Rudy Demotte est-il brûlé ?

Le ministre-président wallon reste populaire, mais il peine à imposer son leadership au gouvernement régional et paraît affaibli à l’intérieur du Parti socialiste. Devenir bourgmestre de Tournai en octobre sera pour lui un défi capital.

Qu’est-il arrivé à Rudy Demotte ? Il y a peu, ce social-démocrate policé, issu de la lointaine Wallonie picarde, figurait parmi les valeurs montantes de la politique belge. Son profil d’incorruptible lui avait valu d’être propulsé en 2007 à la direction du gouvernement wallon. Après les scandales carolos, l’homme devait incarner la Wallonie nouvelle, efficace, propre sur elle. En un mot : irréprochable.

Avant cela, son action comme ministre fédéral de la Santé, de 2003 à 2007, avait frappé les esprits. Au point de devenir, aux yeux de la Flandre,  » l’homme qui a sauvé la sécurité sociale « . Ni plus, ni moins. Subtil, mais résolu, Demotte n’a pas craint de défier les lobbys de l’industrie pharmaceutique. Un temps, le peuple socialiste a vu en lui le porte-drapeau d’une gauche pragmatique, mais combative. Un homme apte au compromis, mais sans renoncement.

Depuis, la comète Demotte a pâli. L’élan s’est brisé.  » Rudy est un homme de valeur, mais on a le sentiment qu’il s’est éteint, observe un parlementaire socialiste. Il est devenu insipide, sans qu’on sache bien pourquoi.  » Le député wallon Hugues Bayet (PS) prolonge le constat :  » Moi, je ne pense pas qu’il a perdu en efficacité. Ce qu’il fait, il le fait bien. Avec la crise, aucun gouvernement n’est aujourd’hui facile à gérer. Mais je reconnais que beaucoup de gens me disent : Rudy n’a plus le feu sacré, il a moins de leadership qu’avant. « 

1. LE SOCIALISTE

Fragilisé au sein de son parti ?

C’est la matrice de toutes ses difficultés : Rudy Demotte semble affaibli au sein du PS. Longtemps, il a pourtant fait figure de favori dans la course à la présidence, en cas de départ d’Elio Di Rupo. Aujourd’hui, la vox populi évoque Laurette Onkelinx, Paul Magnette, voire André Flahaut ou Willy Demeyer. Mais plus jamais Demotte.

Pour comprendre, il faut remonter au printemps 2009. Dans la foulée de l’affaire Donfut, ce ministre wallon dont les activités de consultance rapportent gros, le PS est à nouveau sous le feu des critiques. Beaucoup imaginent que le parti va mordre la poussière aux élections régionales, certains entrevoient la démission d’Elio Di Rupo. Il n’en sera rien. Contre toute attente, les socialistes réalisent un bon résultat le 13 juin. Mais très vite, un bruit court : Demotte aurait fomenté un putsch. Anticipant la chute de son ami montois, il se serait vu calife à la place du calife. La rumeur se répand dans toutes les strates du PS. Jamais aucun élément concret ne viendra l’étayer. Mais le simple fait qu’elle soit considérée comme vraie par une kyrielle d’élus socialistes suffit à écorner la réputation de Rudy Demotte, désormais perçu comme un traître.

Confronté aux soupçons, Rudy Demotte feint le détachement.  » Cette histoire m’a fait bien rire.  » A tous les grands moments de sa vie, énumère-t-il, c’est  » Elio  » qui lui a fait confiance. Elio qui l’a promu vice-président du gouvernement de la Communauté française, en 2000. Elio qui l’a nommé ministre de la Santé et des Affaires sociales. Elio qui lui a proposé de lui succéder comme ministre-président wallon. Elio qui lui a demandé de remplacer Marie Arena au gouvernement de la Communauté française, tout en restant à la tête de l’exécutif wallon. Elio, encore, qui l’a confirmé comme ministre-président en 2009. Mais trop tard. Le doute s’est installé.

