Salles de fitness TOUS DOPÉS ?

Le dopage envahit aussi le sport amateur. C’est ce que révèle le rapport 2012 de la Cellule multidisciplinaire hormones que Le Vif/L’Express a pu consulter. Un fléau qui concerne surtout les salles de fitness, où sévit une véritable mafia. Enquête.

Dès leur première prise, les mecs se transforment.  » Mélanie, 35 ans, coach dans un centre de fitness du Hainaut, ne mâche pas ses mots :  » Ils deviennent agressifs, prennent du volume, te draguent lourdement. On dirait des animaux. Souvent, ce ne sont pas de vrais sportifs. C’est juste pour la frime.  » Dans la salle de sport où la coach travaille, comme dans bien d’autres, les produits dopants sont légion et bien plus accessibles qu’il n’y paraît. Leurs noms : éphédrine, clenbutérol (que l’on donne également aux chevaux) et surtout les anabolisants, ces hormones mâles qui décuplent la masse et la force musculaires.  » Le patron de la salle, qui est aussi coach et préparateur physique, fait importer les produits des Etats-Unis et les revend au black au sein de son établissement, poursuit Mélanie. Des nanas à qui je donne cours me demandent souvent des produits pour faire fondre les graisses.  »

Et ce genre de trafic illégal n’a rien d’un cas isolé dans l’univers du sport amateur. En atteste le rapport 2012 de la Cellule multidisciplinaire hormones (qui regroupe notamment la police judiciaire fédérale et l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire, l’Afsca) : sur les 102 contrôles effectués en salles l’an dernier, 28 étaient positifs, principalement aux anabolisants. Soit près d’un sur trois.

 » Il faut préciser que ces contrôles se sont déroulés sur la base d’indications, précise Jan Van den Boeynants, détective superintendant, directeur de la Cellule hormones et dopage de la police fédérale. Mais nous les avons réalisés à des heures où les pros ne vont pas. Ces gens contrôlés n’étaient pas des gros costauds. Nous avions bien affaire à Monsieur Tout-le-monde.  » Francis Clarysse, magistrat gantois, coordinateur de la Cellule multidisciplinaire hormones, le confirme :  » Il y a un véritable problème de dopage chez les sportifs amateurs. Or ils sont beaucoup moins suspectés et contrôlés que les athlètes de haut niveau.  »

Jean-Christophe Van Gyseghem en sait quelque chose. Cet ancien athlète, dont la carrière s’est arrêtée pour cause de dopage, tient un magasin de compléments alimentaires dans le centre de Bruxelles. Tous les jours, des clients lui demandent des produits illégaux, comme des anabolisants. Mais il dit ne rien vendre sous le comptoir.  » Beaucoup sont des gamins genre sportifs de plage, explique-t-il. Ils recherchent le paraître plus que la performance. Le piège de ces salles de fitness, c’est que les gars se matent dans le miroir pendant leurs exercices : eux-mêmes mais surtout le mec à côté. Tout autour, il y a tous ces coaches qui en rajoutent :  » Tiens, tu pourrais augmenter encore ta musculature là, etc. Et c’est parti…  »

Dans une société individualiste où le culte du corps et de la compétition dominent, les salles de fitness attirent un public toujours plus nombreux. Un marché en or pour les coaches en tous genres et autres nouveaux maîtres du wellness. Selon Francis Clarysse et Jan Van den Boeynants, c’est un fait :  » On peut clairement parler de mafia des hormones dans les salles de fitness  » (lire encadré ci-dessous).

Un business bien rôdé

Frédéric, la petite trentaine, a été approché par un coach en s’inscrivant dans une salle de fitness. A l’origine, cet agent publicitaire voulait juste perdre un peu de ventre.  » En prenant mon abonnement, j’avais droit à quelques séances de coaching gratuites. J’ai donc rencontré un coach, qui m’a très vite dit que si je voulais « prendre de la masse », je pouvais me rendre dans un magasin à Woluwe-Saint-Lambert, explique Frédéric. Pourtant, je ne lui avais rien demandé ! Il m’a même proposé des gélules censées remplacer le repas du soir, pour tester, en ajoutant qu’il ne fallait pas que j’en parle car on lui avait interdit de faire ça dans la salle.  »

Nous nous rendons dans la boutique de Woluwe, où l’on nous propose des compléments hyper protéinés.  » Enormément de gens viennent des salles de sport pour acheter nos produits « , explique une vendeuse. Rien d’illégal visiblement ici. Mais le business semble bien rodé.

Beaucoup moins contrôlées que les médicaments, ces pilules circulent hors du cadre légal. Résultat : on en ignore parfois le contenu, qui ne correspond pas toujours à l’étiquetage.

