on s’en tient uniquement aux familles avec enfants, ces derniers grandissent le plus souvent au sein de ménages classiques (70 %). Le reste des enfants se développent dans des familles monoparentales (16 %) ou des ménages recomposés (14 %).  » On observe une évolution toujours plus marquée des familles monoparentales, note Marie-Thérèse Casman, et davantage en Wallonie qu’en Flandre.  » A la tête de ces cellules d’adultes isolés se trouvent des femmes, en très grande majorité (73 %), même si le nombre de familles où un ou plusieurs enfants cohabitent avec leur père seul augmente légèrement.  » C’est sans doute dû à un investissement des pères (relativement) plus grand, et peut-être aussi à la tendance actuelle des juges à promouvoir l’hébergement égalitaire, lors des divorces ou des séparations « , suppose la sociologue. Pourtant, ces familles monoparentales sont celles qui admettent rencontrer le plus de difficultés à nouer les deux bouts. Dans 16 % d’entre elles seulement, le parent assure que ses revenus suffisent à mener une existence confortable (contre 41 % dans les familles classiques, et 35 % dans les recomposées). Marie-Thérèse Casman insiste :  » Les familles monoparentales sont particulièrement vulnérables quant aux risques de pauvreté, surtout parce qu’elles sont composées de femmes. Même s’il faut rappeler que les situations peuvent être très différentes, selon que la mère a un degré d’instruction élevé et un emploi bien rémunéré… ou qu’elle est allocataire sociale, dotée d’un faible diplôme.  » Dans leur enquête, les sociologues liégeois avaient mis en évidence que plus des trois quarts des femmes qui ont connu un épisode de monoparentalité n’ont pas dépassé le niveau des études secondaires supérieures. Ils avaient également relevé qu’à peine 30,7 % des chefs de ménage monoparental recevaient une pension alimentaire. Ce qui impliquait que, dans près de 70 % des cas, la charge familiale pesait sur un seul parent. Dans le même ordre d’idée, Delta Lloyd démontre que 14 % des sondés affirment qu’eux-mêmes, ou leur partenaire, ont un deuxième travail. Cette proportion grimpe à 26 % chez les personnes qui paient une rente alimentaire… Le recours forcé à ce  » deuxième job  » est révélateur. Pour Marie-Thérèse Casman, il est vraisemblablement  » l’une des réponses apportées par le groupe des « travailleurs pauvres » à la situation difficile qu’ils connaissent, dans une société où le salaire minimum garanti reste trop bas. « 

La famille reste une valeur  » sacrée « 

Surprenant aussi, on trouve autant de  » doubles revenus  » dans les familles classiques que dans les familles recomposées : dans 71 % des cas, les deux partenaires sont tous les deux actifs. Cependant, les parents à la tête d’une famille recomposée admettent connaître davantage de difficultés financières. Pourquoi ?  » La recomposition fait souvent suite à un divorce, explique Marie-Thérèse Casman. Or un divorce appauvrit les deux membres du couple. En outre, les familles recomposées ont des charges importantes, notamment au niveau du logement, puisqu’il faut souvent prévoir des chambres pour des enfants qui ne les occupent pas de façon continue. Enfin, les frais de mobilité peuvent aussi être relativement importants. « 

 » J’ai mon compte, et il a le sien, pour les dépenses relatives à nos enfants respectifs. Pour nos rejetons communs, on s’arrange, témoigne Anne, 38 ans. C’est mieux ainsi, même si la question de l’argent reste souvent épineuse…  » Dans une famille recomposée, les partenaires ouvrent moins souvent un compte commun (ils sont 29 % à le faire) que dans un couple classique (où ils sont 57 %). Par méfiance à l’égard du nouveau partenaire ? A cause du souvenir parfois cuisant de conflits pécuniaires avec l’ex ? Les enquêteurs du Panel Démographie Familiale l’avaient déjà constaté voici trois ans :  » D’une part, quand on a vécu un échec, on aborde sans doute une relation avec plus de prudence. D’autre part, dans une famille recomposée, il est vraisemblable que chacun des conjoints, s’il a déjà un ou des enfants à lui, préfère garder une certaine autonomie de gestion. « 

Pour les foyers monoparentaux, la réalité est tout autre : impossibilité d’épargner (pour 39 % d’entre eux) et plongée systématique (13 %) dans le rouge à la fin du mois… Il apparaît bien que les grands perdants, dans la course au bien-être, sont les parents sans nouveau conjoint. Or,  » si la baisse du pouvoir d’achat atteint la plupart des ménages, les conséquences sont plus graves pour les personnes qui s’en sortaient déjà difficilement auparavant, assure Marie-Thérèse Casman. La question du logement et du chauffage peut entraîner vers la grande pauvreté des personnes qui, jusque-là, vivaient « sur le fil ». Et cette pauvreté s’accompagne, pour beaucoup sans doute, d’un sentiment d’abandon qui peut déboucher sur une forme de désespoir.  » Les conditions de vie des familles recomposées semblent, en revanche, se rapprocher nettement de celles des familles classiques. Peut-être faut-il y lire la conséquence de l’évolution des mentalités. Dans leur globalité, les répondants à l’enquête Delta Lloyd se montrent en effet assez tolérants vis-à-vis des choix de vie d’autrui : 69 % des sondés considèrent que les enfants des familles recomposées peuvent (y) recevoir une bonne éducation – au sein de ce groupe même, ils sont 86 % à l’estimer. Ceux qui vivent en couple sans être mariés font preuve d’une plus grande largesse d’esprit que les autres, également en ce qui concerne le mariage homosexuel ou l’homoparentalité.  » Il y a, dans l’ensemble de la société, une plus grande ouverture aux formes de vie diverses. Mais il ne faut pas nier non plus que certaines catégories de personnes restent perplexes devant les changements familiaux. Ces gens ont ainsi l’impression que les vraies valeurs sont bafouées. « 

En fin de compte, la famille, qu’elle soit classique, monoparentale ou recomposée, a encore de beaux jours devant elle : ceux qui trouvent qu’elle n’est franchement pas la chose la plus importante de l’existence ne sont que… 9 %.

Valérie Colin

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