Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d'observation. Et un tiers de réalité.

Saint Nicolas de Motordu et la princesse Delphine

Où il est question de Delphine Boël, d’une fantômette avide de contes, d’une serveuse moustachue et d’un gars avec une grosse mite sur la tête, patron des prostituées.

Comme chaque année, saint Nicolas arrivera d’Espagne, sur un gros gâteau à vapeur, après être passé sous les fourches de Claudine (1). Penchée sur son verre de whisky and soda, avec cet étincelant regard de biais qui observe toujours le monde avec malice, tripotant sa moustache, Goliarda, la serveuse, maquillée jusqu’au bout de son porte-cigarette, marque une pause.

– Et sinon, tu vas la garder longtemps, ta moustache, Goliarda ? Moi, elle me fait peur.

– Ecoute, Daisy, tu sais quand même bien que je suis une femme ?

– Oui.

– Bon. Eh bien, les femmes, ça rase pas gratis ! Tant qu’il n’y aura pas d’égalité salariale entre les femmes et les hommes, je la porterai, cette moustache, en forme de protestation. Se moque-t-on de la barbabapa de saint Nicolas ? Non. Eh bien voilà (2).

– Il porte une barbapapa, saint Nicolas ?

– Une blanche, au goût de massepain, oui.

– Et sinon, il vit où ?

Enivrée par l’odeur de l’hiver – cannelle, orange et chocolat – la petite Daisy, la fillette fantôme du Geyser, ressemble à un pompon à qui il aurait poussé des ailes.

– Saint Nicolas habite dans un joli papillon de banlieue, de l’autre côté du périnée. Quand il ne prend pas son gros gâteau, il conduit une voiture de source. Dès qu’il arrive en Belgique, il la débarque et il va s’amuser, du côté de Spa-Francorchamps, sous la pluie.

Elle rêve tellement, Daisy, en entendant tout ça, qu’elle ne bouge plus. Elle écoute, sans moufter.

– Tous les matins, saint Nicolas prend un bain perdu. Et sur la tête, il porte une grosse mite. C’est surtout à ça qu’on le reconnaît. Toutes les nuits, il se promène sur les toits des saisons, sur son cheval blanc, accompagné de Zwarte Piet qui porte sur l’épaule un grand bac de jupes.

– Un bac de jupes ?

– Eh bien oui : pour les offrir aux prostituées. C’est aussi leur patron, quand même ! Mais je crains qu’elles ne reçoivent pas grand-chose, cette année : leurs carrées vont être interdites.

– Elles auront quoi, à la place ?

– Rien. Un cercle. Vicieux (3).

Alors, une petite voix féminine, inquiète, celle de Delphine Boël, s’éleva d’un coin du café :  » Il n’y aurait pas aussi, par hasard, une affaire de princesse lésée, dans votre conte de faits ?  »

Mais c’est pas tout ça ! L’heure tourne. Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer, sur la Une, à 20h15…

(1) C’est à la fin des années 1970 que le Prince de Motordu prend forme. En octobre dernier, Pef, ce  » tordeur de mots « , a sorti un nouveau livre, destinés aux enfants de #MeToo : La Toute Petite Femme et le grand géant, dans lequel il défend les droits des femmes.

(2) Les femmes gagnent en moyenne 500 euros brut en moins par mois que les hommes. Un écart qui se creuse, pour atteindre une différence de 20 % à 60 ans. En gros, chaque année, pendant deux mois, les femmes ne sont pas payées.

(3) Début 2019, 80 vitrines de prostitution seront fermées, à Saint-Josse (Bruxelles), laissant 150 femmes à la rue.

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