Roms La fin du voyage ?

Caché par un recoin de mur, Dimitriu guette les deux vigiles qui surveillent désormais l’entrée de ce qui fut à Saint-Ouen (Seine-Saint-De-nis) le plus grand bidonville  » rom  » de France. Cette fois, c’est certain, ses cousins ont été évacués. Les derniers occupants, une trentaine de personnes au total, ont été expulsés le matin même et, dans quelques heures, les galetas de tôle, de bois et de carton qui ont accueilli jusqu’à 700 Roms roumains seront détruits par les pelleteuses. Où sont-ils partis ? Dimitriu n’en sait rien. Peut-être dans un autre camp de la banlieue parisienne, peut-être en Roumanie, expulsés par les autorités françaises.

Venue de la région de Timisoara, en Roumanie, sa famille était installée depuis plus de cinq ans dans ce campement. Les premiers arrivés avaient occupé un bâtiment de trois étages abandonné et les derniers débarqués avaient, peu à peu, colonisé le terrain environnant dans cette zone des docks, voisine d’une usine de retraitement des ordures. C’est là que le cousin dépeçait des postes de télévision récupérés dans les décharges pour en extraire quelques grammes de métal. C’est là que toute la famille survivait, dans un décor de pays du tiers-monde où les rats filent entre les pieds.

Quelques familles, 94 personnes au total, ont été retenues pour un programme de réinsertion et installées, un peu plus loin, dans des caravanes. Les autres, 600 environ, se sont réparties dans d’autres camps, une centaine en France, ou bien sont rentrées en Roumanie en échange d’une aide financière. Une incitation au seul bénéfice des chiffres du ministère français de l’Immigration, clament les opposants à la politique gouverne-mentale pour qui ces expulsions à répétition servent surtout à remplir l’objectif de 25 000 renvois d’étrangers en situation irrégulière fixé par le président Nicolas Sarkozy. D’autant que les expulsés sont soupçonnés de revenir rapidement.

Des lois bien faites, mais inappliquées

En Belgique, il n’y a pas, actuellement, d’expulsions massives comme en France. Ni comme en Italie, où un projet de fichage cible les Roms. C’est que la condamnation de notre pays par la Cour européenne des droits de l’homme, à la suite de l’expulsion massive des Roms slovaques, en 2000, a refroidi les ardeurs des franges les plus radicales du gouvernement. Pour combien de temps ?

La chute du communisme a jeté des centaines de milliers de Roms sur les routes européennes de l’exode. Chez nous, les principaux flux ont eu lieu entre la fin des années 1990 et 2003. Minorités fortement opprimées dans leurs pays d’origine (Bulgarie, Roumanie, Slovaquie, ex-Yougoslavie…), ces communautés n’ont guère vu leur sort s’améliorer en arrivant dans nos régions.  » La discrimination à l’égard des Roms est le dernier racisme officiel, regrette Ahmed Ahkim, directeur du Centre de médiation des gens du voyage en Wallonie (CMGVW). Des stéréotypes scandaleux sont véhiculés à leur égard sans que personne y trouve rien à redire. On estime normal que la presse cite l’origine rom d’un délinquant, alors que cette communauté fait partie intégrante de l’Union européenne (UE), au même titre que les Italiens ou les Polonais. « 

Les Roms originaires de l’extérieur de l’UE (ex-Yougoslavie) voient rarement aboutir leurs demandes d’asile auprès des autorités belges. Mais, quelle que soit leur origine géographique, ils vivent tous la même exclusion sociale, économique et culturelle. Une  » particularité  » qu’ils partagent avec les gens  » du voyage  » ( lire l’encadré p.52 ). La plus criante reste la difficulté à pouvoir s’implanter temporairement, fût-ce pour quelques semaines, dans une commune  » visitée « . L’ancien gouvernement wallon (arc-en-ciel) avait déjà tenté d’inciter les communes à aménager un terrain spécifique à ce type d’accueil en y prévoyant l’eau, l’électricité, le ramassage des immondices, etc. Namur et Ottignies-Louvain-la-Neuve ont été des pionnières à cet égard, sans être suivies par beaucoup d’autres communes…

Aménager un lieu est une chose ; faire accepter les Roms et les gens du voyage par les conseils communaux et les citoyens, c’en est une autre.  » Imagine-t-on accueillir 120 scouts en été sans leur fournir un minimum d’infrastructures ? interroge Ahkim. Non, évidemment. Dès lors, nous réclamons aux communes de faire de même avec ces communautés. Nous ne demandons à personne d’ « aimer » les gens « mobiles ». Mais, simplement, de gérer leur présence car, lorsque les autorités prennent en charge tous les aspects très pratiques de leur séjour, 80 à 90 % des réactions de rejet par la population disparaissent. « 

Le Conseil de l’Europe dénonce régulièrement le racisme et l’oppression dont sont victimes les Roms. Il y a cinq ans, un rapport des Nations unies avait abouti, chiffres à l’appui, à une conclusion édifiante : en Europe centrale et de l’Est, les Roms vivent dans des conditions économiques, sociales et éducatives semblables à celles des Zimbabwéens, pays parmi les plus déshérités de la planète. Mais ces dénonciations résonnent le plus souvent dans le vide. Depuis, la Roumanie et la Bulgarie sont devenues membres de l’UE, dans laquelle les communautés roms et leurs accompagnants placent tous leurs espoirs.

Un sommet comme celui qui s’est organisé à Bruxelles, le 16 septembre dernier, pourrait conduire à l’adoption de directives. Celles-ci, par exemple, uniformiseraient les procédures administratives de demande d’asile et de régularisation. Certaines pratiques pourraient faire tache d’huile. En France, les municipalités de plus de 5 000 habitants doivent aménager un terrain d’accueil. Si elles manquent à la règle, les Roms peuvent s’installer dans n’importe quel espace public. Chez nous, on n’en est pas là. Roms et travailleurs sociaux rêvent d’une… simple application des réglementations existantes !  » Si la loi sur le domicile de référence était respectée ( NDLR : elle attribue une adresse postale à toute personne sans domicile fixe, facilitant ainsi les démarches administratives pour l’ouverture des droits sociaux), elle permettrait une intégration plus aisée des gens du voyage dans les circuits sociaux et économiques, estime Ahmed Ahkim. Chaque jour, des familles roms viennent nous supplier de les aider à travailler. Elles ne veulent pas mendier. Elles sont prêtes à travailler dans des conditions dures, dans les secteurs où il y a pénurie de main-d’£uvre. Organiser l’accueil temporaire des gens du voyage, c’est contribuer au développement économique d’une région.  »

Philippe Lamotte et Laurent Chabrun

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