2. LE MINISTRE-PRÉSIDENT WALLON

Sous la coupe des techniciens ?

Ministre-président tout feu tout flamme d’une coalition PS-CDH de 2007 à 2009, Rudy Demotte semble à la peine depuis l’installation de la nouvelle équipe PS-Ecolo-CDH à Namur. Les Conseils des ministres wallons sont plus conflictuels, plus crispés. La personnalité des deux poids lourds du gouvernement, Jean-Claude Marcourt (PS) et Jean-Marc Nollet (Ecolo), têtus, voire obtus, n’y est pas pour rien. Quant au troisième vice-président, André Antoine (CDH),  » il n’y a pas meilleur que lui pour bloquer un dossier sur un mode doucereux « , observe un cabinettard.

La configuration à trois complique la donne.  » En politique, il n’y a rien de plus compliqué qu’un triangle, se défend Rudy Demotte. Dès que deux partis se rapprochent, le troisième se sent mis de côté. Tout le monde vit dans la crainte de se faire avoir par les deux autres. Alors, chacun campe sur ses positions comme une huître fermée. Mon rôle, c’est d’ouvrir l’espace. Cela prend plus de temps et plus d’énergie que sous la bipartite PS-CDH. Mais j’ai des nerfs en acier. « 

Les porte-parole du gouvernement égrènent les acquis : le lancement du Plan Marshall 2. Vert, le taux d’emploi en hausse, les 46 000 bénéficiaires du Plan langues, le succès des aéroports wallons, les règles sur le décumul, ou encore le plan Airbag, qui favorise les transitions professionnelles vers le statut d’indépendant. N’empêche, sur plusieurs dossiers emblématiques (cadre éolien, tram liégeois, exportations d’armes…), les difficultés à trancher sont apparues patentes.

 » Le gouvernement a perdu en spontanéité pour s’enliser davantage dans des dossiers hyper-techniques. Dans cette coalition, la technocratie s’invite trop « , reconnaît Rudy Demotte. Le Conseil des ministres serait devenu le théâtre de bras de fer récurrents entre Antoine, Marcourt et Nollet, souvent sur des détails. Un témoin évoque  » de la pinaillerie « .  » On passe des heures sur des virgules.  » Ministre wallon de l’Agriculture jusqu’au mois d’octobre dernier, Benoît Lutgen (CDH) s’est plusieurs fois énervé. Aujourd’hui, il confirme :  » Un gouvernement doit décider des grands choix stratégiques, pas se perdre dans des discussions techniques. Ce n’est pas raisonnable. Cela me heurte. « 

Trois ministres ont un passé de chef de cabinet : Jean-Claude Marcourt, André Antoine et Philippe Henry. Jean-Marc Nollet, lui, a été secrétaire politique du groupe Ecolo à la Communauté française de 1994 à 1999. Ces quatre-là ont gardé des réflexes de techniciens.  » Ils ont tendance à faire remonter dans le c£ur décisionnel du gouvernement des dossiers qui devraient être traités dans la soute « , s’agace Rudy Demotte. Désabusé par la multiplication des débats techniques, le ministre-président aurait fini par baisser les bras, entend-on.  » Il ne se bat plus, il s’est résigné. « 

3. L’HOMME

Le profil d’un leader ?

La Wallonie rouge a longtemps eu ses barons. Demotte, lui, a gagné le surnom de  » petit marquis « . Pour son phrasé précieux, son air docte. Ses racines, pourtant, plongent loin des mondanités aristos. Né à Renaix, Rudy Demotte a grandi à Brakel, élevé en patois flamand dans une famille cabossée par les aléas de la vie. Pour s’émanciper, il s’est battu avec la détresse et l’énergie d’un naufragé.

