SANTÉ

Depuis le 1er juin, les médicaments génériques, moins coûteux que les originaux, entrent en force sur le marché. Objectifs : réaliser des économies. Tout bénéfice pour le patient? Explications d’un dossier aux enjeux considérables

Un nouveau film débute, aujourd’hui, dans nos pharmacies. Son acteur principal : le médicament. Mais l’histoire qui va se jouer, en direct, dans toutes les officines du pays, met en jeu d’énormes intérêts financiers. Et rien de tout cela n’est de la fiction…

Ce vendredi 1er juin, un nouveau système, appelé le remboursement de référence, s’appliquera à certains médicaments. Il devrait pousser les malades à accepter de se voir prescrire d’autres marques que celles auxquelles ils étaient habitués. En effet, à défaut, ils devront débourser davantage pour continuer leurs traitements traditionnels. Mais tout cela, c’est pour leur bien et celui de toute la collectivité, assurent les ministres de la Santé et des Affaires sociales. En effet, les économies que devrait réaliser l’Inami – plus de 1 milliard de francs la première année? – sont destinées à rembourser, enfin, des médicaments novateurs (et, en général, plutôt chers). Voici les coulisses d’un véritable western qui consacre officiellement l’arrivée et la promotion d’une race à part de médicaments : les génériques.

Une saga historique

Lorsqu’une firme pharmaceutique découvre une nouvelle molécule, elle dépose un brevet : cela lui donne un délai de vingt ans pour mettre au point un médicament, assurer toutes les recherches et les tests qui accompagnent sa naissance, demander sa mise sur le marché, puis bénéficier, enfin, de sa commercialisation. Au bout de cette période, le couperet tombe : le produit peut désormais être copié par n’importe quelle autre firme. Il sera alors désigné sous le nom de médicament générique ou, plus simplement, de générique, imitation d’une substance non couverte par un brevet. Libéré du poids (financier) lié aux recherches et à la mise au point du médicament, les génériques sont vendus à moindre coût. D’ailleurs, la loi impose qu’ils soient au minimum 16 % moins chers que les originaux. Le 1er mai dernier, il existait dans notre pays une alternative générique pour 72 molécules originales. Les « génériqueurs » proposaient 206 produits (certaines substances sont imitées par plusieurs fabricants) sur les 11 927 enregistrés en Belgique.

Le simple mot « générique » est pain bénit pour tout ministre des Affaires sociales. En effet, si un médicament est vendu moins cher à sa sortie d’usine, il coûte également moins cher en remboursement à la sécurité sociale… Seulement voilà, présents sur le marché belge depuis une vingtaine d’années, jusqu’à présent, les génériques ne « marchent » pas : ils représentent environ 1 % de parts de marché alors que, dans d’autres pays (Allemagne, Danemark…) ils sont largement répandus.

L’arrivée des cow-boys

« La loi nous oblige à mettre sur le marché des génériques de même qualité que les originaux, explique Léon Van Rompay, de la Belgian Generic Association. Il n’y a aucune raison de ne pas faire bénéficier les patients de ces substances à la fois efficaces et moins chères. Cela est d’autant plus urgent qu’actuellement, faute d’argent, certains malades n’achètent même pas tous les produits prescrits par leur médecin! La raison d’être des génériques, c’est de proposer de bons médicaments accessibles à toutes les familles. » Cela dit, les « génériqueurs » ne sont pas uniquement guidés par un souci de santé publique. Ils tiennent, eux aussi, à réaliser des bénéfices. Et ce n’est pas un hasard s’ils dupliquent essentiellement les médicaments originaux qui se vendent bien. Tant pis pour les personnes souffrant de maladies moins « rentables »…

Face au déficit chronique du budget de l’Inami, la promotion de génériques n’est sans doute pas la panacée. Mais elle constitue l’une des voies retenues par le gouvernement pour tenter de dégager des fonds qui serviront à rembourser des molécules innovantes. A partir de ce 1er juin, dès qu’un médicament est disponible sous forme de générique, c’est sur la base de celui-ci que sera fixé le remboursement: toutes les personnes qui souhaiteront garder des médicaments originaux alors qu’il existe un générique paieront la différence entre la molécule originale et le générique (16 % de plus de ticket modérateur). Certains médicaments coûteront donc moins cher. Et d’autres davantage…

L’avis des shérifs

Sans surprise, le remboursement de référence hérisse l’industrie du médicament. « Sans l’industrie pharmaceutique, la recherche s’arrête, rappelle Paul De Souter, président de l’Agim (Association générale de l’industrie du médicament). Sur 100 molécules testées et enregistrées, 23 seulement deviendront un produit pharmaceutique. Or les bénéfices réalisés par les molécules originales nous permettent de poursuivre nos autres recherches, essentielles pour les traitements d’avenir. Promouvoir les génériques plutôt que l’innovation, comme le fait le gouvernement, nous paraît donc relever d’une vue à court terme. De surcroît, toutes les mesures actuelles s’apparentent à une concurrence déloyale. Pourtant, souligne-t-il, l’industrie fait en permanence des efforts. Elle vient ainsi de s’engager à rembourser les éventuels dépassements de son enveloppe budgétaire. »

