Scandales dans la Chambre

Shocking ! La vénérable haute assemblée du Parlement britannique est au coeur d’une série d’affaires sulfureuses. Toujours plus de voix s’élèvent contre cette coûteuse institution dont les membres trop âgés, trop nombreux, ne sont même pas élus. Pourtant, la réforme n’est pas pour demain…

Reconnaissons-leur ce talent : les Britanniques manifestent un sens merveilleux du cérémonial et un respect immuable des traditions. Chaque année, par exemple, à Londres, l’ouverture du Parlement suit un ordre multiséculaire. La reine quitte son palais de Buckingham pour se rendre à celui de Westminster dans un carrosse tiré par des chevaux ; sur place, accompagnée d’huissiers qui ordonnent aux éventuels étrangers d’ôter leur chapeau (Hats off, strangers !), elle gagne la Chambre des lords, où elle prononce le discours du trône. Revêtus d’un costume d’apparat rouge et d’une hermine, coiffés d’une perruque, les membres de la chambre haute écoutent sans broncher Elisabeth II, qui lit pourtant un texte rédigé par le Premier ministre du jour. En mettant en scène leur soumission, les éminents pairs manifestent leur respect, bien sûr, mais ils deviennent aussi des acteurs de la monarchie et participent à l’image de la reine elle-même, qui incarne la stabilité, et cette décence (decency) si chère aux Anglais. Difficile d’en dire autant des lords…

73 pairs ont plus de 85 ans…

Longtemps responsable des questions d’éthique dans la noble assemblée et ex-ministre de Tony Blair, lord Sewel a souvent adressé des courriers aux médias britanniques pour se plaindre d’enquêtes ou de reportages dont les auteurs dénigraient inutilement, à l’en croire, la Chambre ou ses membres. En juillet dernier, toutefois, le quotidien The Sun, le plus lu du pays (1,8 million d’exemplaires), lui a consacré sa une à trois reprises. Nu comme un ver, ventru, le lord, âgé de 69 ans, est photographié en train de remettre un chèque de 200 livres (280 euros) à une prostituée. Dans un enregistrement vidéo, mis en ligne sur le site Internet du journal, le baron se vante d’avoir eu 13 aventures extraconjugales, dont une avec une présentatrice de la BBC qu’il prétend avoir conquise  » dans un grenier « . Peu regardant sur les convenances, le Sun l’a aussi montré sniffant de la cocaïne, ou, pour être plus précis, une poudre blanche qu’il appelle du Coca-Cola, tout en ajoutant :  » Oublie le Cola !  » Les Britanniques ne faisant jamais les scandales politiques à moitié, d’autres images l’ont révélé portant un soutien-gorge orange, injuriant plusieurs hommes politiques du royaume. La démission du baron n’a pas été immédiate : il a d’abord tenté de négocier un congé sans solde, tant il était attaché à sa représentation parlementaire. Après quoi, il s’en est allé, mais conserve à vie le titre de lord, que seule la reine pourrait lui retirer.

Depuis l’affaire, le Sun mène campagne contre la Chambre des lords, suivi par de nombreux quotidiens de toutes sensibilités.  » A présent, débarrassons-nous-en ! « , a titré le Daily Mail, proche du Parti travailliste.  » Une chambre non élue caractérisée par un fonctionnement ésotérique et un âge moyen de 70 ans ne peut se permettre de se rappeler au bon souvenir de l’opinion uniquement quand l’un de ses membres est compromis dans un scandale « , a remarqué le Times, conservateur. Les journalistes ne sont pas les seuls à s’émouvoir :  » La Chambre des lords échappe à tout contrôle « , souligne Will Brett, analyste à l’Electoral Reform Society, une association qui milite pour une réforme constitutionnelle.  » Il est temps de mettre fin à la croissance incessante de la taille et du coût de notre Chambre haute « , ajoute-t-il.

