Dans la capitale bulgare, la campagne électorale vire au pugilat, sur fond de scandale d’écoutes et de guerre des polices. Une zizanie financée, en partie, par l’Union européenne.
DE NOTRE CORRESPONDANT
Le 28 mars, en fin de journée, le commandant Radko Dimitrov fête depuis plusieurs heures son 50e anniversaire, avec ses collègues, au ministère de l’Intérieur bulgare. Au même moment, à deux pas de là, le chef du Parti socialiste, Sergueï Stanichev, dépose sur le bureau du procureur de la République un épais dossier. Il contient, selon lui, toutes les preuves d’un » Watergate bulgare « . A en croire le leader de l’opposition, des minivans sillonnent les rues de Sofia, la capitale, munis d’équipements dernier cri, capables de capter les conversations téléphoniques et les flux Internet. Une histoire à la James Bond ? Pas pour le commandant Dimitrov. Car le responsable de cette flotte de véhicules très particuliers mais bien réels, c’est lui. Adjoint du procureur général, Boris Sarafov raconte la suite : » Dimitrov et ses amis du renseignement étaient en pleine beuverie quand quelqu’un les a alertés : une enquête allait être ouverte. Très vite, ils ont interrompu le pot et tenté d’effacer les traces. Les disques durs ont été extirpés des véhicules et détruits, à l’aide d’un gros tournevis. » Suspendus, le commandant Dimitrov et trois de ses collègues sont aujourd’hui mis en examen pour » entrave à la justice « .
Six ans après son entrée dans l’Union européenne, la Bulgarie, jadis appelée la » 16e République de l’URSS » en raison de sa fidélité à Moscou, a conservé certaines pratiques de son passé totalitaire. La corruption des élites, la paupérisation de la population et une explosion extraordinaire de la criminalité organisée assombrissent encore le tableau. Le scandale des écoutes a donné le ton de la campagne pour les élections anticipées du 12 mai, organisées à la suite de la démission, mi-février, du gouvernement conservateur de Boïko Borissov. Le débat électoral a désormais l’allure d’un grand déballage au sujet des récentes années de » stabilité économique » passées sous la férule de ce Premier ministre à poigne, souvent loué par Bruxelles pour sa volonté de combattre la mafia.
La plupart des affaires rendues publiques illustrent les coulisses peu réjouissantes du ministère de l’Intérieur, avec, en prime, un petit parfum de guerre des polices. Ainsi, le contre-espionnage bulgare, la Dans, est certainement à l’origine de la chute vertigineuse, mi-avril, de l’ex-patron de l’unité de lutte contre la mafia, la GDBOP. Bras droit de l’ancien ministre de l’Intérieur, Stanimir Florov aurait fermé les yeux, en échange de pots-de-vin, sur des réseaux de trafic de drogue contrôlés par des ressortissants du Moyen-Orient en Bulgarie. Or de nombreux cadres de son unité ont été formés outre-Atlantique : la GDBOP était le partenaire privilégié des services américains pour combattre le trafic de stupéfiants et le terrorisme.
Les Européens, quant à eux, avaient misé sur la Dans, dont ils ont généreusement financé la réforme sous le règne des socialistes. Problème : malgré l’alternance, la Dans est restée le bras armé des basses oeuvres du PS, amenant Boïko Borissov, lors de son arrivée au pouvoir, en 2009, à réduire ses attributions au profit de la GDBOP, devenue une sorte de garde prétorienne du régime… » En Bulgarie, on n’oublie rien « , soupire un diplomate, qui a la désagréable impression que cette guerre des polices est en grande partie financée par le contribuable européen. L’achat des minivans espions, par exemple, s’est fait avec l’argent du Fonds européen pour les frontières extérieures, destiné à l’origine à renforcer la sécurité des frontières bulgares.
Candidate depuis 2009 à l’espace Schengen, la Bulgarie a été recalée à plusieurs reprises, notamment en raison des doutes émis quant à la probité des policiers locaux…
ALEXANDRE LÉVY
Les deux principaux partis s’appuient chacun sur une branche rivale de la police