Le générique risque-t-il vraiment d’entraver l’innovation et la recherche? « Les années de brevet permettent bien largement aux firmes de couvrir leurs frais (et de rémunérer leurs actionnaires!) », glissent quelques spécialistes du secteur. « En réalité, affirme même Léon Van Rompay, les génériques sont un aiguillon pour la recherche : les firmes savent qu’elles doivent rentabiliser leurs produits durant un nombre déterminé d’années et qu’il leur faut absolument trouver d’autres molécules pour assurer l’avenir. C’est exactement ce qui se passe aux Etats-Unis où le marché des génériques est très développé, tout comme la recherche. » Pourtant, la Belgique et les Etats-Unis ne peuvent pas forcément être comparés. En effet, rappelle Paul De Souter, dans notre pays, les industriels font, eux, un effort pour que les prix des médicaments innovants ne soient pas excessifs. De plus, avant d’être enregistré en Belgique et mis sur le marché, un nouveau médicament attend environ 595 jours. Ce délai excessif – selon une directive européenne, il ne devrait pas dépasser 180 jours – prive les firmes de la possibilité de « profiter » pleinement des produits avant la fin des brevets. Il n’est pas inutile non plus de rappeler que nombre de multinationales du médicament ont elles-mêmes des filiales ou des intérêts dans la production de médicaments génériques. En bonne logique commerciale.

Un duel au soleil

« Il y a quelques années, les 3 500 délégués des firmes pharmaceutiques ont tous débarqué chez les médecins en jetant l’anathème sur les génériques, qualifiés à l’époque de produits blancs, avec tout ce que cela comportait de discrédit et de connotation négative. Certes, nos médicaments ne sont pas strictement identiques aux originaux. Mais, même pour ces derniers, il arrive que des lots d’une même substance ne soient pas similaires en sortant de l’usine, glisse Léon Van Rompay. De plus, rappelle-t-il avec force, la loi nous oblige à fournir des génériques fiables et de qualité. A défaut, ils seraient retirés du marché. »

« La procédure d’enregistrement des génériques est loin de ressembler à celle des originaux, rétorque-t-on à l’Agim. Certes, ces médicaments sont censés avoir la même équivalence thérapeutique (c’est-à-dire que le produit doit exercer un effet identique à l’original). Mais cela ne signifie pas qu’ils sont identiques et de même qualité. Ils peuvent contenir des éléments différents et même leur principe actif n’est pas toujours le même. De plus, on ne leur demande pas à chaque fois de prouver leur bioéquivalence (c’est-à-dire un contrôle destiné à démontrer qu’il n’existe pas de différence significative dans la vitesse à laquelle le produit actif devient disponible sur son site d’action et en même quantité que l’original). »

« La Food and Drug Administration américaine, dont on ne peut nier la sévérité, ne réclame pas non plus de contrôle de bioéquivalence pour tous les génériques, tempère le Pr Roger Verbeeck, président de l’Ecole de pharmacie de l’UCL et expert externe auprès de la Commission des médicaments. Une liste établie en Allemagne par des experts nous sert de référence en matière de bioéquivalence et la plupart des génériques subissent bel et bien ce contrôle dans notre pays. »

Seulement voilà: actuellement, comme dans les autres pays, lorsque des tests sont réalisés, on accepte des résultats présentant une différence de plus ou moins 20 % avec l’original. Or, selon des spécialistes, cette variation devrait être moins importante, du moins pour certains types de génériques. Une récente étude publiée dans l’ American Journal of Cardiology montre ainsi que, pour des problèmes d’arythmie cardiaque, une telle différence entre l’original et le générique met en cause leur équivalence thérapeutique. « Pour certains médicaments où il existe un seuil thérapeutique et un seuil toxique très proches, certains experts considèrent qu’il ne faudrait admettre que des déviations de 10 % », explique le Pr Verbeeck. D’autre part, certains génériques enregistrés en Belgique dans les années 70 ou 80, alors que les normes étaient moins sévères qu’actuellement, pourraient aussi poser problème. Le Pr Jean Nève, professeur de chimie thérapeutique à l’ULB et membre de la Commission de transparence, estime ainsi que « des génériques de formes pharmaceutiques particulières, par exemple les formes à libération prolongée, sont également à risque. Il s’agit d’être vigilant lors de l’administration de génériques à des patients épileptiques, à des personnes âgées, à des patients allergiques à certains excipients »(1).

« Cela dit, il n’y a pas de raisons particulières de penser que l’immense majorité des génériques, et en particulier ceux enregistrés toutes ces dernières années, avec des normes plus strictes, posent problème. Or cela concerne plus de 80 % de ces médicaments », rassure le Pr Verbeeck.