 » La vérité, c’est que tout le monde s’en fiche un peu  »

Cinq mois et demi après le scandale, désormais connu sous le nom de  » lord Coke « , les Britanniques les mieux disposés comparent l’institution à une paisible maison de retraite – la seule du pays, sans doute, où du champagne millésimé est servi au bar, dont les fenêtres donnent sur la Tamise. Une centaine de pairs ont de 80 à 85 ans, 73 en ont plus de 85, et, en l’absence de limite d’âge et de durée du mandat, la plupart quittent la Chambre les pieds devant. Trop âgés pour accomplir les tâches d’un parlementaire digne de ce nom, les quelque 865 lords sont surtout trop nombreux. Aucune assemblée au monde ne compte tant de membres, à l’exception du Congrès du peuple, en Chine. A côté, les institutions comparables d’autres démocraties, comme la France (348 sénateurs), les Etats-Unis (100 sénateurs), l’Inde (245 membres), l’Australie (76 sénateurs) ou la Belgique (60 sénateurs) font pâle figure. Autre particularité de ce pays si fier d’avoir donné naissance à la  » mère des Parlements « , la Chambre des lords est une assemblée législative… non élue.

Une Chambre haute réduite en nombre et majoritairement élue figurait au programme de David Cameron, en 2010. Devenu Premier ministre, cependant, il a aggravé la situation à son tour. En août dernier, quelques mois après sa réélection, le 7 mai, il a nommé 45 nouveaux pairs : 26 membres du Parti conservateur, 8 travaillistes et 11 libéraux-démocrates (centristes). A côté d’ex-ministres et d’anciens députés condamnés dans le scandale des notes de frais, tel le conservateur Douglas Hogg, propriétaire d’un château dont les douves ont été nettoyées aux frais des contribuables. Or, chaque membre des Lords reçoit l’équivalent de 427 euros par jour de présence…  » Il y a des ministres qui prennent le titre et qu’on ne revoit plus jamais « , reconnaît lady Ruth Deech, ancienne avocate et universitaire.

Le maintien en l’état d’une institution si décriée nourrit le discours populiste et anti-establishment, largement répandu en Europe et porté au Royaume-Uni par le parti Ukip. Mais il contribue aussi au discrédit du Parlement de Londres, en général, et alimente la tentation séparatiste, qui s’est déjà imposée en Ecosse. Kirsty Blackman, membre du Scottish National Party (nationalistes écossais) et élue il y a peu à la Chambre des communes, voit dans le maintien des Lords  » une perte d’argent épouvantable « .

Pas certain, pour autant, que la transformation en profondeur de ce dinosaure institutionnel soit pour bientôt.  » Trop de députés membres de la Chambre des communes, en particulier parmi les conservateurs, espèrent finir leur carrière sur les confortables banquettes en cuir des Lords, souligne le constitutionnaliste Vernon Bogdanor. En principe, c’est vrai, les récents scandales auraient dû faciliter la réforme. Mais une éventuelle diminution du nombre de pairs pourrait donner davantage de pouvoir aux Lords, ce dont aucun gouvernement ne veut entendre parler. La vérité, c’est que tout le monde s’en fiche un peu. Les Britanniques ne s’intéressent guère aux rouages de l’Etat. En l’absence de Constitution écrite, ils sont moins attentifs aux questions de procédure qu’aux sujets de fond : santé, éducation, transport, économie.  »

Comme pour mieux mettre en garde l’exécutif contre toute velléité de réforme, les membres de la Chambre des lords semblent avoir pris un malin plaisir, le 18 novembre dernier, à rappeler à l’exécutif leur pouvoir de nuisance. Par 293 voix contre 211, ce soir-là, l’Assemblée a approuvé un amendement à la loi électorale abaissant de 18 à 16 ans l’âge minimal requis pour participer au référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Une décision qui pourrait retarder la tenue de la consultation, compromettant le calendrier souhaité par le Premier ministre. On comprend que les Britanniques s’intéressent surtout aux questions de fond !

De notre envoyé spécial, Marc Epstein

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