Sans l’euro, c’est le drame ?

Et si le pays abandonnait la monnaie unique… L’hypothèse est évoquée de plus en plus ouvertement par les dirigeants européens. Mais aussi à Athènes, où la résistance de la population à l’austérité atteint aujourd’hui ses limites.

Voilà quelques mois encore, les rares énergumènes qui évoquaient la sortie d’un Etat de la zone euro passaient pour de doux illuminés, à mi-chemin des ufologues (spécialistes des ovnis) et des prédicateurs de l’Apocalypse. Désormais, l’hypothèse d’un retour à la drachme de la Grèce est sur toutes les lèvres. Le scénario affole les déposants grecs, qui retirent massivement leurs avoirs des banques (700 millions d’euros pour la seule journée du 14 mai), inquiète les agences de notation (Fitch a encore récemment abaissé d’un cran la note de la dette grecque, désormais évaluée CCC) et hystérise les marchés, qui craignent un effet de contagion impossible à maîtriser.

L’hypothèse pourrait en revanche bien mettre d’accord Allemands et Grecs, qui se renvoient depuis des mois des accusations, de laxisme pour les uns, de rigidité pour les autres. Après le séisme politique du 6 mai – aucune majorité ne s’est dégagée au Parlement hellénique du fait de la poussée des extrêmes -, le nouveau vote du 17 juin, à Athènes, est attendu avec anxiété. Pour beaucoup, le scénario du  » Grexit  » est désormais le plus probable. Et si la Grèce quittait la zone euro ? Le tabou est désormais tombéà

Pour certains, l’Argentine fait figure de modèle

Pour preuve, la Commission européenne a déjà lancé des  » plans de contingence « , sortes de stress tests destinés à examiner les conséquences de quatre scénarios extrêmes, mais désormais plausibles : un défaut grec ; un arrêt du financement du pays par le FMI ; un retrait de certains pays du mémorandum signé entre Athènes et ses créanciers publics ; enfin, le retrait de grandes banques internationales.

Certains, à Athènes, économistes, intellectuels, certes encore minoritaires, envisagent déjà l’étape suivante : la sortie du pays de la zone euro. Un moindre mal, selon eux. Elle aurait au moins pour vertu, pensent-ils, de rendre au pays sa souveraineté en matière économique. Elle permettrait également une dévaluation de l’ordre de 50 %, qui rendrait les exportations plus compétitives et ferait affluer des touristes en provenance de pays à monnaie plus forte (euro, dollar). Ils jugent enfin que le principal risque – la sortie de capitaux de la part de résidents grecs souhaitant garder leurs euros pour ne pas voir fondre leur patrimoine – s’est en fait déjà en grande partie matérialisé. Pour ceux-là, l’Argentine, qui, en 2001, avait fait défaut avant de dévaluer le peso de 70 %, fait figure de modèle.

Autant de calculs à courte vue, selon Patrick Artus, directeur des études économiques chez Natixis.  » S’ils dévaluent de moitié, cela signifie que le coût de leur dette, qui est aujourd’hui de 250 milliards d’euros, doublerait, rappelle-t-il. Par ailleurs, une dévaluation ne serait pas spécialement intéressante pour un pays qui, comme la Grèce, dispose d’une industrie de très petite taille.  » Et donc de faibles marges d’amélioration pour ses exportations, qui s’élèvent aujourd’hui à 45 milliards d’euros, contre 65 milliards pour les importations.

La Grèce n’a de toute façon plus grand-chose à perdre

Un point de vue partagé par Stéphane Déo, économiste chez UBS, pour qui un retour à la drachme pourrait se révéler catastrophique.  » Cela signifierait une faillite instantanée pour les banques grecques, avec de graves conséquences pour l’économie tout entière « , estime-t-il.