Bref, entre les interlocuteurs qui assurent que les génériques sont tous parfaits (c’est, grosso modo, la position des ministères concernés), ceux qui noircissent la situation ou extrapolent les doutes existants pour jeter le discrédit sur tous ces produits et ceux qui, simplement, réclament de la prudence et des contrôles accrus, les médecins et les malades n’ont plus qu’à essayer de s’y retrouver…

La charge de la cavalerie

« Soyons clairs : notre information de base sur les génériques est largement insuffisante. Actuellement, quand nous en prescrivons, nous ignorons si nous donnons, à chaque fois, exactement la même chose. Vu la vitesse d’apparition des génériques sur le marché des médicaments, nous ne savons plus qui fait quoi et sous quelle forme. La guerre des prix est telle qu’il est aussi impossible de savoir quelle firme propose le moins cher. Pourtant, nous sommes censés les prescrire massivement dès le 1er juin », s’étonne le Dr Alain Steygers, président de la Fédération des associations des généralistes bruxellois. Cinq jours avant l’entrée en vigueur du nouveau système, les généralistes n’avaient toujours pas reçu la liste des médicaments soumis au remboursement : s’il souhaite recueillir l’adhésion des médecins, c’est un bien mauvais point pour le gouvernement.

Les praticiens se sentent en fait presque « obligés » de prescrire des génériques, sous peine de voir désormais leurs patients mis à l’amende. Certes, les docteurs ne sont pas de mauvais citoyens et ils n’ont rien, a priori, contre l’idée de faire réaliser des économies à la sécurité sociale. Certains médecins n’ont d’ailleurs pas attendu l’actuelle « promotion gouvernementale » pour prescrire, depuis plusieurs années déjà, des génériques. Mais d’autres avouent faire davantage confiance pour le moment, en tout cas, à l’industrie pharmaceutique classique et à ses produits qu’à tous les « génériqueurs » (pourtant, de 8 à 10 % des génériques sont fabriqués par cette industrie « classique »).

Nombre de praticiens déplorent aussi de ne pouvoir bénéficier d’une information vraiment objective, réalisée par un organisme indépendant. Ils s’interrogent également sur leurs responsabilités en cas de problème avec un générique. De plus, la plupart n’apprécient guère de se voir dicter leurs prescriptions par des patients « informés » via leurs mutuelles, par exemple, des bienfaits des génériques…

Pour éviter tout souci, certains médecins envisageraient dès lors de ne plus prescrire de médicament « généricable ». Ils opteraient systématiquement pour des originaux, encore sous brevet. Même s’ils coûtent souvent plus chers. Adieu, alors, les économies espérées par le ministre des Affaires sociales! Mais adieu, aussi, le remboursement plus rapide de nouvelles molécules dont ont besoin les malades!

Quant aux pharmaciens, plutôt rassurants sur la qualité et la sécurité des génériques vendus dans notre pays, ils n’accueillent pas forcément de bonne grâce cette masse de nouveaux produits qu’ils devront connaître, gérer et stocker. Petite consolation: contrairement aux médecins, ils disposent, eux, depuis la mi-mai, d’un guide complet de ces substances publié par l’Association pharmaceutique belge. De quoi leur permettre de s’y retrouver et de modifier tous leurs programmes informatiques pour y intégrer les nouvelles valses de prix.

Mais, au-delà d’un surcroît de travail, les pharmaciens craignent, surtout, un retour de bâton financier. D’ici quelque temps, lorsqu’il s’agira, encore et toujours, de faire des économies, ne s’interrogera-t-on pas sur leurs marges bénéficiaires (29,24% avec un gain maximum de 300 francs par substance), identiques pour les originaux et les génériques? Face aux prix très bas de certains génériques, cette marge ne semblera-t-elle pas quelque peu excessive?

De plus, « nous allons sans doute nous retrouver entre le marteau et l’enclume, obligés d’expliquer aux clients que leur médecin leur a parfois prescrit un produit qui va leur coûter plus cher qu’avant », déplore aussi Bernard Bailleux, vice-président de l’APB. De manière générale, certains pharmaciens soulignent donc que, pour s’y retrouver, la solution la plus simple serait que les médecins prescrivent la molécule choisie pour traiter le malade, plutôt qu’un médicament d’une marque spécifique. A charge pour celui dont le métier est de connaître le médicament de fournir celui dont il dispose dans son officine. Mais cela, nombre de médecins sont loin de vouloir en entendre parler. Tout comme ils s’opposent farouchement à l’idée que les pharmaciens pourraient, d’autorité, remplacer le médicament prescrit par un autre, moins cher (on parle alors de substitution)…

Une happy end?

Le système du remboursement de référence permettra-t-il vraiment d’imposer les génériques, de les faire entrer dans les moeurs et, surtout, de réaliser des économies? « Développer l’éducation à la santé dans la population, faire réfléchir à la surconsommation, apprendre aux praticiens à mieux prescrire ou à moins prescrire sans agir contre l’intérêt des patients serait porteur de bien davantage d’économies », remarque le Dr Alain Steygers. En attendant, pour faucher l’herbe sous le pied aux génériques, certaines firmes pharmaceutiques viennent de baisser de 16 % les prix de certains médicaments qui n’étaient plus couverts par un brevet. C’est déjà ça de gagné. Même si, rappelle le Pr Verbeeck, « en réalité, les génériques ne prendront vraiment leur intérêt que s’ils sont massivement vendus à… 50 % du prix de l’original ». De belles économies en perspective?

(1) Publication de l’Agim.

Pascale Gruber

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