Sur cette enfance douloureuse, il s’épanche rarement, à la différence d’Elio Di Rupo. Mais s’il ne boit jamais une goutte d’alcool, on devine que les raisons sont à chercher là, parmi les pleurs et les éclats de voix qu’il a vus, entendus à l’aube de sa vie.  » Ma carapace un peu engoncée, le fait d’être tiré à quatre épingles, dans ce français bien articulé, cela vient de là, confie-t-il. Mon côté contenu, c’est pour ne pas montrer cette dureté que j’ai en moi depuis l’enfance. Je me suis bâti une protection par rapport aux apparences sociales. Ma peau est à présent aussi épaisse que celle d’un crocodile amazonien.  » Cynique, Demotte peut l’être. Impitoyable, c’est moins sûr.  » De tous les responsables politiques que j’ai fréquentés, c’est l’un des plus sensibles « , témoigne Jean-Marc Nollet.

Du coup, beaucoup s’interrogent : ce tempérament doux est-il compatible avec une vocation de leader ? Rudy Demotte a-t-il bien le profil pour tenir un jour une machinerie aussi lourde que le PS, ou pour orchestrer le chantier colossal que représente le redressement de la Wallonie ?  » Parfois, on aurait envie qu’il tape du poing sur la table, qu’il siffle la fin de la récré, analyse un élu de la majorité. Mais ce n’est pas sa personnalité. « 

 » Sa méthode est faite de patience et d’écoute, car c’est la seule manière de faire aboutir des accords, insiste-t-on dans son entourage. La brutalité, dans un pays comme la Belgique, ça ne marche pas. « 

 » Si j’ai un conseil à lui donner, reprend Jean-Marc Nollet, c’est celui-ci : qu’il se lâche un peu. Rudy, il est aussi bon quand il sort de son texte. Je lui ai dit une fois, au parlement : allez, donne-moi tes feuilles ! Et il a été très bon. Car il était lui-même. « 

Là réside le mystère Demotte. En privé, l’homme peut deviser avec à-propos sur Jaurès, Gramsci et d’autres figures du mouvement ouvrier. Là où, sur les plateaux télé ou à la tribune du parlement, il n’exprime le plus souvent que des idées convenues. En mars 2010, il a publié un livre, La Wallonie au féminin, riche en propositions audacieuses. L’ouvrage, sorti dans la discrétion, a reçu bien moins d’échos que les essais de Paul Magnette ou le roman policier de Philippe Moureaux. Et qui se souvient que c’est lui qui a bataillé pour interdire le tabac dans l’horeca ? Dans les têtes, c’est Laurette Onkelinx, surtout, qui est associée à ce combat. Parce qu’elle l’a porté avec plus de fougue et de visibilité.

Préparer la riposte

La popularité de Rudy Demotte reste pourtant au zénith. D’après le dernier baromètre La Libre/ RTBF, il est la cinquième personnalité politique la plus appréciée en Wallonie, la huitième à Bruxelles. Mais pour effacer cette impression qu’il se trouve dans le creux de la vague, l’homme devra réussir son atterrissage à Tournai. Au PS, ne sont forts que ceux qui sont forts dans leur ville. Tels Elio Di Rupo à Mons, Paul Magnette à Charleroi, Willy Demeyer à Liège ou Philippe Moureaux à Molenbeek.

Autre test de crédibilité : le plan  » Horizon 2022 « , censé souder l’ensemble des partis politiques et des partenaires sociaux autour d’une stratégie à long terme pour la Wallonie.

S’il réussit sur ces deux tableaux, Rudy Demotte abordera la suite en position de force. La suite ? Se maintenir à la ministre-présidence ou conquérir un poste convoité celui de président du PS.  » Rudy a un parcours brillant et il sait tirer un groupe vers le haut, soutient Christophe Collignon, député wallon. Dès lors, pourquoi pas ? Il a toutes les qualités pour présider un jour le parti. « 

FRANÇOIS BRABANT

Au PS, ne sont forts que ceux qui sont forts dans leur ville

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