Pour d’autres experts, américains notamment, ce ne serait pas forcément aussi dramatique. Ainsi du Prix Nobel Paul Krugman, qui, depuis des mois, alerte sur le  » suicide européen  » lié à l’hyperaustérité et à sa généralisation à l’échelle du continent.  » Il est vrai que la Grèce n’exporte pas beaucoup de biens, écrit-il dans son blog. Mais elle exporte beaucoup de services – transport maritime, tourisme. [à] Ceci ne suffit pas à prédire que tout sera parfait, mais laisse penser que le pessimisme à propos de la Grèce, une fois le trouble [de la sortie de l’euro] passé, est peut-être exagéré.  » Nouriel Roubini, le fameux oracle qui avait prédit la crise des subprimes, va plus loin : pour lui, la Grèce, à laquelle l’Allemagne  » impose en quelques mois ce qu’elle-même a réalisé en dix ans « , n’a de toute façon plus grand-chose à perdre.  » La sortie de la zone euro est la seule voie qui reste, estime-t-il. La compétitivité et la croissance seraient rapidement rétablies par un retour à la monnaie nationale, accompagné d’une forte dévaluation. « 

Un risque de bank run en Espagne et au Portugal

Tout dépendra, bien sûr, de la manière dont se fait la sortie – si sortie il doit y avoir. Pour Roubini, la seule solution serait d' » instaurer un processus ordonné de sortie de zone et de défaut de paiement, coordonné et financé par la Banque centrale européenne, l’Union européenne et le Fonds monétaire international, et qui réduira au minimum les dégâts collatéraux pour la Grèce et le reste de la zone euro « . L’économiste Jacques Sapir, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Paris), préconise, lui, pour éviter la panique et renflouer les banques, que le gouvernement fasse imprimer des euros locaux par la banque centrale grecque.  » Cela permettrait à Athènes de racheter sa dette, et de faire défaut tout en continuant à se financer.  » Le pays devrait sûrement aussi, durant une certaine période, rétablir un contrôle des capitaux afin d’éviter que la fuite de devises ne se transforme en totale débandade.

En cas de sortie, rien ne garantit cependant que les dirigeants grecs sauront faire les bons choix pour éviter une catastrophe généralisée, puis remettre leur économie sur de bons rails. Peut-il y avoir un gain à moyen terme pour l’économie locale ?  » C’est quasi impossible à prévoir « , lâche Bruno Cavalier, chef économiste chez Oddo Securities. Une chose est sûre : l’Europe a au moins autant à perdre qu’Athènes dans l’opération.  » La Grèce, dans ce cas, ferait évidemment défaut, rappelle Patrick Artus, ce qui signifie un coût d’au moins 40 milliards d’euros pour la France et 60 milliards pour l’Allemagne.  » Sans compter les pertes des banques et les risques de bank run en Espagne et au Portugal que pourrait entraîner le précédent d’un pays quittant la zone euro (voir l’encadré ci-dessous).

 » La tentation, de la part de l’Allemagne, de pousser la Grèce dehors ne correspond pas à une décision rationnelle, poursuit Artus. Il y a beaucoup plus intelligent à faire.  » Comme, par exemple, accepter de rééchelonner et d’effacer une partie de la dette grecque. Un nouveau sacrifice, certes, mais beaucoup moins dispendieux et incertain que la terra incognita du retour à la drachme.  » Le coût d’une solution de type Club de Paris [renégociation et rééchelonnement de la dette] pourrait être au final de l’ordre de 60 milliards, estime Stéphane Déo. Pas négligeable, donc, mais encore absorbable pour la zone euro. « 

Acropolis Now ? Au fond, la demande exprimée dans les urnes par les Grecs est limpide : rester dans la zone euro, mais pas dans ces conditions qui les ont fait reculer d’une génération en quelques mois. Il aura fallu un temps infini aux dirigeants européens, de gauche comme de droite, pour ne plus se contenter de suivre le panache blanc de Berlin. Et pour se déprendre de la trouble fascination exercée par sa chancelière à poigne. Le charme est aujourd’hui rompu. Il leur revient désormais de proposer une alternative à l’Europe en général, et aux pays du Sud en particulier. Sans quoi rien ne pourra empêcher ces derniers de regarder ailleurs. Et, s’agissant des Grecs, d’adopter une position héroïque et potentiellement suicidaire, dans la grande tradition balkanique. Nul ne pourra alors le leur reprocher.

Benjamin Masse-Stamberger

 » Parmi l’étendue des multiples possibilités, [la sortie de la Grèce] est l’une de celles que nous devons envisager. »

 » Si les accords ne sont pas respectés, les conditions ne sont pas réunies pour continuer avec un pays qui n’honore pas ses engagements. « 

 » Nous voulons que la Grèce reste dans la zone euro. Mais elle doit aussi le vouloir et remplir ses devoirs. Nous ne pouvons forcer personne. « 

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