Quant aux amateurs qui prennent délibérément des produits dopants, selon Jean-Christophe, certains le font pour devenir  » pro « , pour franchir ce petit pas qui les fera monter de catégorie. Roger, ancien champion de boxe, confirme :  » Si tu es amateur, mais que tu veux être repéré, faire des combats, avoir des cachets, tu dois en prendre, tu n’as pas le choix.  » Mélanie, elle, refuse de franchir le cap du dopage.  » Je me présente régulièrement à des compétitions de bodybuilding. Les filles se piquent dans les vestiaires, devant moi. Moi je ne prends rien. Du coup, je ne gagne pas.  »

Cancer et problèmes de fertilité

Consommer des anabolisants ou autres substances pour améliorer ses performances n’est bien sûr pas sans risque. Jean-Christophe s’est lui-même dopé lorsqu’il visait le niveau espoir international. Il connaît les dégâts de ces produits.  » Cela a l’air con de dire ça mais j’en ai vraiment pris « à l’insu de mon plein gré » : mon entraîneur, c’était mon médecin qui était aussi un peu comme mon père, explique-t-il. Il m’a dit que j’avais un manque de fer, alors j’ai pris des cachets de fer. Puis, il m’a dit que j’avais un problème pour fixer le fer, alors il m’a fait des injections en intramusculaire. Le résultat fut monstrueux : mes performances ont décuplé. Je croyais être réellement devenu fabuleux.  » Après son contrôle positif, Jean-Christophe a été contraint d’arrêter la compétition.  » J’ai fait une grosse dépression et j’ai perdu beaucoup de poids. J’étais complexé, alors j’ai pris des anabolisants. J’ai eu un cancer des testicules et des difficultés à avoir mes enfants. Aujourd’hui, à 48 ans, mes dents se déchaussent.  »

Problèmes de peau, cancers, insuffisance rénale, maladies cardiovasculaires (voir l’interview en p. 60)… La liste des effets néfastes est longue. Sans parler des conséquences psychologiques de ces bouleversements hormonaux.  » Là où je bosse, il y a eu deux suicides, expose Mélanie. L’un d’eux était un gars de 35 ans. Il prenait de la testo mais ne gonflait pas assez vite, il n’arrivait pas à prendre autant de volume qu’il aurait voulu. Il s’est pendu.  »

Le dopage a aussi ses conséquences en dehors du sport.  » Les anabolisants apparaissent lors de nombreuses enquêtes qui n’ont rien à voir, comme des faits de violence conjugale par exemple, souligne Jan Van den Boeynants. Ces produits rendent plus fort, sûr de soi, endurant, violent, et ils désinhibent.  » Triste exemple illustrant ce phénomène : l’affaire Pistorius, cet athlète sud-africain amputé des deux jambes suspecté d’avoir assassiné sa compagne le jour de la Saint-Valentin 2013.

Malgré tous ces risques, les contrôles dans les salles de fitness restent marginaux.  » On contrôle plus les bovins !  » souligne un policier fédéral. A la Fédération Wallonie-Bruxelles, la lutte contre le dopage est gérée par le ministre des Sports, André Antoine (CDH) et non de la Santé, comme c’était le cas au début des années 2000. C’est ce qui explique que 70 % des contrôles s’effectuent chez les professionnels et non chez les amateurs.

Cette situation illustre la difficulté pour les politiques d’aborder le dopage.  » Doit-on considérer le dopé comme un tricheur, un délinquant ou un drogué ?  » interrogeait le sociologue français Jean-Pierre Escriva, au cours d’un colloque organisé à Bruxelles par la Liaison antiprohibitionniste en septembre 2011.

Cyclisme et sports de combat !

En 2012, sur 974 contrôles effectués par la Cellule Antidopage à Bruxelles et en Wallonie, 30 ont été considérés comme  » anormaux « .  » Attention, résultat anormal ne veut pas encore dire positif, précise Anne Daloze, médecin responsable de la Cellule Antidopage de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les conclusions émaneront aussi de la défense du sportif.  » La priorité de ces autorités : le cyclisme et les sports de combat.

Les cas positifs signalés dans le rapport 2012 de la Cellule multidisciplinaire hormones émanent tous de clients de salles de fitness situées en Flandre, la seule Région où les contrôles ont été effectués. Mais cela devrait changer. Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles vient d’approuver un décret relatif à un label dans les salles de fitness. Son obtention sera liée à des garanties concernant les compétences du gérant et du personnel ou encore à l’hygiène et à la sécurité des lieux. Le texte aborde aussi la consommation de compléments alimentaires et de produits dopants. En cas de dopage avéré dans le chef du sportif, les exploitants des salles de fitness devront s’engager à suspendre son contrat d’abonnement.

 » La liste des salles labellisées sera publiée sur le site de l’Adeps, explique-t-on au cabinet du ministre des Sports, André Antoine. Des contrôles seront organisés et le label sera retiré aux lieux qui ne respectent pas leurs obligations.  » Ce label sera d’application en septembre 2013.  » Sans doute un peu tard : il sera difficile d’enrayer un système en place depuis tellement longtemps « , déplore Mélanie.

DOSSIER RÉALISÉ PAR CHLOÉ ANDRIES ET ANNE-CÉCILE HUWART

On contrôle plus les bovins !

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